Avec ou sans pluie, l’Inde manque d’eau potable.
Aucun endroit sur terre n’est autant arrosé que la petite ville de Cherrapunji, perdu dans les collines du Meghalaya, dans le nord-est de l’Inde. Avec une pluviométrie annuelle de plus de 12 mètres, c’est 10 fois plus que ce que reçoit Brest. Les orages peuvent y apporter plus de 30 cm en une journée et la mousson y est épique. Néanmoins, de novembre à mars, durant la saison sèche, cette région lutte pour trouver de l’eau. Cette quête se traduit alors par de longues marches, le dos plié par des jarres jusqu’aux ruisseaux et aux sources. Les robinets de la ville y écoulent de l’eau que quelques heures par jour, et quand elle sort, elle est souvent impropre à la consommation.
La lutte des habitants de cette région pour trouver de l’eau potable est emblématique des défis aquatiques auxquels l’Inde doit faire face. Chaque année, près de 600 000 enfants indiens meurent de diarrhée ou de pneumonie causés par le manque d’hygiène et d’accès à une eau potable. La moitié des ressources en eau des zones rurales où 70 % de la population indienne vit est continuellement contaminé de bactéries en tous genres. La situation ne semble pas en voie d’amélioration puisqu’un rapport de McKinsey&Company prédit que l’Inde devrait doubler sa capacité d’approvisionnement en eau d’ici 2030 pour faire face à la demande pressante d’une population en pleine croissance.
Une autre étude conclut que les nappes phréatiques de nombreuses villes, dont Delhi, Mumbai, Hyderabad et Chennai déclinent à une vitesse telle qu’elles pourraient être à sec dans quelques années. Au sud de la capitale indienne, la situation critique de Gurgaon a entraîné la décision d’un juge visant à arrêter toute nouvelle construction qui n’utiliserait pas d’eau recyclée. En févier dernier, le ministre des finances a proposé une enveloppe de 2,5 milliards d’€ pour le ministère de l’eau potable, soit une hausse de 17% par rapport à l’année dernière.
Néanmoins, de nombreux experts jugent ces efforts trop peu important face à la détresse de la situation, où plus de 100 millions de personnes puisent chaque jour de l’eau issue de sources impropres. Certains de ces problèmes sont directement liés à la géographie du pays. L’Inde comporte de vastes zones arides et le pays ne possède que 4% des ressources en eau claire mondiales alors qu’il est habité par 16 % de la population mondiale.
Pour Arphisha, d’un village du Meghalaya, la quête quotidienne en eau l’oblige à 4 ou 5 allers-retours de 1,5 km pour puiser de l’eau dans une source. Souvent son mari fait le premier trajet du matin, mais la tâche lui échoit la plupart du temps. En effet, puiser de l’eau est un travail pour les femmes dans la tradition indienne. Dans cet état, les efforts pour améliorer l’approvisionnement en eau ont été contrecarrés par des querelles entre des agences gouvernementales concurrentes. C’est ainsi que l’état a dû financer une pompe près d’une rivière pour apporter de l’eau dans les villes situées au-dessus. « Mais ils n’ont pas réalisé que la pompe serait sous les eaux durant la mousson. Dès la première année, elle a été court-circuitée et depuis, elle ne marche plus » s’indigne Mr Kharshiing, directeur du Grand Conseil des Chefs de Tribus du Meghalaya.
Lorsque la folie de Karachi s’arrête (ou presque) pour une tasse de thé.
Naseeb Khan est le tenancier de l’une des centaines d’échoppe de thé de Karachi. Chaque jour, il prépare plus de tasses qu’il ne peut en compter. Ces « aides » courent dans tout le quartier pour apporter le délicieux nectar dans des tasses en porcelaine mais ébréchées. Tout au long de la journée, sa clientèle change, passant des voisins qui achèvent leur jogging matinal par un passage chez Nasseb, aux groupes de jeunes hommes bruyant qui racontent la nuit des histoires salaces en se vantant de leurs connections politiques.
Dans une ville polarisée à son extrême selon son état de santé, son éducation ou ses visions politiques, le thé apparaît comme un formidable outil d’égalité sociale. Tout le monde en boit : des responsables politiques, aux enquêteurs qui arrivent sur une scène de crime une tasse à la main en passant par le journaliste qui remplace son déjeuner par du thé. Une telle dévotion pourrait faire croire que le thé a été depuis toujours un pilier de la vie pakistanaise, mais il n’en est rien. Le thé a été introduit dans la région à la fin du XVIIIème siècle par les Britanniques.
Le Pakistan est maintenant complètement accroc alors que les prix des feuilles de thé ne cesse de grimper, pour atteindre près de 5€ le kg pour une qualité médiocre. Abdul Sattar Edhi, l’un des plus grands philanthropes du pays déclarait que le Pakistan pouvait résoudre ses problèmes « seulement si le peuple cessait de s’adonner au thé et aux cigarettes ». A priori, il n’a pas été entendu et dans un sens, il n’avait pas foncièrement tort. Selon une étude gouvernementale de 2011, un foyer pakistanais dépense près de 33% de son budget pour le thé au lait et aux épices (chai). Aucun des ces thés bus ne provient du Pakistan. Le pays importe donc massivement du Kenya et du Sri Lanka, du thé noir ou vert qui sera alors mélangé avec du lait et des épices ou bouilli avec de la cardamone et du safran, comme au Cachemire.
La ville de Karachi est peut-être folle du thé, mais le déguster en pleine air est source de danger. Dans une ville où plus de 1000 personnes sont victimes par an des tueurs à gage, les échoppes brûlent aussi quand elles ne s’acquittent pas des quelques centaines de roupies par mois en échange de la protection par les mafias locales dont les membres succombent, eux aussi, à la douce amertume d’une tasse de thé. Zafar Baloch, le « parrain » du quartier de Lyari, dont la tête fut mise à prix pour 31000€ n’y fait pas exception. « Nous buvons du thé toute la journée, spécialement lorsque nous sommes occupé ou sous tension. A chaque fois que quelqu’un vient me voir, nous buvons des tasses… imaginez le nombre que cela puisse faire ! ».
Julien Lathus