La bataille identitaire du Bangladesh.

Une profonde division identitaire et sociétale semble secouer le Bangladesh alors que les procès pour crimes commis lors de la guerre de libération de 1971 se poursuivent. Face aux notions de nationalisme bengalis et d’Islam politique, cette fracture trouve ses racines dans l’histoire de la …

Une profonde division identitaire et sociétale semble secouer le Bangladesh alors que les procès pour crimes commis lors de la guerre de libération de 1971 se poursuivent. Face aux notions de nationalisme bengalis et d’Islam politique, cette fracture trouve ses racines dans l’histoire de la région et du pays, bercé par les tragédies, les coups d’état et la place des minorités. Retour en arrière pour comprendre une situation explosive.

Manifestants de Shahbag

Manifestants de Shahbag

Alors qu’une chape de plomb faite de pollution et de températures élevées enserre Dhaka, la capitale du Bangladesh, de nombreux habitants descendent depuis plusieurs semaines dans les rues. Des milliers de personnes ont rallié les manifestations du quartier de Shahbag dans le seul but de voir la justice triompher dans les jugements des collaborateurs qui ont aidé le Pakistan au cours de la guerre de libération du Bangladesh en 1971.

Ces collaborateurs sont complices d’un génocide qui a coûté la vie à près d’1 millions de Bengalis en quelques mois de guerre. Les manifestants veulent les traîner les uns après les autres devant la cour du Tribunal pour les Crimes de 1971. Beaucoup de ses accusés appartiennent au parti politique islamiste Jamaat-e-Islami, fondé alors que les Britanniques régnaient encore sur le sous-continent indien et qui souhaite d’instauration d’un état islamique. Durant la guerre de 1971, ce parti avait collaboré avec le régime militaire pakistanais au nom de la solidarité musulmane, en dépit du nationalisme bengali.

Si ces manifestations peuvent apparaître étranges dans leur formulation d’une justice et d’un bannissement du Jamaat alors que ces événements datent de plus de 40 ans, il ne faut pas oublier que le Bangladesh lutte pour son identité depuis des décennies. Le dernier chapitre en date de cette histoire est constitué du procès de plusieurs chefs du parti Jamaat dans une opération de justice mise en place en 2010. Il y a 3 ans, le parti au pouvoir, la Ligue Awami a mis en place le Tribunal International des Crimes pour juger les auteurs des crimes de cette guerre de libération. En janvier dernier, le premier verdict était tombé. Abul Kalam Azad, l’un des leader du Jamaat a été condamné à mort pour meurtre, viols et pyromanie. Ce jugement a été suivi par celui de Delawar Hossain Sayedee et d’Abdul Quader Mollah pour génocide. Si le premier a été condamné à la peine capitale, le second passera le reste de sa vie derrière les barreaux.

Face à des décisions de justice, le Jamaat et ses partisans ont crié au scandale. Alors que ce parti n’a conservé que 2 sièges à l’issue des élections parlementaires de 2008, il possède une force bien plus puissante dans la rue composé de certains étudiants, de membres de classes les plus pauvres et d’opportunistes politiques. Les responsables du Jamaat ont décrit ces procès comme une vengeance politique visant à alimenté la haine ethnico-religieuse. Depuis, ses partisans ont attaqué le modèle séculaire et les citoyens qui soutiennent ces procès. Ils sont également impliqués dans l’assassinat du blogeur et activiste social Ahmed Rajib Haider. Les minorités hindoues ont également fait les frais de cette violence, surtout dans le district de Naokhali. Le gouvernement condamne ses violences mais ne semble pas en mesure de les contenir.

Ainsi va la dernière bataille sur l’identité nationale du Bangladesh. Durant des décennies, l’identité du pays reposait sur 2 piliers : l’héritage linguistique bengali et l’Islam. Mais le pays compte une petite minorité hindoue, environ 10% de la population, sujet de la perpétuelle question de la solidarité bengalie qui transcende la religion pour offrir l’union des groupes religieux. A certains moments, cette dynamique a marché, à d’autres, non.

Aux temps du pouvoir britannique, une petite classe d’Hindous possédaient les terres et dominaient la paysannerie musulmane. Ce fut à ce moment que pour la première fois, la religion devint politisée. A la partition de 1947 et la création du Pakistan, les Bengalis musulmans pensaient que leur identité religieuse allait être sécurisée, et pour un moment, Musulmans et Hindous vivaient ensemble en partageant une langue et une culture commune.

Ce lien s’est renforcé en 1952 quand le Pakistan-occidentale a décidé d’imposer la langue ourdou aux 2 parties du pays. Cette même année, un mouvement étudiant contre cette imposition a connu une féroce répression qui a mené au lancement du mouvement pour la langue bengalie. Durant les 20 années qui ont suivi, le Pakistan-occidental a poursuivi sa politique de discrimination sociale et politique en dépit des revendication des Bengalis. En 1970, les manifestants demandaient l’autonomie avant la révolte qui éclata l’année suivante. La brutalité des militaires et des collaborateurs laissa 1 million de morts mais avec l’aide de l’Inde, les Hindous et les Musulmans bengalis accédèrent à l’indépendance.

En 1975, Sheik Mujibur Rahman, père de l’indépendance et premier président fut assassiné dans le coup d’état perpétré par le général Zia-ur-Rahman, connu pour ses sympathies envers le parti du Jamaat. Cette proximité s’explique par les volontés du nouveau dirigeant de vouloir utiliser l’Islam pour légitimer son pouvoir, tout en s’appuyant sur le service répressif du Jamaat. Durant cette période, le Jamaat regagna une certaine respectabilité et la constitution fut modifiée pour renforcer le rôle de l’Islam. En 1981, il est renversé par un de ses proches, Hussain Mohammed Ershad qui donna à l’Islam une teneur encore plus présente en supprimant le sécularisme et en déclarant l’Islam, religion d’état, au grand damne de la minorité hindoue.

Dans les années 1990, transition démocratique alors que le Jamaat continue de séduire en raison de son idéologie patriarcale. En 2008, il profite de son alliance avec le parti conservateur nationaliste mené par Khaleda Zia, veuve de Zia-ur-Rahman. Dans le gouvernement, le Jamaat a poursuivit sa politique harcèlement des minorités et d’intimidation des opposants jusqu’à la chute de la coalition en 2009 et la prise de pouvoir par le parti séculaire de la Ligue Awami.

Aujourd’hui, la Ligue Awami et son tribunal de guerre ont fait resurgir les horreurs de 1971 mais comme le montre le mouvement de Shahbag, il a également encouragé ceux qui espèrent encore de voir un Bangladesh laïc et unifié. Tout laisse à penser que si ces manifestations se poursuivent, c’est que l’on peut y voir le rejet d’une vision rétrograde de tout un pan de la société qui souhaite la paix sociale et politique, et ce, même au-delà de leurs demandes de peines de mort contre les bourreaux de la guerre civile. 40 ans après, ces procès permettront-t-ils au Bangladesh de tourner la page d’une histoire tourmentée pour regarder vers le futur ?

Source :

Foreign Affairs (USA) en VO.

Julien Lathus.

 

Add comment