Afghanistan : vers le dangereux renouveau des milices ?

En fin de semaine dernière, le ministère afghan de la Défense a annoncé qu’il allait autoriser la création d’une nouvelle force armée, basée sur des milices pour aider les troupes gouvernementales à maintenir le contrôle dans les zones reprises aux Talibans. Selon Dawlat Waziri, porte-parole …

En fin de semaine dernière, le ministère afghan de la Défense a annoncé qu’il allait autoriser la création d’une nouvelle force armée, basée sur des milices pour aider les troupes gouvernementales à maintenir le contrôle dans les zones reprises aux Talibans. Selon Dawlat Waziri, porte-parole du ministère, ce seront près de 36 000 hommes mis sous le contrôle du ministère de la Défense. Parmi eux, 7500 seront officiers de l’armée nationale afghane. Le reste sera recruté à travers tout le pays. Toutefois, le porte-parole n’a pas précisé quand ces recrutements allaient débuter.

Cette idée devrait permettre au gouvernement afghan de compenser son manque flagrant de militaires pour maintenir le contrôle dans les zones où son autorité est contestée alors que la saison des combats de 2018 devrait commencer d’ici le mois prochain. En ce début d’année 2018, les Talibans et leurs associés contrôlent ou contestent le pouvoir central dans près de la moitié du pays.

Si cette option, pratique et peu onéreuse pour le gouvernement afghan va lui permettre de combler son déficit en hommes, elle inquiète les organisations de défenses des droits de l’homme qui pointent les nombreux abus dont ces milices se sont rendues coupables au long des années en Afghanistan. Si les groupes humanitaires dénoncent un usage de la force excessif de ces milices envers les populations civiles, elles sont également sur la sellette depuis l’année dernière après les révélations sur des abus sexuels sur mineurs d’une vaste ampleur qui concerne également la police locale afghane.

Le but de cette milice, qui devrait évoluer sous le nom de Afghan National Army Territorial Force sera de stabiliser les zones nettoyées par l’armée régulière et d’y faire appliquer la loi et l’ordre. Avec ses prérogatives, tout porte à croire que ce nouveau pouvoir aura pour effet de raviver les rivalités locales existantes et sera un poids en plus à gérer pour les forces régulières qui pâtissent déjà d’un pauvre leadership.

Pour Patricia Grossman, chercheuse spécialiste de l’Afghanistan pour Human Right Watch, le problème de ces milices demeure leur gestion hors du cadre de l’armée régulière afghane. « Il reste un flou sur la question de savoir si ces recrues seront embauchés au sein de milices déjà existantes mais aussi sur la manière dont le ministère de la défense pourra prouver de leur intégrité » explique-t-elle. Face à ces inquiétudes, les responsables afghans soulignent que placer ces nouvelles milices sous le contrôle de l’armée devrait aider à prévenir les abus d’autorité qui ont fait leur réputation. Ce n’est pas suffisant pour rassurer les analystes internationaux ainsi que les ONG qui pensent que ces milices sapent l’autorité de l’état.

L’annonce du ministre afghan de la défense intervient alors que de féroces affrontements entre les forces gouvernementales et les Talibans déchirent les 4 coins du pays et que des attentats de grande ampleur frappent le pays et plus particulièrement la capitale, Kaboul.

Les milices afghanes au cœur de la nouvelle politique américaine

Face à un enlisement de plus en plus marqué du conflit dans le pays et à un maintien du gouvernement afghan qui ne tient qu’à la présence internationale, Donald Trump a lancé une nouvelle politique américaine pour sortir d’une guerre qui dure depuis près de 17 ans. En août 2017, le président Trump a placé l’Asie du Sud au cœur de sa politique étrangère. Outre l’envoi de presque 4000 nouveaux soldats américains sur le sol afghan et l’intensification des frappes de drones, le président américain s’en est violemment pris au Pakistan qu’il accuse de ne rien faire et de mentir sur le dossier du terrorisme régional.

Se devant d’amener les USA à la victoire en Afghanistan, la mission est claire : « Ensemble (avec les alliés de l’OTAN), nous allons assister les forces de sécurité afghane dans la destruction des nids terroristes » annonçait peu après James Mattis, le secrétaire à la défense dans un communiqué. C’est également le contre-terrorisme qui apparaît au cœur de cette nouvelle doctrine que Trump qualifie de « réaliste ». « Nous ne sommes plus des bâtisseurs d’état. Nous tuons des terroristes » avait-il lancé dans un discours à Fort Myer à l’été 2017. Les milices et leur travail de terrain interviennent alors comme une application à cette théorie dans l’esprit de l’administration Trump en dépit des craintes exprimées quant à leur rôle dans l’affaiblissement de l’état.

Le recours aux milices n’est pas nouveau en Afghanistan. Durant des siècles, ceux qui régnaient sur le pays ou ceux qui l’occupaient ont choisi un modèle hybride pour constituer leurs forces militaires associant une armée régulière, épaulée du soutien de tribus locales pour répondre aux menaces et maintenir le contrôle territorial. Il est de notoriété publique que les Afghans savent se battre pour protéger leurs villages. Tous ceux qui ont tenté de fonder un système de défense plus centralisé et plus contrôlé l’ont regretté, comme le roi Amanullah Khan, qui dans les années 1920 a échoué sur ce plan et a été renversé par ces milices contre lesquelles il luttait.

Toute l’ambiguïté de l’usage des milices peut être illustrée par l’épisode de la chute de Kunduz, dans le nord du pays en octobre 2015. Dés les premiers jours du siège de la ville par les Talibans, des milices locales pro-gouvernementales avaient mené de nombreuses exactions dans leur fuite face aux avancées talibanes. C’était le risque de voir intervenir 4000 membres de la milice aux côtés de seulement 3000 policiers. De plus, « les miliciens peuvent se vendre à plus offrant, négocier leur rémission ou vendre leurs armes aux Talibans » ajoute l’ancien gouverneur de Kunduz, Omar Safi.

Julien Lathus

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