Depuis février, le Bangladesh connaît une série de manifestations et de contre-manifestations qui montrent l’opposition entre 2 modèles de société. Dans le cadre d’un véritable séisme politique et social, les laïcs défient les islamistes et inversement, depuis les premières condamnations dans les procès pour crimes de guerre perpétrés lors de la guerre d’indépendance de 1971. Parmi les condamnés à mort, nombre de cadres du parti islamiste d’opposition Jamaat-e-Islami.
Lundi, le Jamaat aura réussi à paralyser la majorité du pays avec son appel à la grève général alors que 2 bombes explosaient sur la place Shahbag, épicentre de la contestation laïque. Si les aspects politiques de cette crise entre le Jamaat et le parti au pouvoir de la première ministre Sheikh Hasina sont bien connues, il reste une inconnue sur les considérations sociales alors que plusieurs groupes orthodoxes ne cessent de gagner en popularité.
C’est ainsi que les rues du Bangladesh, touchées par les violences protestataires, voient croître l’influence de la coalition Hefazat-e-Islam, formée par des « durs » qui souhaitent faire adopter par le gouvernement leurs 13 revendications. Parmi elles, la condamnation à mort des blogueurs « athées » qui insultent l’Islam, le renvoi des missions et des ONG chréteinnes ou la stricte ségrégation entre les femmes et les hommes dans l’espace public.
Alors que le Bangladesh est un pays musulman, mais une démocratie séculière, ils demandent également au pouvoir d’abandonner sa politique d’emploi des femmes. Plus de 4 millions d’entre elles travaillent dans le secteur textile qui est le pilier de l’économie du Bangladesh. « Hefazat veut rétrograder les femmes à l’Age de Pierre » déclare Brad Adams, directeur Asie pour Human Right Watch.
Hefazat est né de l’opposition aux contestations laïques demandant la peine de mort dans les procès de la guerre de 1971. Le groupe a rapidement reçu le soutien de milliers d’écoles coraniques connues sous le nom de madrasas. Le chef spirituel du groupe, Allama Shah Ahmed Shafi est basé à Chittagong est arrivé sur le devant de cette scène après avoir appelé sous sa bannière des centaines de milliers de personnes à travers tout le pays dans la grève du 5 mai, pour faire pression sur le gouvernement face aux demandes du groupe.
Cette ascension inquiète au Bangladesh. « Les gens ont peur des demandes d’Hefazat. Nous savons que le Pakistan et l’Afghanistan souffrent et souffrent toujours de l’islamisme radical. Les demandes de ce groupe sont vraiment choquantes pour les forces séculaires du pays. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir cela comme une petite menace car le problème repose sur le patronage politique d’Hefazat » explique Julfikar Ali Manik, un vétéran du journaliste connu pour ses enquêtes sur le militantisme islamique.
En effet, le groupe reçoit le soutien du Parti Jatiya et du principal parti d’opposition, le Parti Nationaliste du Bangladesh, conduit par l’ancienne première ministre Khaleda Zia. Pour certains analystes, la popularité montante d’Hefazat-e-Islam est la conséquence de la pression judiciaire sur le Jamaat-e-Islami. « Cette ascension est en réponse des verdicts émis par le tribunal de guerre » remarque Lisa Curtis, chargé de recherche à l’Heritage Foundation. Le gouvernement de Sheikh Hasina avait fondé le Tribunal International des Crimes de Guerre pour juger ceux qui avaient pris parti pour le Pakistan dans sa campagne de meurtres et de viols envers les indépendantistes bangladais dans la guerre de 1971.
Depuis février, 4 cadres du Jamaat-e-Islmi ont été reconnus coupable de crimes de guerre et 3 d’entre eux ont été condamnés à mort. Ces verdicts ont déclenché des violences à travers tout le pays. « Ce tribunal a ouvert la boite de Pandor au Bangladesh en enroulant les laïcs à faire pression sur les Islamistes » expose Mme Curtis. « En réponse, les partis islamistes s’emportent comme jamais en observant la situation actuelle comme une menace directe à leurs croyances religieuses fortement ancrées ».
La combinaison des jugements des crimes de guerre, les condamnations à mort et l’engagement de l’opposition ne devrait pas s’éteindre avant quelques mois et plus de violences pourraient voir le jour alors que le verdict du tribunal de guerre contre Ghulam Azam, l’ancien dirigeant du Jamaat est attendu dans ce mois de juin.
L’attitude du gouvernement face à cette crise, renforcée par les récentes catastrophes industrielles sera à observer pour sa gestion de la situation alors que se profilent à l’horizon les élections de l’année prochaine, pour lesquelles le Parti Nationaliste du Bangladesh fait planer la menace de boycott si un gouvernement de transition ne dirige pas le pays jusqu’à cette échéance.
Julien Lathus