Le Pakistan est à la veille d’un moment historique. Demain, pour la première fois de son histoire, un gouvernement élu va laisser sa place après avoir terminé son mandat de 5 ans. Le gouvernement du Parti du Peuple Pakistanais (PPP), arrivé au pouvoir en 2008 après des élections relativement libres et impartiales aura connu néanmoins du bon nombre d’avaries comme la corruption, les questions sécuritaires ou l’intolérance galopante envers les minorités religieuses et ethniques. Mais malgré cette litanie de problèmes, certaines réussites du PPP sont indéniables.
Jamais le parlement ne s’est autant investi dans le domaine législatif. Le gouvernement a également parcouru un long chemin vers l’institutionnalisation de la démocratie dont des efforts considérables pour assumer la responsabilité de la politique étrangère et de défense, qui sont généralement le bailliage de la puissante armée. Il a ainsi réussi a gérer avec soin cette dialectique sans toutefois contester la puissante armée pakistanaise. De son côté, le président Asif Ali Zardari est le premier chef d’état pakistanais à avoir cédé autant de pouvoir à son premier ministre. Il a également déléguer dans un geste sans précédent du pouvoir aux provinces pakistanaises pour tenter de juguler les revendications des habitants du Baloutchistan, du Sindh et de la Kyber Pakhtunkhawa, comme dans les zones tribales où il a réformé l’administration qui datait de l’époque coloniale.
Pour autant, ces avancées ne veulent pas dire que la démocratie pakistanaise est libre et claire. Il a de nombreuses et redoutables tâches qui attendent le prochain gouvernement. Il devra consolider la démocratisation, renforcer le contrôle civil sur les militaires, bâtir un consensus face aux possibles coalitions gouvernementales, résister aux luttes politiques et aux interférences de l’armée, mais également entreprendre d’importantes réformes économiques. C’est un agenda colossal qui attend le prochain pouvoir pakistanais alors que les militaires cherchent un nouveau moyen d’asseoir leurs pouvoirs. De plus, si le gouvernement actuel a progressé à pas de géant au cours de ces dernières années, il se pourrait que la suite des réformes se fasse bien plus lentement.
Si des élections en bon et dû forme interviennent et que le changement de gouvernement se produit sans heurt, il sera encore plus dur pour l’armée d’intervenir directement dans la politique de ces prochaines années. Ne voulant pas perdre la main, l’armée tente de gérer le processus avec l’aide de l’appareil judiciaire pakistanais. La démocratie pakistanaise est-t-elle en laisse tenue par l’armée ? La question est complexe. Si les militaires sont blâmables pour l’état actuel de la démocratie pakistanaise, il est également vrai que l’armée n’est jamais arrivée au pouvoir toute seule. Lorsque les généraux ont pris le pouvoir, ils l’ont souvent fait avec l’appui du peuple dans un climat de crise politique, rendant ainsi l’intervention légitime.
Au-delà des enjeux militaires qui peuvent nuire à la démocratisation du Pakistan, le climat de violence qui sclérose le pays apparaît comme un piège dans cette période électorale. En 2008, les élections avaient été reportées de quelques mois en raison du cycle de violence qui avait coûté la vie à la favorite, la candidate du PPP, Benazir Bhutto. Dès lors, une question légitime se pose : le climat de violence connu en 2008 peut-t-il refaire surface en 2013 et reporter les élections de mai ? Sur le plan sécuritaire, la situation apparaît encore pire en 2013 qu’en 2008. Selon les comptes menés par le Pakistan Institut for Peace Studies sur les violences politico-ethniques, les 2ers mois de 2013 ont coûté la vie à 1135 personnes dans 458 attaques, alors qu’en 2008, 374 attaques avaient tué 1080 personnes. Face à ses chiffres, est-ce-que l’insécurité peut être une excuse pour retarder les élections ?
Le PPP va céder sa place, demain, à un gouvernement de transition qui doit mener à bien le pays vers l’exercice électoral alors que le pays est en proie à un cycle de violences politiques et sectaires. Face à la situation, l’armée regarde le processus en cours d’un œil attentif. Le général Ashfaq Pervez Kayani, chef des armées pakistanaise a réaffirmé son soutien à la poursuite du processus démocratique et au transfert du pouvoir à travers des élections impartiales, en plus de souligner le rôle subalterne de l’armée à un gouvernement civil. « Je soutiens pleinement l’idée d’organiser des élections libres, justes et transparentes conduisant à un transfert en douceur du pouvoir dans le pays » a t-il-indiqué. Le processus démocratique pakistanais tiendra-t-il la route ? La réponse dans ces prochaines semaines.
Julien Lathus