Sans trône (3/3)

Traduction par Maxime Lancien
Déféquer en plein air fait partie de la culture indienne, insiste Bindeshwar Patahk, fondateur de Sulabh International, une ONG dédiée à l’interdiction du balayage manuel des toilettes. Un texte hindou ancien, le Devi Purana, prétend-il, enjoint aux gens de ne pas déféquer …

Traduction par Maxime Lancien

Déféquer en plein air fait partie de la culture indienne, insiste Bindeshwar Patahk, fondateur de Sulabh International, une ONG dédiée à l’interdiction du balayage manuel des toilettes. Un texte hindou ancien, le Devi Purana, prétend-il, enjoint aux gens de ne pas déféquer dans ou autour de la maison. Il leur conseille de marcher à une distance raisonnable, de creuser un fossé, de déféquer, et de recouvrir le tout avec des plantes et de la terre. Mais les gens continuent de déféquer en plein air, ils oublient de creuser un trou puis de le couvrir.

Toilettes publics en Inde

Toilettes publics en Inde

Pourquoi un pays obsédé par la nourriture ne peut pas faire face à son produit final ? L’ensemble du complexe de dégoût, de la honte, et de l’humour gras continue de favoriser une attitude d’évitement. L’Inde semble moins outrée par le laxisme de ses fonctionnaires quand il s’agit des toilettes. Comme lorsque que l’on a su que la Commission de Planification a dépensé plus de 3 millions de roupies, soit près de 36 000 euros dans la rénovation de deux toilettes dans les bureaux de Delhi (comparer à la subvention de 10 000 roupies pour construire des toilettes rurales individuelles, soit 120 euros).

Ensuite, il y a eu le gouvernement de Goa, qui aurait dépensé plus de 24 000 euros pour construire une seule toilette, avec air conditionné, dans la circonscription de l’ancien Premier Ministre, quand 60% de la population du pays continue de de déféquer en plein air.

Pathak, lauréat du Padma Bhushan, est à l’avant-garde des efforts visant à persuader les gens d’opter pour les toilettes. Lors de sa première visite en Chine en 1987, se souvient-il, c’était l’attitude de la Chine vis-à-vis de ce problème qui l’avait choqué. Les Chinois de la campagne déféqueraient dans un seau, puis les excréments étaient jetés dans un puits situé dans le coin d’une cour. Un orifice de sortie du puits menait à la porcherie. Et une fois par mois, les excréments restants étaient utilisés dans les champs comme fumier. Il se souvient d’un proverbe chinois selon quoi les femmes les plus chanceuses sont celles dont les belles-filles sont en charge de vider les seaux de merde dans les puits.

« La nourriture et un abri sont plus urgents que des toilettes« 

Mais il admet que le problème est encore plus aigu en Inde aujourd’hui qu’en 1969, l’année du centenaire de Gandhi. La population a augmenté, mais les infrastructures n’ont pas suivies. Il blâme aussi l’approche bureaucratique du gouvernement. L’octroi de subvention aux pauvres n’a pas de sens considère-t-il. « Les priorités des pauvres sont différentes, la nourriture et un abri sont plus urgents que des toilettes ». Pathak estime également que 10000 roupies de subvention ne suffisent pas, 40000 roupies seraient plus raisonnables (480 euros) . Et il préférerait que l’argent aille dans une ONG comme la sienne pour construire des toilettes.

La solution réside-t-elle dans les complexes communautaires de toilettes ? La hiérarchie de castes pourrait défaire cette approche. Les castes supérieures ne voudraient pas partager un complexe commun avec les autres, quand bien même la ségrégation de castes est évidemment illégal. Mais certains sont enthousiastes à l’idée d’une approche communautaire : si vous centralisez la plomberie, cela assurera une couverture plus rapide à des coûts beaucoup plus faibles, optimisera l’utilisation de l’eau et facilitera la production de biogaz, en libérant l’exécution d’un autre impératif indien, – le logement à bas coût- en éliminant les nécessité d’installer une plomberie compliquée.

L’establishment indien scientifique et technique s’est montré peu pressé sur la question du biogaz. Il y a eu des petits efforts toutefois. La Compagnie indienne des chemins de fer a cherché à adapter ses trains en utilisant des toilettes améliorées, biodégradables, grâce à la technologie développée par la Defense Research and Development Organization (DRDO) et élaborée pour les soldats basés en haute altitude. Larsen & Toubro a également fabriqué des toilettes mobiles pour une utilisation en milieu urbain. Mais rien de tout cela ne s’est encore révélé rentable.

Enfin, les ressources d’eau qui se font de plus en plus rares et le coût prohibitif des systèmes égouts constituent le cœur du problème. La fondation Bill &Melinda Gates ont lancé la semaine dernière leur challenge « Réinventer les toilettes » à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Gandhi. Prié de dire s’il se sentait combattre une bataille perdue d’avance, Jairam avait confié à Outlook, « En Inde, chaque bataille que vous menez est perdue d’avance. Lorsque vous voyagez dans les trains aussi souvent que je le fais, chaque matin le problème des toilettes met les gens à bout »

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