L’édito du 3 juillet – L’Afghanistan, l’Inde et le Pakistan.

Alors que les forces de l’OTAN vont quitter l’Afghanistan l’année prochaine, de nombreuses incertitudes planent sur le destin de ce pays dont l’instabilité et la guerre ont été le lot quotidien de ces 3 dernières décennies. Depuis le 11 septembre 2001 et le début du …

Alors que les forces de l’OTAN vont quitter l’Afghanistan l’année prochaine, de nombreuses incertitudes planent sur le destin de ce pays dont l’instabilité et la guerre ont été le lot quotidien de ces 3 dernières décennies. Depuis le 11 septembre 2001 et le début du conflit en Afghanistan, c’est toute la région qui a été impliquée dans la guerre contre la terreur. Après plus de 12 ans de combats, les USA, meneurs de cette guerre, ont finalement accepté de discuter avec les Talibans. Mais en changeant d’échelle et en s’intéressant au cadre régional, est-ce-que une détente des relations indo-pakistanaises pourrait aider à la résolution du conflit afghan ?

L'année prochaine, les troupes de l'OTAN quitteront l'Afghanistan, un pays dont l'instabilité laisse craindre le pire.

L’année prochaine, les troupes de l’OTAN quitteront l’Afghanistan, un pays dont l’instabilité laisse craindre le pire.

Si l’Inde elle aussi, pourtant aux premières portes de la menace talibane, reconnaît que le rôle des Talibans est essentiel au processus de paix en Afghanistan. Hier, Salman Khurshid, le ministre indien des affaires étrangères a déclaré que l’Inde soutenait les efforts pour établir un dialogue avec tous les groupes armés d’opposition, « dont les Talibans ». Cette déclaration se pare d’une certaine nuance puisque New Delhi rejette les distinctions occidentales entre les « bons » et les « mauvais » Talibans, cherchant ainsi à tous les inclure dans le processus de dialogue.

Drôle de paix pour une drôle de guerre, qui souligne un certain constat d’échec des forces internationales comme celui de la souveraineté nationale recherchée par le président afghan Hamid Karzai. Pourtant, à y regarder de plus près, une autre voie vers la stabilité afghane pourrait intervenir sur la compréhension des enjeux régionaux. Pour le journaliste et historien britannique William Dalrymple, l’hostilité vieille de 60 ans entre l’Inde et le Pakistan repose au cœur du conflit afghan.

Si la plupart des observateurs occidentaux voient ce conflit comme une bataille entre d’un côté l’OTAN et de l’autres les Talibans et Al-Qaida, il semblerait que cette réalité ne soit plus du tout d’actualité, dans le sens où cette vision n’implique que des préoccupations occidentales. Pour Dalrymple, les troupes de l’OTAN sont coincées dans une guerre complexe façonnée par 2 conflits antérieurs : l’un interne, l’autre régional.

Si la guerre en Afghanistan est principalement vu comme une rébellion de l’ethnie Pashtoune contre le régime du président Hamid Karzai (pourtant lui même Pashtoune) et ses alliées Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras. Cette colère se place en réaction à la perte de pouvoir des Pashtounes en 2001 et face au statut de marionnette de Washington qui auréole la position du président afghan. Avec l’appui ethnique de l’OTAN, la configuration d’une guerre civile est plus que palpable. Aujourd’hui, les Tadjiks représentent 27 % de la population afghane mais composent 70 % des officiers de l’armée nationale. Écartés des postes-clés, les 40 % de Pashtounes d’Afghanistan se sont alors tournés vers les Talibans, sous la forme d’une certaine sympathie jusqu’à l’allégeance de type féodale.

Au-delà des enjeux typiquement afghans, l’hostilité indo-pakistanaise reste une immense source d’instabilité pour la région. De nombreux élément mettent en parallèle la bonne forme des Talibans en Afghanistan avec le soutien qu’ils reçoivent de la part du Pakistan. Politiquement, les généraux pakistanais craignent de voir émerger un régime pro-indien en Afghanistan alors que l’Inde s’investit dans la reconstruction du pays. Avec la chute des Talibans en 2001, le gouvernement afghan est devenu un allié de l’Inde, nourrissant ainsi les pires craintes des services secrets du Pakistan pour qui l’Afghanistan est un terrain de leurs prétentions.

Historiquement, les généraux pakistanais ont longtemps considéré les djihadistes comme un moyen peu coûteux et discrets pour bénéficier d’un certain contrôle sur l’Afghanistan et pour mener des opérations contre l’Inde au Cachemire. Depuis quelques années, la donne a changé et le général pakistanais Parvez Kayani est aujourd’hui conscient des menaces que font planer les Talibans dans son propre pays.

L’Afghanistan devient donc un terrain de guerre par procuration entre l’Inde et le Pakistan et le destin de ce pays dépend de ce que l’Inde décidera de faire après le départ des troupes internationales. Il n’est pas clair pour le moment si le gouvernement indien va choisir de jouer un rôle plus accru comme le voudraient les USA. Certains Indiens pensent que renforcer leur rôle militaire en Afghanistan permettrait de combler le vide laissé par l’OTAN, de s’assurer des intérêts régionaux, de contrer l’influence chinoise et d’affaiblir le Pakistan sur ce terrain.

Les efforts du premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, pour sensibiliser l’Inde peuvent atteindre l’oreille des modérés à Delhi. Ce qui est sur, c’est que le futur pour ces 3 pays, pris dans un triangle mortel de méfiance et de compétions serait plus lumineux si l’Inde et le Pakistan venaient à entrevoir l’instabilité afghane comme un défi mutuel pour agir de concert à sa reconstruction plutôt qu’à en faire un terrain de lutte à distance.

Julien Lathus.

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