Plus de cent personnes sont mortes depuis la fin de semaine dernière à Malvani, l’un des plus grands bidonvilles de Mumbai. La cause : le fameux « antigel maison » nommé Moonshine, vendu 20 à 30 roupies pour une bouteille de 180 ml, soit entre 30 et 45 centimes d’euro. Cette vague est également responsable de l’hospitalisation de 64 autres personnes, parmi lesquelles, certaines sont considérées dans un état critique.
Ce tragique accident sanitaire a eu lieu dans la banlieue nord de la capitale économique et financière de l’Inde quand des résidents ont acheté et consommé de l’alcool de contrefaçon provenant d’artisans locaux. La très forte concentration de méthanol contenue dans les breuvages a envoyé une centaine de consommateurs à l’hôpital pour des difficultés respiratoires, de violents maux de ventre et des pertes de la vision. Ce mardi, le bilan dépasse déjà la précédente catastrophe de consommation d’alcool de contrefaçon qui avait tué 89 personnes dans le quartier de Vikhroli à Mumbai en 2004.
Dés mercredi 10 juin, des dizaines de personnes se sont présentées dans des hôpitaux de la ville. Le lendemain, les premières mouraient. Ce mercredi, une semaine plus tard, le bilan s’élève à 104 morts. « Mon mari, Ramesh était un alcoolique qui buvait chaque jour. Il me raconta qu’il avait acheté cette bouteille pour 30 roupies dans le quartier de Malvani » explique Pooja Ingle, une habitante du bidonville. « Cette boisson a tué mon mari. Mercredi, son estomac a commencé à lui faire mal et il vomissait. Je l’ai emmené à l’hôpital mais il n’ont pas pu le sauver » poursuit-elle.
Les autorités ont annoncé que 4 hommes et 2 femmes avaient été interpellés dans l’affaire et inculpés d’homicides volontaires, empoisonnements et d’incitation à la consommation. Alors que l’alcool frelaté qui a frappé la semaine dernière est en cours d’analyse, 8 policiers locaux ont été suspendu pour négligence dans cette affaire. Ils sont accusés d’avoir laissé faire le trafic sous leurs yeux.
« L’application des lois est très faible » explique Johnson Edayaranmullah, directeur du lobby Indian Alcohol Policy Alliance qui milite pour une plus grande implication des pouvoirs publics dans la lutte contre l’alcool en Inde. « Il existe une alliance contre-nature entre les autorités (la police, la douane et les politiciens) et les pourvoyeurs d’alcool » ajoute-t-il
A Mumbai, plus d’une centaine de femmes, en grande partie des veuves et des femmes d’alcooliques travaillent avec la police pour combattre la production d’alcool clandestin. Ces femmes sont devenues des informatrices qui renseignent la police sur les sources d’approvisionnement de leurs maris.
L’Inde, un pays en proie au fléau de l’antigel
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, plus de 1300 personnes sont mortes d’une intoxication à l’alcool frelaté en Inde entre 2001 et 2012. Le présence du méthanol, un antigel hautement toxique mais peu coûteux et efficace dans l’alcoolisation des corps est souvent mélangé à des distillations locales. Venant des lieux les plus pauvres et souvent ruraux, elles sont à destination des populations qui n’ont pas les moyens de se payer de l’alcool légal. Avec ses fragilités sociales et économiques, l’Inde est l’un des pays au monde où l’antigel tue le plus.
En juillet 2009, alors que l’alcool est tout simplement interdit dans l’état du Gujarat, 136 personnes étaient mortes de la consommation de liqueurs faites maison à Ahmedabad. Suite à cette tragédie, le gouverneur de l’état avait déclaré une véritable guerre à la fabrique artisanale en introduisant la peine de mort à toute personnes fabricant, stockant ou transportant de l’alcool artisanal. Toutefois, en 6 ans, personne n’a été condamné à cette sentence.
L’antigel avait tué plus de 160 personnes dans l’état du Bengale-Occidental en décembre 2011 mais la plus grande tragédie remonte à 2008, quand 180 personnes avaient trouvé la mort dans l’état du Karnataka. Dernièrement, en janvier de cette année, 25 personnes avaient trouvé la mort dans la foulée d’un match de cricket où l’alcool coulait à flot dans les faubourgs de Lucknow.
En fin d’année dernière, le Kerala qui connaît le plus fort taux de consommation d’alcool au pays, environ 8 litres par habitants et par an contre 5,7 pour la moyenne nationale, avait annoncé vouloir bannir à son tour l’alcool. Toutefois, les autorités locales avaient fait marche arrière face aux prévisions de dommages qu’infligeraient une telle décision sur le secteur du tourisme.
Julien Lathus