Ce samedi 28 septembre, les Afghans doivent se rendre aux urnes pour élire leur prochain président. Ces élections seront les quatrièmes à se tenir dans le pays depuis la chute du régime taliban à l’automne 2001. Après presque dix-huit années de conflit pour traquer les groupes inspirés par le djihad et instaurer une démocratie stable, les Afghans vont se présenter aux urnes désabusés et en proie aux doutes quant aux capacités des politiques de ramener la paix dans un pays ravagé.
Quelques 9,6 millions d’Afghans sont attendus aux urnes ce samedi pour élire leur président après une campagne marquée par un contexte fait de peur et d’incertitudes. Ils sont seize à briguer un mandat de cinq ans à la tête du pays et parmi eux, deux s’affichent comme les favoris à l’investiture suprême. Ces deux candidats sont les deux finalistes du second tour de l’élection de 2014 et les deux hommes qui ont assumé les responsabilités du pays au cours des cinq dernières années.
Deux favoris par défaut au sortir d’une campagne sous la menace des Talibans
Candidat à sa propre réélection, l’économiste Ashraf Ghani et son second, l’ophtalmologiste devenu chef de l’exécutif Abdullah Abdullah portent pourtant un faible bilan. En tant que chefs d’un gouvernement qui se voulait d’unité après le blocage post-électoral de 2014, ils n’ont pas réussi à changer la donne dans le pays et les deux hommes ont vu leur réputation se ternir au fil de leurs mandatures. Ils restent toutefois favoris des sondages en raison du manque de crédibilité de la part des autres candidats qui rassemblent pêle-mêle des anciens moudjahidins de la guerre contre les Soviétiques, des seigneurs de guerre responsables de crimes contre l’humanité perpétrés durant la guerre civile et des communistes.
Au sein d’un gouvernement qui se voulait d’unité nationale et soudé par leur faible alliance, Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah n’ont pas réussi à mettre un terme à la spirale de violence qui frappe le pays tout comme ils ne sont pas parvenus à endiguer le cycle de pauvreté généralisée qui prédomine dans le pays ni la corruption massive qui s’est accrue durant leurs mandatures. Parallèlement, le chômage a connu une forte hausse et les tensions ethniques comme politiques se sont exacerbées. Le retrait du gros des troupes américaines en 2014, ainsi que la baisse de l’aide internationale, couplé à l’essor de l’État Islamique dans le pays ont également été autant de facteurs de déstabilisation pour le gouvernement Ghani/Abdullah.
L’échec politique afghan accentué par une gestion calamiteuse du dossier par les USA et la communauté internationale a permis aux Talibans de reprendre la main sur de larges pans du territoire afghan. Le groupe islamique armé contrôle à ce jour ou conteste le pouvoir gouvernemental dans plus de la moitié des provinces afghanes et il n’hésite pas à menacer les électeurs pour les dissuader d’accomplir leurs droits électoraux.
« L’Émirat Islamique (taliban) enjoint ses moudjahidins à déstabiliser le processus électoral en usant de tous les moyens possibles » peut-on lire dans un communiqué des Talibans publié jeudi dans lequel le groupe appelle les Afghans à rester chez eux sous peine d’être victimes d’une attaque. Ces dernières semaines, les Talibans ont accentué les attaques contre les civils et leurs opérations militaires de part et d’autre du pays afin de mettre la pression sur les politiques comme sur les simples citoyens.
« Voter alors que la situation est aussi mauvaise veut dire que vous êtes fou. Et je ne suis pas fou » explique un chauffeur de taxi de Kaboul qui semble faire le choix de renoncer à se droits électoraux face aux menaces des Talibans. « Les bureaux de vote ne sont pas surs ».
Face aux menaces, la Commission Électorale Indépendante a déjà prévenu que près de 2500 bureaux de vote sur 7366 ne pourront ouvrir faute d’une sécurité adéquate. Au final, ce pourrait être plus de 30 % d’entre eux qui pourraient bien ne pas voir ouvrir leurs portes samedi, le jour du vote alors que plus de 72 000 soldats afghans seront déployés sur le terrain en vue de sécuriser les élections.
Et au regard de la situation des dernières élections, l’engouement électoral n’y est plus. Une enquête conduite en août montrait que seul 43 % des électeurs inscrits sur les listes électorales prévoyaient de voter pour ces présidentielles.
Une crédibilité électorale au plus bas au regard du marasme et des violences des précédentes élections
Le contexte des élections présidentielles de samedi est bien différent de celui qui prédominait en octobre 2004 quand les Afghans ont participé au premier scrutin depuis la chute du gouvernement taliban trois années plus tôt. Marquées par un engouement populaire, elles avaient maintenu au pouvoir Hamid Karzai qui avait assuré le rôle de président du gouvernement intérimaire suite à la Conférence de Bonn, une position confirmée en juin 2002 par la Loya Jirga (grande assemblée). Hamid Karzai avait été élu au premier tour avec plus de 55 % des voix. Ces élections, marquées par des fraudes et des violences de la part des Talibans avaient vu un taux de participation de 70 %.
Cinq ans plus tard, en août 2009, changement de ton. Les secondes élections sont caractérisées par des fraudes massives et d’un grand nombre d’irrégularités sur fond à nouveau de violences et de chaos. Le manque de sécurité, pallié sans réussite par l’utilisation de milices privées fait que plus de 10 % des bureaux de votes n’ont pu ouvrir le jour J. Alors que les Talibans amorcent un retour de contrôle territorial dans le pays, ils jouent la carte de l’intimidation pour empêcher le bon déroulement du scrutin. Durant les dix jours précédents le vote, les Talibans ont maintenu une moyenne de 32 attaques par jour à travers le pays, une moyenne montant à 48 dans les quatre derniers jours. Au delà des violences, fraudes, bourrages d’urnes et intimidations politiques ont conduit les autorités afghanes et les USA a un bras de fer pour l’imposition d’un second tour à l’issu des premiers résultats, officiellement publiés plus d’un mois après le vote. Abdullah Abdullah finit par jeter l’éponge en novembre et Hamid Karzai est réélu le 7 novembre pour un mandat de cinq ans. La pénibilité du processus électoral de 2009 est encore plus marquée au regard de la mobilisation des Afghans pour ces présidentielles : à peine 30 % des Afghans inscrits sur les listes électorales s’étaient déplacés le jour du scrutin.
En 2014, la succession à Hamid Karzai est à nouveau le théâtre d’un marasme électoral car il se sera écoulé plus de cinq mois entre la date du premier tour et la proclamation du nom du président. Violences et fraudes ont encore entaché le scrutin qui a pourtant mobilisé les électeurs, optimistes à l’idée d’une succession aux douze années de pouvoir du président Karzai. A l’issu d’un chaotique second tour qui voit s’opposer l’ex ministre des affaires étrangères, Abdullah Abdullah et l’économiste Ashraf Ghani, les deux finalistes se déclarent vainqueurs et il faudra de longues semaines de négociations, d’audits et de pressions pour aboutir à un consensus. Ashraf Ghani est déclaré président et pour contenter Abdullah Abdullah, on lui crée le poste de chef de l’exécutif où il a officié comme premier ministre.
Conséquence du chaos politico-sécuritaire et de l’incurie des autorités en place depuis 2001, le processus électoral ne séduit plus les Afghans aujourd’hui. Pire, nombre d’entre eux ne croient plus au processus démocratique. Selon une récente étude réalisée par Khaama Press, près de 70 % des Afghans préféreraient l’instauration de la paix à des élections.
Julien Lathus