L’escalade des violations de cessez-le-feu entre l’Inde et le Pakistan

Ce vendredi 23 novembre, des commandants indiens et pakistanais en poste à la frontière ont organisé une rencontre, un de ces fameux flag meetings pour parler des questions de la gestion frontalière. Ce rendez-vous intervient après quelques semaines particulièrement agitées sur le long de Ligne …

Ce vendredi 23 novembre, des commandants indiens et pakistanais en poste à la frontière ont organisé une rencontre, un de ces fameux flag meetings pour parler des questions de la gestion frontalière. Ce rendez-vous intervient après quelques semaines particulièrement agitées sur le long de Ligne de Contrôle (LoC) qui fait office de frontière entre les 2 pays dans la région du Cachemire. Indiens et Pakistanais s’accusent régulièrement de violation du cessez-le-feu qui est censé prévaloir dans le conflit qui oppose ces 2 frères ennemis depuis 2003 et qui a été réaffirmé le 29 mai dernier après de longs mois d’escarmouches. Depuis un mois, l’armée indienne indique que 5 de ses soldats ont été tués par des violations pakistanaises.

L’équipe indienne, menée par le brigadier V S Sekhon et celle pakistanaise sous l’égide du brigadier Qaiser ont parlé du maintien de la paix le long de la frontière et de la prévention des infiltrations depuis le Pakistan. Ils se sont également accordé sur la nécessité d’établir plus de mesures de confiance entre les 2 armées et de respecter l’accord du 29 mai dernier dans un atmosphère qualifié de « cordial et amical ».

Pointant du doigt le Pakistan pour les dernières violations, certains membres du gouvernement comme le ministre de l’intérieur adoptent un discours de fermeté. « Fini est le temps de brandir un drapeau blanc en dépit de l’attitude du Pakistan. Maintenant, notre politique est : une balle pakistanaise tirée ouvrira à une contre-attaque de 100 » lance Rajnath Singh samedi en soulignant que le gouvernement Modi avait donné carte blanche aux forces armées indiennes pour réagir en cas d’attaque venant du Pakistan.

Une dangereuse escalade

Ces dernières années, le nombre de violations du cessez le feu entre l’Inde et le Pakistan a explosé le long de la frontière qui divise la région du Cachemire et qui cristallise toutes les tensions depuis 1947 entre les 2 puissances militaires. Depuis des décennies, cette région himalayenne est l’une des zones les plus militarisées au monde. Après la dernière guerre entre l’Inde et le Pakistan en 1999 sur les hauteurs du Kargil (à plus de 5000 mètres d’altitude), le jeu armée sur la frontière a été plutôt calme avec peu d’infractions après la signature d’un cessez-le-feu en 2003.

A partir de 2011, le clame relatif qui régnait a commencé à s’effriter et les canons indiens comme pakistanais se sont mis à résonner à nouveau dans les vallées du Cachemire le long de la Ligne de Contrôle. Presque tout le long de l’année 2013, des escarmouches régulières ont opposé les 2 armées dans ce qui a été annoncé comme les « pires combats dans la région depuis 10 ans ». Avec une vingtaine de soldats tués ainsi que quelques civils, ces violations du cessez-le-feu de 2011 ne sont rien à comparer avec engrenage actuel.

Entre juillet 2014 et novembre 2015, nouvelle poussée de tension sur la LoC. Une trentaine de soldats et surtout environ 80 civils des deux pays ont trouvé la mort dans cette phase qui a fait monter la pression autour de la frontière. Inde et Pakistan se sont alors rejetés la faute de la première agression ayant entraîné ces tensions.

Rebelote en 2016. Le 18 septembre, 4 militants ont attaqué le QG de l’armée indienne à Uri, près de la frontière. Résultat : 23 morts, dont les assaillants et près de 30 blessés. Accusant des groupes terroristes basés au Pakistan, l’Inde se donne le droit de réponse qui intervient le 29 septembre, 11 jours après l’attaque. Ce jour là, l’Inde conduit des frappes ciblées contre les groupes terroristes plusieurs kilomètres après sa frontière. L’incursion fait bondir le Pakistan et les 2 pays s’enfoncent à nouveau dans une crise de plusieurs mois le long de la LoC.

Inaugurée par le raid indien au Pakistan, cette nouvelle phase de tensions est beaucoup plus meurtrière puisque 61 soldats indiens et 67 militaires pakistanais trouvent la mort entre l’automne 2016 et la fin du printemps 2018. Plus de 150 civils ont également trouvé la mort dans des échanges de coups de feu et de tirs de mortiers.

Ce qui frappe le plus, au delà du nombre de victime est la multiplication des violations de cessez-le-feu le long de la LoC. Leur comptabilité se base sur les chiffres officielles des 2 pays qui différents selon leur définition d’une violation du cessez-le-feu. Quand l’Inde en a compté 3 en 2006, le Pakistan en répertorie 9. Jusqu’en 2012, moins de 100 violations était référencées par les 2 pays. Puis à partir de cette date, on observe une véritable escalade. En 2013, l’Inde en compte 347, le Pakistan 464. Les années qui suivent demeurent relativement stables, ne dépassant pas les estimations de 600 violations.

A la suite du raid d’Uri et des frappes indiennes au Pakistan fin 2016, les chiffres se sont envolés. Pour 2017, l’Inde parle de 881 violations du cessez-le-feu alors que le Pakistan en compte presque 1300. Si le Pakistan n’a pas donné de chiffres pour 2018, l’Inde pour sa part compte 1432 violations de janvier à juillet 2018, soit près du double que pour toute l’année 2017. Si les victimes continuent de s’accumuler de chaque côté, c’est en dépit de la volonté, du moins sur papier, de mettre un terme aux accrochages comme l’on montrer les deux pays le 29 mai dernier en s’engageant sur « un respect total de l’accord de cessez-le-feu de 2003 ».

Si ces derniers mois apparaissent comme un peu plus calmes suite aux engagements de mai, nous restons tout de même face tant à une hausse du nombre des violations que celui des victimes. Pour le chercheur français spécialiste de la région Christophe Jaffrelot, les causes de cette hausse sont à chercher du côté de la politique internationale de l’Inde et du Pakistan. Il montre comment les violations de cessez-le-feu ont drastiquement chuté en 2003 quand le président pakistanais de l’époque, Pervez Musharraf a fait le nécessaire pour éviter les infiltrations de militants islamistes ou (et) indépendantistes du côté indien. Cette politique visant à mener vers des pourparlers de paix de haute importance fut stoppée par les attaques de Mumbai de 2008 qui mirent un frein total à cette dynamique.

Plus récemment, Christophe Jaffrelot explique que le tournant des tensions sur la LoC date de 2013, quand le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a fait part de son désir de relancer le processus de dialogue entre l’Inde et son pays. Cette démarche fut torpillée par l’armée pakistanaise qui décida de créer un climat de tension par des violations du cessez-le-feu afin de rendre les espoirs de dialogues de paix impossible.

Du côté indien, il observe une attitude plus dure de l’Inde contre le Pakistan comme en témoignent les frappes au Pakistan en septembre 2016. Les Indiens pensaient alors dissuader les Pakistanais d’organiser des infiltrations. Il n’en a rien été. Et c’est une spirale de violations du cessez-le-feu qui s’est emparée du Cachemire. Elles se sont calmées seulement en mai 2018 après un énième accord entre les 2 pays. Au Pakistan, le chercheur analyse une attitude plus modérée de l’armée avec le général Bajwa, plus soucieux des problèmes de société et qui a succédé à Raheel Sharif. Une attitude qui va de pair avec le discours du premier ministre pakistanais Imran Khan.

Pourtant, rien n’est gagné le long de la frontière entre les 2 frères ennemis. L’Inde et le Pakistan semblent avoir besoin de plus de mesures de confiance pour rétablir un cessez-le-feu effectif dans la région. Il s’agit de la condition première à l’idée d’un reprise du dialogue. Entre temps, un rien peut entraver le processus de pacification le long de la LoC et chaque jour qui passe ce fait dans l’angoisse d’un dérapage.

Julien Lathus

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