A 55 ans, Sriangaiah est un expert de la route. Jour après jour, au volant de son ambulance, il se faufile dans le trafic chaotique de la ville de Bangalore dans le sud de l’Inde. De par son métier, il brûle délibérément les feux rouges et fonce à contre-sens dans les rues à sens unique. Souvent, il force le passage dans l’enchevêtrement des nombreux véhicules que la croissance indienne à mise en circulation.
Dans les bouchons de Bangalore, Sriangaiah tient son métier depuis 19 ans. Il est ambulancier pour l’Institut de Cardiologie Jayadeva, un centre hospitalier d’état où la classe moyenne indienne se fait soigner. Lorsqu’il reçoit l’ordre de prendre en charge un patient atteint d’une crise ou d’un arrêt cardiaque, il fonce jusqu’à l’adresse indiquée aussi vite que lui permet le trafic. Une fois sur les lieux, le trajet vers le centre d’urgence de l’hôpital est une course avant que le patient ne succombe.
Ces courses à Bangalore, comme dans n’importe quels autres grands centres urbains que compte l’Inde ne présente pas les conditions les plus aisées pour secourir une personne en proie à un problème cardiaque. Les livreurs de pizzas, sur leurs deux-roues arrivent plus facilement à évoluer dans la densité des automobiles, bus et autres véhicules, et sont souvent plus rapides que les ambulances. Dans le cas de la santé, les hélicoptères ne sont rarement engagés sur le terrain, sauf en cas de catastrophes naturelles.
« Conduire une ambulance dans cette ville est extrêmement stressant » explique Mr. Sriangaiah qui lutte dans un trafic à couper au couteau où la vitesse de pointe n’excède pas les 10km/h durant les pires moments de la journée. Souvent, le patient est aussi furieux qu’anxieux de l’arrivée tardive de l’ambulance et il pousse l’ambulancier à rouler le plus vite possible en direction de l’hôpital. « Je conduis aussi vite qu’il m’est possible de le faire. Ce n’est pas seulement ma profession, mais aussi mon devoir de sauver des vies » déclare-t-il. Malgré tous les efforts d’un ambulancier, d’une infirmière ou d’un docteur, un vie ne peut pas toujours être sauvée.
Lorsque Y. Ramachandra, un tailleur du quartier de Ramamurthynagar dans l’est de Bangalore fut pris de violents maux de tête après avoir glissé sur une route détrempée en moto, il appela une ambulance. Sa femme, Navarathna affirme qu’elle passa plus d’une heure à voir son mari saigner abondamment par les narines et les oreilles dans l’ambulance qui l’emmenait à l’hôpital. L’heure la plus longue de sa vie alors que le véhicule de secours fut bloqué à plusieurs reprises dans les embouteillages monstres de Bangalore. Son mari s’en est remis mais elle déclare « qu’elle fut terrorisée à l’idée de ne pas le voir survivre au transport ».
Mr. Sriangaiah conduit toutes sirènes hurlantes mais les rues congestionnées de Bangalore sont son quotidien. Dans une ville manquant de transports publics, le trafic devient de pire en pire. Les routes ont changé au cours de la dernière décennie. Il y a des feux à chaque croisement et tout le monde est pressé. « Tous ces ingénieurs informatiques sont toujours pressés parce qu’ils ont du travail » se lamente Mr. Sriangaiah.
Et puis il y a tous ces véhicules qui ne prennent pas en compte les sirènes de l’ambulance. Certains tentent des queues-de-poisson aux ambulances alors que les agents de police essayent de faire de la place sur la voie. Quelques fois, le personnel d’ambulance utilise un mégaphone pour supplier aux automobilistes de leur faire de la place.
Linga Kumar conduit une ambulance pour le compte de l’Hopital d’Etat Sanjya Gandhi. Il prend en charge les personnes victimes d’accident ou de traumatismes divers. « Sikkapatte traffic » s’exclame-t-il en anglais, en utilisant une expression en langue kannada locale qui décrit un nombre excessif de véhicules sur une route. « Une distance que je pouvais parcourir en 10 minutes il y a 5 ans met prend maintenant plus de 30 minutes » remarque-t-il.
Le nombre de véhicule en circulation fait de Bangalore la seconde ville indienne la plus congestionnée après New Delhi, mais la ville du sud ne possède qu’une infime partie des infrastructures de transport de la capitale indienne. Une situation telle, qu’il arrive parfois que la famille d’une personne nécessitant des soins, fatiguée d’attendre, envoie un patient à l’hôpital en pousse-pousse motorisé.
La situation est telle que parfois des excès de colère explosent. Récemment, alors qu’il transportait un patient victime d’une crise cardiaque, Mr. Sriangaiah a accroché une voiture sur la route. La voiture bloquait l’ambulance et les esprits se sont échauffés. L’ambulancier a finalement opté pour le calme, « dans l’intérêt du patient ». Mr. Sriangaiah se fait fréquemment contrôler sa tension pour s’assurer que le stress que son travail occasionne n’affecte pas trop sa santé.
Les autorités de régulation de la circulation de la ville sont impuissantes pour faire de la place aux ambulances. Si la Centrale de Police du Trafic est en alerte, les agents sur le terrain peuvent recevoir l’ordre de faire de la place. Chaque officier peut alerter son camarade placé au carrefour suivant et la situation pourrait s’améliorer. L’idée de couloirs dédiés aux ambulances serait également à l’étude. Des panneaux de signalisation annonçant le passage d’ambulance pourraient également voir le jour. « Un ambulancier ne peut sauver des vies si il est seul » admet un autre professionnel.
Julien Lathus.