Alors que des dizaines de millions de pèlerins se sont baignés dans les eaux sacrées d’Allahabad, ce rassemblement religieux a engendré une importante pollution. Où en sont alors les notions hindoues de la nature et l’état actuel de conservation ?
Au croisement des fleuves Yamuna et Gange, au lieu-dit de Prayag à Allahabad, des millions de pèlerins, de touristes et de curieux se sont retrouvés pendant près de 2 mois. La version 2013 de cette Maha Kumbha était un évènement rare car il n’intervient que tous les 12 ans et trouve ses racines dans les antiques récits hindous du Mahabharata et du Ramayana, ainsi que dans les textes religieux des Védas et des Puranas.
Mais alors que la Kumbha Mela s’est terminée, Allahabad a accueilli des visiteurs de plus en plus nombreux en dépit de ses infrastructures d’accueil. Après cet épisode, beaucoup en Inde se demandent si ce grandiose acte de foi ne s’est pas fait au détriment de l’environnement. Ce grand rassemblement a engendré une forte pression sur les maigres ressources de la ville. Les écoulements d’eaux usagées supplémentaires ont terminé dans les eaux sacrées, ainsi que des quantités incroyables de papiers, de plastiques et de nourritures. Une véritable tragédie pour les villages et l’agriculture en aval du site sacré mais que les visiteurs et les pèlerins ont foncièrement mis de côté, sans s’en soucier.
Pourquoi l’hindouisme d’aujourd’hui ne se préoccupe pas des dégâts occasionnés par ses pratiques religieuses ? La plupart de ses festivals ont un impact écologique significatif. Le Diwali (fête des lumières) engendre une pollution atmosphérique et auditive intense, la Holi (fête des couleurs) déversent des produits toxiques dans les rivières et les nombreuses immersions de statues de divinités polluent les eaux sacrées que les dévots vénèrent. Est-ce-que les pratiques hindoues sont devenues insensibles à l’environnement ?
Pourtant, dans la théologie hindoue, toute existence est sacrée et les Hindous voient des divinités dans les plantes, les animaux ou les rochers. Les personnages mythologiques oscillent toujours entre une apparence naturelle ou humaine et de nombreux Dieux possèdent des avatars sous des formes animales ou végétales. Ils sont des métaphores célébrant la divinité de la nature et de son lien avec les sociétés humaines. Néanmoins, tous, dans la communauté hindoue ne perçoivent pas la nature d’un point de vue aussi divin. La divinisation nature y est alors parfois occulté au profit seul de la dévotion culturelle.
Il apparaît que la compréhension rituelle hindoue prédomine aujourd’hui au dépend des lois basiques de respect pour la nature. Maintenant, les Hindous se baignent dans les rivières par peur de rompre la tradition et pour éviter la colère divine, mais sans reconnaître le caractère spirituel de la rivière et le respect pour son environnement. La plupart des Hindous n’ont plus conscience des règles des bains rituels éditées par les Écritures, qui supposent devoir s’y baigner dans un état de pureté physique alors qu’aujourd’hui, ils le font au milieu des excréments humains, déversés dans les rivières.
Seul le rituel reste intact. Le Gange n’est plus « pur », mais le bain rituel est toujours considéré comme vital. Il en résulte une trop forte différenciation entre « l’impureté » et la « saleté ». C’est pourquoi de nombreux dévots ne prennent pas en compte le problème de la pollution au sérieux. Leur interaction ne se fait pas avec la rivière « physique » mais avec la rivière « divinisée ». C’est ainsi que l’état actuel des rivières est sans importance pour ceux qui les considèrent comme sacrées. Ce problème environnemental peut également puiser ses racines dans la théologie hindoue où le physique (maya) n’est pas réel mais une illusion. Une croyance encore fortement ancrée dans la mentalité hindou où le monde n’est pas ce qu’il est.
Face à ce scénario inquiétant, des organisations tentent de sensibiliser les Indiens aux problèmes des rivières. Parmi elles, Green Kumbh, regroupant des leaders religieux en partenariat avec des ONG, des écoles et le gouvernement. Green Kumbh concentre son action sur la plantation d’arbres, l’aménagement de toilettes et la gestion des déchets solides au cours de la Mela. Malheureusement, elle n’aborde pas les questions de bains dans les rivières, d’offrandes solides aux fleuves et d’autres rites, tout comme le problème des évacuations des égouts dans ces rivières. Le programme cherche à embellir la zone du Prayag pour une « Kumhb verte et propre » mais cela ne reste que théorique. Ces initiatives engendrent aussi un danger fondamentalisme et communal puisqu’elles sont dirigées par les chefs religieux hindous. Toutes les religions sont concernées par l’état des rivières en Inde bien que le rôle des leaders religieux est important. Mais quelques unes n’hésitent pas à se lancer dans l’œcuménisme dans le seul intérêt des rivières sacrées et indiennes.
Julien Lathus