Réélection de Sheikh Hasina lors d’un scrutin marqué par des violences

Et de 3 pour Sheikh Hasina qui conserve son poste de première ministre du Bangladesh en remportant haut la main les élections générales de ce dimanche 30 décembre. Ces élections ont mis fin dans le sang à une campagne électorale tendue et violente qui aura …

Et de 3 pour Sheikh Hasina qui conserve son poste de première ministre du Bangladesh en remportant haut la main les élections générales de ce dimanche 30 décembre. Ces élections ont mis fin dans le sang à une campagne électorale tendue et violente qui aura eu raison de l’opposition largement battue.

Un succès électoral pour l’Awami League

En obtenant 288 sièges sur 300 au Parlement, la Grand Alliance, coalition emmenée par le parti Awami League (AL) de la première ministre remporte les élections et conserve le pouvoir pour un troisième mandat consécutif. Cette dernière aura le champ libre pour conduire sa politique puisque l’opposition menée par le Bangladesh Nationalist Party (BNP) de l’ex première ministre Khaleda Zia, en prison pour corruption n’obtient que 6 sièges et rejette les résultats depuis leurs proclamations en dénonçant des fraudes.

Ces élections n’ont pas beaucoup mobilisé les foules puisque elles enregistrent un taux de participation de 64 %. Il reste néanmoins plus élevé que lors du dernier rendez-vous électoral de 2014 qui avait vu un taux de participation dépasser à peine les 50 % alors que l’opposition boycottait le scrutin et que les violences politiques redoublaient.

A elle seule, l’Awami League a obtenu 259 sièges et ses alliés dans le cadre de la Grand Alliance en obtiennent 28 autres. Ce lundi 31 décembre, la première ministre a laissé entendre que les Bangladais étaient satisfait de sa politique. « Les citoyens du pays ont senti les fruits de l’action de mon gouvernement et ils nous ont à nouveau plébiscité dans les urnes » a t-elle déclaré devant des observateurs internationaux.

Douche froide pour le BNP, principal parti d’opposition qui récolte quant à lui que 6 sièges au sein de la coalition du Jatiya Oikya Front qui obtient un total de 8 sièges en tout. Ce dimanche, l’opposition a qualifié ces élections de farce et a appelé à un nouveau scrutin mettant en avant des fraudes électorales et des cas de bourrages d’urnes, parfois avant même l’ouverture des bureaux de vote et de cas de « fermeture de bureaux pour pause déjeuner ».

« Nous enjoignons la Commission Électorale a annuler ces résultats ridicules immédiatement et nous demandons la tenue de nouvelles élections sous la houlette d’un gouvernement impartial le plus rapidement possible » a déclaré Kamal Hossein, leader de l’alliance Jatiya Oikya Front. Parmi les griefs portés par le BNP figure le fait que de nombreux bureaux de vote n’avaient que des observateurs issus de l’Awami League et que les siens ne pouvaient accéder aux bureaux pour assurer leur partie de surveillance du bon déroulement de la journée.

Depuis l’annonce du scrutin le 8 novembre dernier, la principale formation de l’opposition, le BNP a affirmé que plus de 10 000 de ses membres et sympathisants avaient été arrêtés. Le parti n’a cessé de dénoncer une campagne d’intimidation et d’arrestations visait a créer un climat de peur. Pour le BNP, le symbole de cette dérive autoritaire et anti-démocratique de la part du gouvernement de Sheikh Hasina est le sort réservé à la chef historique du BNP, Khaleda Zia. L’ex première ministre et adversaire historique de Sheikh Hasina a été condamné en févier dernier à une peine de 5 ans de prison porté à 10 ans en appel le 30 octobre dernier pour une affaire de corruption. Ses partisans dénoncent une peine politique. Par ailleurs, plus de 3500 militants de son allié islamiste du Jamaat-e-Islami ont également été arrêtés ces dernières semaines et le parti n’a pas été autorisé à participer au scrutin, se rangeant alors derrière le BNP.

Un scrutin marqué par des violences inhérentes à la culture politique bangladaise

Signe des tensions redoutées en ce jour de vote, le réseau 3G et 4G avait fait l’objet d’une coupure ce dimanche, à l’initiative de l’organisme de régulation des télécommunications pour empêcher la diffusion de rumeurs ou de fake-news. Cela n’aura pas empêcher les violences. Peut être simplement leurs diffusions à travers les réseaux sociaux.

Au moins 19 personnes ont été tuées au cours de la journée électorale de dimanche et plus de 300 autres ont été blessées, ce qui fait de ces élections les plus meurtrières de l’histoire du pays, à égalité avec celles de 2014. C’est le parti victorieux de l’Awami League qui paye le prix le plus élevé avec 8 militants tués. Le principal rang d’opposition, le BNP décompte 4 morts dans ces rangs.

En dépit des violences du 30 décembre et de celles qui ont eu lieu les semaines avant le scrutin, l’Awami League se félicite au soir de sa victoire que « les élections se soient largement déroulées sans violences ». « En 47 ans d’existence de ce pays, je crois que cette élection en fut la moins violente » déclare Jahangir Kabir Nanak, secrétaire général de l’Awami League avant d’ajouter que ces élections avaient été « les plus libres et honnêtes jamais vu dans le pays ».

Durant la campagne électorale, des organisations locales et internationales des droits de l’homme ont accusé le parti gouvernant de Sheikh Hasina d’avoir engendré un climat d’intimidation à coup d’arrestations et d’harcèlements à l’encontre des membres de l’opposition. Selon le quotidien bangladais Daily Star, un décompte des incidents en date du 17 décembre faisait état de plus de 26 meetings de l’opposition attaqués, de 13 candidats blessés, de 2 candidats arrêtés, de plus de 875 militants de l’opposition blessés et de 2 morts. Sur la même période, l’Awami League décomptait alors 2 morts, quelques QG de campagne vandalisés et de 75 militants blessés.

Dans un pays façonné par les violences politiques, ces élections et la campagne qui les ont précédé n’ont pas fait d’écart à la règle. Selon le commissaire électoral Rafiqul Islam, le climat de violence qui a prévalu durant la campagne entre les différents partis en liste est en réalité une composante incontournable de la culture politique au Bangladesh. « Des incidents isolés et des violences ont eu lieu aux 4 coins du pays avant les élections. Toutefois, la situation n’est pas apparu hors de contrôle. De telles choses font parti de la culture politique ici » explique-t-il.

5 années de plus pour l’Awami League et la Begum de Dhaka

Au delà du taux de participation, des irrégularités, des violences, de la crise politique et d’une régression des libertés, les Bangladais semblent avoir plébiscité l’action gouvernementale des 10 dernières années et ont choisi le maintien du cap de la première ministre. Depuis 2009 et son retour au pouvoir, le pays s’est transformé, dynamisé par un taux de croissance record qui atteint 7,8 % cette année. Les conséquences de ce bilan économique ont permis de faire chuter le taux d’extrême pauvreté dans le pays, passant de 34,3 % de la population en 2000 à 12,9 % en 2016.

Cette transformation de l’image misérabiliste qui collait au Bangladesh s’accompagne toutefois d’une dérive autoritaire marquée et assumée du pouvoir. Ces dernières années, les libertés civils et les droits de l’homme ont été passés à la moulinette et dans une interview au New York Times donné ce décembre, Sheikh Hasina ne cache pas sa vision des droits de l’homme : « Si je peux fournir nourriture, travail et soins, ce sont des droits de l’homme ». « Je ne m’encombre pas de ce que réclame l’opposition, la société civile ou les ONG. Je connais mon pays et je sais comment le faire grandir » reprend-t-elle en mettant en avant les réussites économiques et sociales de ces 2 mandatures passées.

C’est donc un pays toujours assez divisé et politiquement polarisé que devra conduire Sheikh Hasina. Peu avant les élections, Iftekharuzzaman, directeur de la branche bangladaise de Transparency International, une ONG de lutte anti-corruption qualifiait les élections à venir de scrutin dans lequel il fallait choisir « le moins pire ». « Toutes les institutions gouvernementales ont un enjeu dans ces élections du fait qu’elles ont été profondément politisées. Si Sheikh Hasina remportait un troisième mandat, cette structure lui permettra d’accroître son autoritarisme et sa main-mise sur les rouages de l’état » explique-t-il en regrettant le manque de contre-pouvoir avec une opposition forte.

Les résultats du scrutin de dimanche qui ont permis à la première ministre de conserver son poste sont marqués par ce cas de figure. Sheikh Hasina l’emporte haut la main, l’opposition s’efface à nouveau et la dame de fer de Dhaka tient les rênes du Bangladesh pour 5 années de plus. Son premier défi : rassembler le pays et maintenir le calme alors que des tensions post-électorales pourraient se faire sentir dans les prochains jours comme le prouve les nombreuses remontées de cas de fraudes qui émergent depuis lundi 31 décembre.

Pour Sultana Kamal, une activiste locale, la victoire de Sheikh Hasina sera considéré par cette dernière comme la preuve que les électeurs sont indifférents à la questions des droits de l’homme. « Si l’Awami League reste au pouvoir, ses dirigeants diront alors que les critiques n’ont pas réussi à retourner les gens contre eux et que le peuple s’en fiche des exécutions extrajudiciaires, des droits de l’homme ou de la corruption » expliquait-elle quelques jours avant le scrutin.

Julien Lathus

Add comment