Il est dit que le bonheur ne s’achète pas. Le Bhoutan est en train de l’apprendre à ses dépends. Le petit royaume himalayen s’était fait une place dans le monde en adoptant le critère du bonheur pour mesurer son économie. Mais le premier ministre déclare que le pays a oublié sa propre leçon en laissant une soudaine ruée de prospérité l’envahir.
« L’opulence engendre un désir plus grand » affirme le premier ministre Jigmi Thinley dans une interview à Reuters. « Il y a des familles qui possèdent 4 ou 5 voitures. Ce sont des véhicules de luxe importés qui peuvent à peine se déplacer sur nos routes du fait que ces dernières ne sont pas adaptées à de telles voitures ».
Le Bhoutan qui était fermé aux étrangers jusqu’en 1974 s’est récemment ouvert aux forces de la mondialisation. Le pays semble alors manquer d’outils pour faire cohabiter ses valeurs avec l’émergence d’une nouvelle économie et de la richesse qu’elle apporte. Le consumérisme alimenté par le recours à l’endettement est maintenant une chose courante qui provoque un réveil dur.
Le gouvernement réduit ses dépenses et pensent à appliquer une hausse sur la taxe d’importation des véhicules. L’autorité royale monétaire du Bhoutan, la Banque Centrale a régulé la roupie indienne, monnaie courante du commerce, provoquant une restriction du business privé.
Le chômage touche 9 % des jeunes qui quittent les campagnes et ses valeurs traditionnelles pour s’installer dans les villes. Pire encore, la dernière évaluation de l’indice du BNB (Bonheur National Brut) datant de 2010 fait apparaitre un taux de bonheur de seulement 41 %. Crée en 1972 par le roi Jigme Singye Wangchuck, cet indice tend à évaluer une économie basée sur les valeurs spirituelles du Bouddhisme en mélangeant le PIB et l’IDH.
Le premier ministre affirme que son pays s’est éloigné des valeurs du BNB et qu’à l’instar des autres pays du monde, le Bhoutan est devenu plus matérialiste. « Quand de telles tendances imposent un coût à l’économie, comme actuellement, le gouvernement se doit de prendre des mesures délicates » déclare-t-il. « Nous devons accepter que la roupie n’est pas notre monnaie ». La monnaie du Bhoutan est le ngultrum. Elle se fixe sur le cours de la roupie indienne. Cette dernière est également accepté en tant monnaie car elle détient un cours légal dans le royaume.
Il déclare que cette crise met en lumière le besoin de se focaliser une fois de plus sur l’index du bonheur qui se base sur 9 critères : le bien-être psychologique, l’écologie, la santé, l’éducation, la culture, la manière de vivre, l’utilisation du temps, la vitalité communautaire et la bonne gouvernance. « Nos problèmes économiques sont le résultat de notre ouverture au monde et de notre entrée en tant qu’acteur dans le processus de globalisation » reprend-t-il.
En dépit du boom économique, le Bhoutan reste l’un des pays les pauvres et les moins développés du monde. 70 % des 700 000 habitants du royaume vivent d’une agriculture de subsistance. Le développement économique y a mené à une hausse des importations industrielles et de biens de consommation en provenance du voisin indien.
Près d’une voiture sur 8 sur les 65 000 en circulation au Bhoutan a été importée l’année dernière. Le premier ministre du royaume affirme que le coût d’importation du carburant a annihilé les gains de la principale industrie du pays, à savoir, l’exportation d’électricité issue de centrales hydro-électriques vers l’Inde. « Les revenus que nous gagnons de l’exportation d’une énergie propre sont maintenant équivalent au coût du pétrole polluant que nous importons d’Inde » déclare-t-il en sirotant son thé traditionnel du Bhoutan au beurre salé.
Malgré tout, il semble qu’il sera difficile de convaincre la population d’introduire un sens holistique de bonheur dans le développement sauvage de l’économie du pays. Au Parlement, ce jeudi, le gouvernement a prévu une croissance de 7 à 8 % pour 2013. Il espère également réduire la pauvreté, quantifiée aujourd’hui à 23 % à 15 % pour l’an prochain.
« Il est triste mais vrai de voir que les routes que nous avons construit pour apporter des services aux villages sont devenues aujourd’hui les routes par lesquels les villageois s’exilent en direction des villes où des bidonvilles fleurissent tout autour » regrette le premier ministre.
Il déclare que le gouvernement devrait donner la priorité à une politique visant à promouvoir la vie rurale et à freiner l’exil vers la ville qui décime les villages et qui rend le pays plus dépendant aux importations. « Pour de nombreuses raisons, la vie campagnarde est meilleure et la capacité à accéder au bonheur y est plus importante qu’en milieu urbain où l’on ne connait pas son voisin de palier et où la violence augmente » observe-t-il.
« Nous devons créer un désir consciencieux chez notre population pour qu’elle continue à vivre en milieu rural et quitte les villes. Plutôt que de vivre dans un appartement étouffant, retournons à la campagne ! La population du Bhoutan doit réaliser que nous devons être plus indépendant en utilisant le fruit de nos terres et de nos ressources» conclut-t-il.
Le message du premier ministre risque de trouver peu d’écho chez les jeunes qui rejoignent les villes en abandonnant le costume traditionnel au profit des jeans et qui lorgnent du côté des emplois tertiaires au détriment des professions manuelles.
Sources :
The Chicago Tribune (USA) en VO.
Reuters India (Inde) en VO
Julien Lathus