Quelle réponse de l’Inde après l’attentat du Cachemire ?

C’est le genre d’action que redoute tout observateur des complexes relations qu’entretiennent l’Inde et le Pakistan. Ce genre d’événement que l’on sent susceptible de générer une forte poussée de fièvre dans une région où les tensions sont déjà croissantes depuis ces dernières années. Jeudi 14 …

C’est le genre d’action que redoute tout observateur des complexes relations qu’entretiennent l’Inde et le Pakistan. Ce genre d’événement que l’on sent susceptible de générer une forte poussée de fièvre dans une région où les tensions sont déjà croissantes depuis ces dernières années. Jeudi 14 février, le Cachemire indien a été le théâtre de la plus violente attaque de ces dernières décennies. Un kamikaze s’est fait exploser au volant d’une voiture piégée au passage d’un convoi de bus transportant des paramilitaires indiens. 44 morts, des dizaines de blessés et une attaque revendiquée par le groupe Jaish-e-Mohammad, basé au Pakistan. L’Inde promet une réponse à la hauteur de la violence de l’attentat et agite le spectre d’une escalade des tensions entre les 2 pays.

Aux alentours de 15H15 ce jeudi 14 février, quelques 80 bus militaires, transportant près de 2500 soldats indiens font route vers Srinagar en empruntant l’autoroute qui relie cette ville à celle de Jammu, dans le sud. A hauteur de Pulwama, le convoi est dépassé par la voiture conduite par Adil Ahmad Dar, un jeune kashmiri de 20 ans. Son véhicule, bourré de 350 kilos d’explosif prend pour cible 2 bus, fonce dessus et active la charge explosive.

Les témoins évoquent une explosion puissante. « Je n’ai jamais entendu une telle explosion de toute ma vie explique Qaisar Mir, un résident de la zone. « Nous avons vu un nuage de fumée puis nous avons entendu des cris à l’aide ». Éparpillés autour des 2 bus éventrés gisent les corps sans vie de 44 paramilitaires de la Central Reserve Police Force. Des dizaines d’autres sont blessés. L’attaque a rapidement été revendiquée par le groupe djihadiste Jaish-e-Mohammed, basé au Pakistan et dont l’objectif principal est la libération du Cachemire des forces indiennes et son intégration à la nation pakistanaise.

Le lendemain, les parents d’Adil Ahmad Dar expliquent que leur fils a cherché les rangs du groupe Jaish-e-Mohammad (JeM) il y a 3 ans quand le jeune garçon fut arrêté par les forces de l’ordre et passé à tabac, l’accusant d’avoir caillassé des soldats. « Depuis, il a voulu rejoindre un groupe de militants séparatistes » explique son père, un fermier du village de Lethipora à quelques kilomètres au sud de Srinagar. Sa mère, Fahmeeda insiste sur la colère que cet épisode avait fait naître chez le jeune homme envers les forces indiennes. « Nous sommes aujourd’hui en deuil de la même manière que les familles des soldats tués » reprend son père qui explique que son fils avait quitté la maison depuis 3 mois.

Aux accusations indiennes suivent les démentis pakistanais

Avec la prompt revendication de cet attentat par le Jaish-e-Mohammad, les déclarations indiennes ont rapidement pris une tournure critique envers le Pakistan, accusé de soutenir ce groupe armé qui cible les forces indiennes au Cachemire. L’Inde évoque même des preuves « irréfutables » sur l’implication d’Islamabad dans cette attaque.

Après avoir condamné avec force sur Twitter « une attaque diabolique » et promit que le sacrifice de ces soldats ne serait pas vain, le premier ministre indien, Narendra Modi a déclaré après une réunion d’urgence sécuritaire que l’Inde donnerait une réponse à la mesure de cet attentat. « Si notre voisin pense qu’il réussira à engendrer l’instabilité en perpétrant de tels actes de conspiration dans notre pays, il devrait arrêter de rêver… Nos forces de sécurité ont carte blanche » a t-il lancé en promettant de lourdes représailles pour le Jaish-e-Mohammad et « leurs anges gardiens ».

Au-delà des premières annonces à chaud, un premier train de sanctions indiennes contre le Pakistan se dessine. Le ministre indien des finances, Arun Jaitley préconise de prendre toutes les mesures diplomatiques nécessaires pour s’assurer d’un « isolement complet » du Pakistan en retirant à son voisin tous ces avantages douaniers dans le cadre d’un commerce sous la clause de la « nation la plus favorisée » qui avait été négociée entre les 2 pays sous l’égide de l’OMC il y a plus de 20 ans. Dimanche, le ministre a annoncé le retour de tarifs douaniers à 200 % pour les importations pakistanaises.

L’Inde compte aussi faire pression sur le Pakistan via le Groupe d’Action Financière, l’organisme international de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme basé à Paris et en réunion en ce début de semaine. En juin dernier, le Pakistan avait été placé sur la liste grise par l’organisation et a été sommé de lutter contre le financement du terrorisme sans quoi le pays serait placé sur la liste noire d’ici octobre 2019. Les envoyés indiens vont donc revêtir leurs habits de lobbyistes et tenter l’influencer la procédure d’isolement du Pakistan.

Côté pakistanais, le ministre des affaires étrangères, Shah Mahmood Qureshi se dit « préoccupé » par cette affaire mais conteste les accusations indiennes de l’implication d’Islamabad. « Nous rejetons avec force toute insinuation sans enquête liant l’État pakistanais à cette attaque, qu’elles proviennent du gouvernement indien ou des médias » a t-il écrit dans un bref communiqué publié vendredi matin.

Comme d’ordinaire, Islamabad rejette les accusations indiennes qui affirment que le pays soutient le militantisme armé au Cachemire indien alors que le Pakistan déclare n’apporter qu’un soutien moral et diplomatique au peuple cachemiri dans sa lutte pour son droit à l’auto-détermination. Depuis 2002, le groupe responsable de l’attaque de jeudi est officiellement interdit au Pakistan mais en pratique, le groupe poursuit ses activités à la lumière du jour sous d’autres noms.

Au début de l’an 2000, le Jaish-e-Mohammad (l’armée de Mahomet) est fondé avec le soutien de l’ISI, les services de renseignements pakistanais pour déstabiliser la partie indienne du Cachemire et faire que cette dernière intègre le Pakistan. Fondé par Masood Azhar, après sa libération des prisons indiennes suite à un échange de prisonniers après le détournement du vol IC814 d’India Airlines en décembre 1999, le groupe s’illustre rapidement par des opérations de grandes envergures. En témoigne, l’attaque du Parlement indien en décembre 2001 avec le groupe Lashkar-e-Toiba ou plus récemment, celle de 2016 contre la base militaire de Pathankot au Punjab qui a engendré le dernier grand accès de fièvre entre les 2 puissances nucléaires. Après l’attaque de 2001 contre son Parlement, l’Inde avait mobilisé ses troupes à la frontière avant d’entamer un face à face tendu pendant plusieurs mois avec les forces pakistanaises.

En 2002, à la suite de cet événement, le Pakistan a détenu durant une année Masood Azhar avant de le relâcher, faute de preuve. Resté loyal au Pakistan qui le protège en dépit de l’interdiction de son mouvement, il en profite pour faire profil-bas et se développe à Bahawalpur, sous le couvert d’une organisation religieuse. En 2014, il revient sur la scène publique et se lance dans diverses diatribes appelant à frapper l’Inde ou les USA.

Quant en janvier 2016, la base militaire indien de Pathankot est attaquée, il est à nouveau arrêté par le Pakistan pour être interrogé. En septembre de cette même année, le Jaish-e-Mohammad est à nouveau impliqué dans une attaque contre le QG de forces indiennes à Uri au Cachemire et qui fera 19 morts parmi les soldats indiens. Cette attaque poussera l’Inde à mener des frappes aériennes chirurgical quelques jours plus tard sur le sol pakistanais contre des positions du Jaish. Depuis, toujours par manque de preuves, Masood Azhar est libre et l’Inde enrage de cette situation, cherchant à le faire reconnaître comme un terrorisme mais le pays se heurte pour ça à l’ONU au refus chinois qui protège son allié pakistanais.

Quelle réponse indienne pour quelle implication pakistanaise ?

Cet attentat intervient à un moment où la situation est déjà critique dans le Cachemire. L’Inde et le Pakistan y poursuivent leur face à face le long de la frontière, marqué par des escarmouches de plus en plus fréquentes et l’Inde y fait face à une insurrection séparatiste au visage populaire de plus en plus marqué. Depuis 1989 et le début de insurrection armée au Cachemire indien, plus de 70 000 personnes ont trouvé la mort dans cette région et l’année 2018 s’ y est affichée comme la plus meurtrière depuis 2009 avec l’élimination de 260 militants mais aussi la mort de 160 civils et environ 150 membres des forces de sécurité indiennes.

Ce dimanche, alors que des cérémonies d’hommages aux « martyrs indiens » ont eu lieu dans tout le pays, la colère populaire ne faiblit pas et la rue exige que le premier ministre Modi venge l’Inde face aux affronts du Pakistan. Au-delà de l’introduction de sanctions commerciales et financières, le premier ministre semble encore réfléchir à la forme de la réponse plus directe qu’il va devoir donner au Pakistan car à quelques mois des élections générales, il sait qu’il ne va pas devoir apparaître comme faible face à cette attaque alors qu’il fut élu en 2014 en promettant une ligne plus dure envers le Pakistan et les militants au Cachemire. « Je voudrais vous dire que la rage qui brûle dans vos cœurs brûle dans le mien aussi » a t-il déclaré ce dimanche en déplacement dans le Bihar comme pour montrer à la rue qu’il s’impliquait sur ce dossier.

Maintenant, quelles cartes Narendra Modi a t-il en main pour accomplir cette « vengeance » ? Sur le plan diplomatique, la marge de manœuvre demeure limitée pour le premier ministre. La fin des privilèges douaniers, à la portée surtout symbolique, ne suffira pas à calmer la rue indienne et ne lancera pas un geste suffisamment fort envers le Pakistan. Dans les instances internationales, le placement du Pakistan sur une liste noire de pays soutenant le terrorisme apparaît comme une carte intéressante pour l’Inde à moyen-terme mais l’attaque de jeudi demande une réponse plus rapide de la part du gouvernement indien. De plus, à l’ONU, le Pakistan reste à l’abri du veto de son allié chinois, ce qui empêche un isolement du pays. Vendredi, au lendemain de l’attentat, la Chine à de nouveau rejeté une demande indienne de placer Masood Azhar, le chef du JeM sur la liste des terroristes internationaux.

Sur le plan militaire, les options restent également limitées. Une confrontation directe avec Islamabad apparaît comme trop dangereuse alors qu’une épaisse couche de neige recouvre la frontière indo-pakistanaise dans le Cachemire et que les troupes pakistanaises sont en alerte maximum dans cette région. Nous pouvons néanmoins nous attendre à une intensification des violations du cessez-le-feu le long de la ligne de contrôle qui sépare les 2 pays au Cachemire comme cela s’est déjà produit au cours des précédentes périodes de tensions.

En 2016, après la dernière attaque de grande envergure perpétrée par le Jaish-e-Mohammad contre la base militaire d’Uri, les militaires indiens avaient répondu par des frappes chirurgicales contre des installations du groupe armé sur le sol pakistanais. Si cette option apparaît pour Modi comme la plus équilibrée dans le ratio prise de risque/réponse forte, elle garde un côté aventureux car si les Pakistanais ont été surpris par les frappes indiennes de 2016, ils sont maintenant sur leurs gardes et il est probable que les militants du Jaish se soient repliés un peu plus loin de la frontière après l’attaque, en prévision d’une opération indienne.

Reste aussi la question de l’implication d’Islamabad dans cette attaque et de la métamorphose du séparatisme cachemiri. L’attentat de jeudi contre le convoi militaire indien montre une transformation sociale du militantisme du Jaish-e-Mohammad, groupe basé au Pakistan, et composé principalement de Pakistanais. Le kamikaze de l’opération, Adil Ahmad Dar s’est fait exploser à quelques kilomètres de la ville où il a vécu toute sa vie. Ce facteur local vient alors poser la question du degré d’implication du Pakistan dans cette attaque. Sur RFI, Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po souligne cette métamorphose du militantisme armé au Cachemire qui ne repose plus que sur des structures liées au Pakistan mais dévoile le visage d’un militantisme armé local qui a émergé ces dernières années.

« Le Pakistan nie toujours les accusations indiennes. De fait, on peut penser que c’est un peu plus compliqué que ce que disent les Indiens. Il y a certainement une logistique qui vient du Pakistan – on ne peut sans doute pas si facilement acquérir les 350 kilos d’explosifs stockés dans le véhicule qui a percuté le convoi militaire indien. Mais en même temps, il y a certainement des complicités locales d’une ampleur plus importante que par le passé. L’auteur de l’attaque est indien, habitait la vallée de Srinagar et avait rejoint le Jaish-e-Mohammad seulement l’an dernier » explique-t-il.

« On entre dans une autre logique : si les groupes pakistanais peuvent désormais trouver des relais parmi la population locale au point de mener des opérations d’envergure, ce n’est plus seulement le problème pakistanais que les Indiens doivent traiter, mais aussi celui de l’aliénation de la jeunesse cachemirie, que la politique de Modi au Cachemire n’a fait que compliquer » analyse-t-il.

Le Cachemire cristallise plus que jamais les tensions indo-pakistanaises. Face à la pression politique de la rue et dans l’expectative des élections à venir, le premier ministre voit donc sa marge de manœuvre réduite et cette attaque se pare d’une haute dimension politique. Narendra Modi va répondre mais ne peut prendre le risque d’un échec militaire. Dans cette perspective, l’attentat de jeudi apparaît comme un acte de déstabilisation du gouvernement visant à souligner l’échec de la politique de Modi au Cachemire et à faire dérailler un processus de normalisation des relations entre les 2 pays déjà bien mal en point. Les prochains jours vont être décisifs dans la gestion de cette nouvelle crise et dans l’attente de la « forte réponse » promise par Narendra Modi au Pakistan, une tension palpable s’installe en Inde où la diaspora cachemirie fait face à des cas d’harcèlements et de violences.

Julien Lathus

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