Une semaine après l’attaque de Pulwama qui a coûté la vie à plus de 40 de ses soldats au Cachemire, l’Inde continue à tenir le Pakistan pour responsable de cette attaque et maintient la pression sur son voisin. Alors que l’idée d’une intervention militaire reste sur le tapis, l’Inde lance un nouveau train de sanctions envers le Pakistan, touchant l’hydrologie et le sport. Face aux positions indiennes, le Pakistan campe sur sa ligne traditionnelle, rejetant les accusations et promettant de se défendre en cas d’attaque. Bilan d’une semaine de tractation.
Alors que l’Inde mesure encore les possibilités d’une réponse militaire à apporter contre le Pakistan dans le cadre de sa « vengeance », le pays amplifie sa politique d’isolement du Pakistan. Dans la rue ou dans les médias, l’Inde appelle ses dirigeants à la plus grande intransigeance envers le Pakistan et demeure dans l’expectative d’une opération militaire. Face à la situation, le premier ministre indien sait qu’il joue gros à quelques mois du scrutin où il joue sa réélection. Pourtant, son panel d’options militaires ne bénéficie pas d’un spectre élargi alors que le Pakistan est en alerte rouge tout le long de la frontière qu’il partage avec son voisin. Reste alors le terrain des sanctions, déjà marqué par le retrait de la clause de « nation la plus favorisée » pour le Pakistan, où avec plus ou moins de succès, l’Inde poursuit son opération d’isolement du Pakistan.
L’Inde veut assécher le Pakistan
Jeudi, l’Inde a appelé à couper la distribution fluviale en direction du Pakistan pour assécher le pays. Cette nouvelle idée de sanction envers le Pakistan pour son rôle supposé dans l’attaque de Pulwama a été annoncé par le ministre indien des transports, Nitin Gadkari. « Notre gouvernement a décidé qu’il allait cesser le partage des eaux qui coulent au Pakistan. Nous allons détourner les rivières et en faire profiter les populations du Punjab et du Jammu et Cachemire » a t-il écrit sur Twitter.
Cette action peut apparaître comme la plus forte de l’Inde en représailles à l’attaque de Pulwama. Une guerre de l’eau totale serait dévastatrice pour les millions de personnes qui au Pakistan, comme en Inde dépendent des rivières. Cette dernière menace, annoncée sans détails sur la manière de s’y prendre pour détourner les eaux des rivières qui coulent au Pakistan. Un travail qui s’annonce titanesque, si énorme que la menace n’est pas prise très sérieusement du côté pakistanais.
Par le biais de la Commission des Eaux de l’Indus, le Pakistan parle d’une simple « tentative d’intimidation ». « L’Inde n’a pas les capacités d’arrêter ou de détourner nos eaux » explique Sheraz Memon de cet organisme d’état. « Cette décision n’est rien d’autre qu’une vaine menace » reprend-t-il.
En 1960, l’Inde et le Pakistan ont signé le Traité des Eaux de l’Indus qui prévoit un partage des eaux se jetant dans ce fleuve entre les 2 pays. Selon cet accord, New Delhi bénéficie du contrôle des rivières Sutlej, Beas et Ravi alors que le Pakistan obtient celui de la Jhelu, du Chenab et de l’Indus. Sous la protection de ce traité, le Pakistan contrôle parfaitement les eaux qui coulent sur son territoire et l’Inde ne peut le contester.
Pour Brahma Chellaney, professeur au Center for Policy Research à New Delhi et spécialiste du traité des eaux indo-pakistanais, l’Inde cherche à mieux occuper son bassin hydraulique de l’ouest avec des idées de barrages, de centrales ou de zones d’irrigation. Donc rien de nouveau, si ce n’est de placer les projets existants dans une perspectives de décisions punitives envers le Pakistan. « Cette déclaration du gouvernement indien est une manière de montrer au pays qu’il fait des choses. C’est juste de la rhétorique pour nourrir le sentiment anti-pakistanais » explique-t-il.
Un coup porté à la diplomatie du cricket et le revers de bâton du CIO
Dans les stades de cricket indiens, des portraits de la légende du cricket pakistanais Imran Khan, aujourd’hui premier ministre ainsi que d’autres joueurs pakistanais ont été retirés. « Nous respectons les sentiments du peuple d’Inde qui est en colère vis-à-vis de ce qui s’est passé au Cachemire. En signe de protestation, nous avons retiré toutes les photos des joueurs pakistanais dans nos stades » a expliqué Ajay Tyagi, trésorier de la Punjab Cricket Association. Un geste jugé regrettable par la fédération de cricket du Pakistan. « Nous avons toujours cru et mis en avant que le sport et la politique devraient être maintenus à part. L’histoire nous enseigne que les sports, particulièrement le cricket, ont toujours joué un rôle-clé pour établir des passerelles entre les peuples » a répondu Wasim Khan, directeur du Pakistan Cricket Board dans un communiqué.
En revanche, mauvaise stratégie pour l’Inde, épinglée par le Comité International Olympique (CIO) pour avoir refusé d’accorder les visas à 2 tireurs pakistanais devant participer à une épreuve des championnat du monde à New Delhi cette semaine. Le CIO a déclaré que le refus de visas pour des compétiteurs allait à l’encontre des principes de l’olympisme relatif à la discrimination et aux interférences politiques du pays-hôte.
« Quand nous avons été mis au courant de cette affaire, et en dépit d’intenses négociations jusqu’à la dernière minute, aucune solution n’a pu être prise pour permettre l’entrée de la délégation pakistanaise en temps pour concourir » explique un communiqué qui annonce néanmoins une sanction envers l’Inde pour ce refus de visa. « En conséquence, le CIO a décidé de suspendre toutes les discussions avec le Comité National Olympique Indien consécutives à l’accueil de futurs événements sportifs internationaux en Inde » regrette le CIO qui demande à toutes les fédérations internationales de ne pas tenir des compétitions en Inde, sans un accord formel du gouvernement indien assurant l’accès au pays pour tous les athlètes sans distinction.
La décision est un coup dur pour l’Inde qui avait annoncé l’année dernière une ambitieuse feuille de route pour devenir le pays-hôte de manifestations sportives internationales telles que les Olympiades de la Jeunesse en 2016, les Jeux Asiatiques en 2030 et les Jeux Olympiques d’Été de 2032.
« Exposer les liens du Pakistan avec le terrorisme international à la face du monde »
L’Inde maintient également la tension sur le cas de Masood Azhar, le chef du Jaish-e-Mohammad et plus généralement sur les liens qu’entretient le pouvoir pakistanais avec différents groupes islamistes armés responsables d’attaques contre l’Inde. Le gouvernement de Narendra Modi redouble alors d’efforts auprès de divers instances internationales pour maintenir la pression sur le Pakistan et faire du pays un paria sur la scène mondiale.
Et sur ce point, l’Inde pourrait réussir à nuire au Pakistan. Le long double jeu des autorités pakistanaises sur ses liens avec les groupes terroristes qui participent à la déstabilisation du Cachemire indien exaspère tant en Inde qu’aux USA. Même le Pakistan a payé le prix fort de ce double-jeu avec des dizaines de milliers de morts sur son sol depuis 2002 mais les services de renseignements et l’armée continuent de protéger certains groupes qu’ils jugent essentiels à leur politique au Cachemire. Il en résulte une image d’un Pakistan difficilement crédible dans ses discours de lutte contre le terrorisme. Dans certains faits non plus.
A ce jour, Masood Azhar est libre de ses mouvements au Pakistan et il se permet même d’intervenir dans cette affaire. Hier dans son communiqué hebdomadaire, il a mis en garde le gouvernement pakistanais de prendre toute action contre lui et de ne pas céder à la pression indienne, critiquant le gouvernement et les médias d’avoir peur de l’Inde. « La réponse du Pakistan aux menaces du premier ministre indien Narenda Modi dans le sillage de l’attaque de Pulwama est plutôt tiède et terne. Cela revient à montrer que le Pakistan a peur de l’Inde » analyse-t-il dans son communiqué.
Face à la situation, le Pakistan a décidé d’agir et contre toute attente, ce n’est pas contre le Jaish-e-Mohammad et son chef mais contre le Jamat-ud-Dawa d’Hafiz Saeed, une organisation politico-religieuse vitrine qui couvre en fait le Lashkar-e-Taiba, un groupe interdit au Pakistan et responsable de nombreuse attaques contre l’Inde dont l’attentat de Mumbai qui tua plus de 130 personnes en 2008. Face aux pressions internationales et par crainte de voir le pays inscrit sur la liste noire des pays soutenant financièrement le terrorisme par le Groupe d’Action Financière, le Pakistan a annoncé l’interdiction du Jamat-ud-Dawa (JuD) et de son organe de charité Falah-e-Insaniat Foundation (FIF)
Hafiz Saeed, principal suspect des attentats de Mumbai et dont la tête est mise à prix pour 10 millions de $ par les USA n’est pas inquiété personnellement par cette interdiction, et en conséquence, cette annonce n’a pas réussi à impressionner New Delhi. « C’est du maquillage et cela ne vaut rien tant que les membres du JuD et du FIF recherchés pour terrorisme ne seront pas arrêtés et que leurs fonds et avoirs seront gelés et saisis » a déclaré un haut fonctionnaire.
Le Pakistan offre son aide à l’Inde mais promet de se défendre en cas d’attaque.
Sur le plan diplomatique bilatéral, les tensions demeurent vives, sans impression d’une réelle désescalade depuis une semaine. Mardi, le premier ministre pakistanais Imran Khan est sorti de sa réserve et a enfin pris la parole pour rejeter les accusations indiennes liant le Pakistan à l’attaque de Pulwama. « Le Pakistan tient à offrir toute son aide pour enquêter sur Pulwama. Il est de notre intérêt que personne n’utilise notre sol pour répandre la violence. Je veux dire au gouvernement indien que nous prendrons toute les mesures nécessaires si des preuves contre un Pakistanais sont trouvées » explique-t-il sur Radio Pakistan.
Si Imran Khan se propose d’offrir l’aide du Pakistan à l’Inde dans cette affaire, il avertit toutefois son voisin de ne pas se lancer dans une action « aventureuse » visant à menacer la souveraineté territoriale pakistanaise. « Nous entendons par le biais des médias indiens des politiciens hurler que le Pakistan devrait prendre une bonne leçon, qu’une vengeance devrait être entreprise… C’est une année électorale en Inde et nous comprenons que s’en prendre au Pakistan permet d’engranger des points. Si vous lancez une attaque contre le Pakistan, le Pakistan se défendra » continue-t-il en cherchant à contrebalancer les accusations et les menaces indiennes.
« Le Pakistan n’aura pas d’autre choix que de répondre. Nous savons qu’il est facile de commencer une guerre mais qu’il est plus dur de la faire s’arrêter. Dans quelle direction tout cela va aller, seul Allah le sait. En attendant, j’espère que le bon sens l’emportera et que nous utiliserons notre intelligence et notre sagesse ».
Une réponse qui n’aura pas apaisé les tensions puisque l’Inde s’est rapidement offusquée du discours d’Imran Khan. Dans un communiqué, le ministère indienne des affaires étrangères a qualifié de « piètres excuses » les demandes d’Imran Khan de fournir des preuves de l’implication pakistanaise, ajoutant que le Pakistan devrait plutôt prendre des actions sérieuses contre les groupes terroristes établis sur son sol.
Le gouvernement indien a quant à lui trouvé regrettable les propos d’Imran Khan qui insinuent que la réponse de l’Inde à cette attaque est déterminée par les échéances électorales à venir. « L’Inde rejette ces fausses allégations. La démocratie indienne est un modèle dans le monde, ce que la Pakistan ne pourra jamais comprendre. Le Pakistan devrait arrêter de mener la communauté internationale par le bout du nez et de prendre des actions concrètes contre les auteurs de l’attaque de Pulwama et contre tous les groupes terroristes qui utilisent son sol » lit-on dans le communiqué gouvernemental.
Jeudi, alors que l’attente de la réponse militaire indienne se fait encore attendre, plongeant la région dans la tension, le premier ministre pakistanais a indiqué que « le gouvernement pakistanais était déterminé à montrer qu’il est capable de protéger ses citoyens » à l’issue d’une réunion de haute sécurité mêlant civils et militaire. Pour se faire, un communiqué signale qu’Imran Khan autorise les forces armées pakistanaises à répondre sans crainte et efficacement à toute tentative d’agression de la part de l’Inde.
Sur le terrain, l’armée pakistanaise se prépare à toute éventualité, dont celle de l’option militaire indienne. Le long de la Ligne de Contrôle, qui sépare les 2 pays, les escarmouches entre les militaires des 2 camps se poursuivent et selon l’Inde « montrent une activité inhabituelle ». Seul signe d’apaisement, assez surréaliste au demeurant, la reprise totale du commerce transfrontalier entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire.
Julien Lathus