Le week-end dernier, les Chiites du monde entier ont célébré le deuil de l’Ashoura. Que connait-t-on réellement de cette minorité de l’Islam ? Traditionnellement, les médias ne s’intéressent à cette communauté que pour traiter de violences qu’elle engendre ou qu’elle subit et une fois à l’année, pour montrer sans explications des fidèles qui se flagellent, leur conférant ainsi une vision rétrograde, obscure et violente. On en oublierait presque que cette célébration se pare de codes complexes à l’esthétisme fort mais raffiné.
Tout d’abord, il faut comprendre qui sont les Chiites. Faisons brièvement. Ils sont issus de la première rupture interne à l’Islam datant de 658. Partisans d’une direction politique de l’Islam fondée sur l’hérédité, ils s’opposent aux futurs Sunnites qui eux cherchent une direction nominative. A cette époque, les membres de la famille du Prophète : Ali, cousin et gendre de Mahomet et ses fils Hassan et d’Hussain revendiquent la direction de la communauté musulmane. En 680, la famille est anéantie en Irak par les armées omeyyades. Ce massacre sera le moment fondateur du rite chiite de l’Ashoura, qui célèbre tous les 10 muharram (premier mois du calendrier musulman) le martyr d’Hussain et sa famille.
Les Chiites sont aujourd’hui une minorité dans de nombreux pays musulmans bien qu’ils soient majoritaires en Iran, en Irak, en Azerbaïdjan et à Bahreïn. En Inde, au Pakistan et au Bangladesh, ils représentent entre 10 à 15 % des Musulmans. Dans cette région indienne, les Chiites ont depuis le XVIè siècle élaborés une série de rituels dans la commémoration de l’Ashoura qui les différencient des pratiques arabes et iraniennes. Indiens de fait, ils sont marqués par une présence discrète de l’hindouisme qui se révèle dans une certaine tolérance et une effervescence religieuse toute indienne qui se caractérise par beaucoup de bruits et d’exubérance.
Si les médias se focalisent sur les séances de flagellation, les célébrations de l’Ashoura ne sont pas que ça dans le monde indien. Tout d’abord, le deuil dure 10 jours et se clôturent par ce fameux jour de l’Ashoura. Durant les 10 jours du Muharram, les fidèles, vêtus de noir se réunissent quotidiennement dans des imambara (bâtiments destiné aux cérémonies commémoratives chiites), pour y entendre les récitations sur la mort d’Hussain, à laquelle on ajoute aussi des éléments de la vie d’Hassan et d’autres saints. Tout ce qu’on lit, récite ou chante est exécuté avec un ton et des gestes propres à exalter l’émotion dans le cœur des auditeurs. A chaque pause, les gens qui composent l’assemblée frappent leurs poitrines en prononçant alternativement les noms d’Hussain et d’Hassan.
Parmi ces récitations, la plus importante est le long poème épique sur la bataille de Kerbala et le supplice d’Hussain écrit par un poète de Lucknow au XIXè siècle. C’est ce que l’on nomme en ourdou, le marsiya. D’un point de vue linguistique, le marsiya est une grande composition employant une belle diction et des figures classique de la versification ourdoue. Rien de comparable ne peut être trouvé dans les littératures arabes ou persanes.
Le dixième jour est celui de l’anniversaire des martyrs. La journée commence de bonne heure et des bougies sont allumées. Les dévots se rendent au lieu symbolique de Kerbala en une immense procession et les ta’ziya (réplique du tombeau d’Hussain) sont de sortie. Toutes les 5 minutes, la procession s’arrête pour des chants rythmés par les flagellations. Les grandes villes du sous-continent réunissent pour l’occasion des dizaines de milliers de participants. A la nuit tombée, l’arrivé au Karbala signifie la mise en terre des ta’ziyah. C’est à ce moment que les tensions entre les Chiites et les Sunnites peuvent éclater.
Cette année, les violences parallèles à ces célébrations n’ont pas épargné la communauté chiite. Si quelques échauffourées – traditionnelles ?- ont émaillé les processions et les rassemblements en Inde et au Bangladesh, le Pakistan a été le théâtre de plusieurs attentats anti-chiite, dans la continuité de la persécution quotidienne que connait adorateurs d’Ali et d’Hussain
Les extrémistes ont mis tous les moyens en œuvre pour intimider les Chiites. Cette année, nous avons vu l’émergence de menaces numériques au Pakistan. Plusieurs leaders chiites ont reçu des SMS anonymes appelant à la violence contre leur communauté. « Tuez, tuez les Chiites » pouvait-ton lire sur l’un d’entre eux. En réponse, le gouvernement pakistanais bloqué les communications en limitant les réseaux de téléphonie et internet durant les cérémonies de l’Ashoura. Face aux menaces d’attentats suicide, les autorités ont également bannis les motos. Néanmoins, cette guerre de croyance a coûté la vie à une soixantaine de Chiites dans divers attentats dont celui de Rawalpindi avec ses 23 morts alors que la ville accueillait le rassemblement du D-8.
Les persécutions envers les Chiites du Pakistan ne se manifestent pas qu’à l’occasion de l’Ashoura. Depuis le début des années 1990, près de 4000 d’entre eux ont trouvé la mort dans des attaques sectaires et ce rythme connait une accélération ces dernières années. Ces violences sont largement commentées dans la presse pakistanaise et indienne qui s’interroge sur les manières de mettre fin à ces carnages que certains considèrent comme un génocide.
Sources :
Al Jazeera (Qatar) en VO.
Pak Tribune (Pakistan) en VO.
Julien Lathus