Les craintes de voir dérailler le fragile processus de paix entre l’Inde et le Pakistan semblent se matérialiser après les incidents qui ont ensanglanté la frontière entre les deux pays dans la région du Cachemire. Mardi, 2 soldats indiens ont été tués, selon New Delhi par des troupes pakistanaises dans la région disputée. L’incident, démenti par le Pakistan est susceptible d’envenimer les relations entre les 2 pays. Ce mercredi, l’Inde a convoqué l’ambassadeur du Pakistan.
Deux soldats indiens décapités ?
S’il n’est pas rare que les 2 pays échangent des coups de feu ou s’infiltrent au-delà de leurs lignes, les incidents de mardi semblent appartenir à une autre catégorie de provocation comme en témoignent les nombreuses « une de presse » indiennes qui s’étalent sur le sujet. Tout aurait commencé mardi, vers midi heure locale. Dans le brouillard habituel de la saison, des soldats pakistanais seraient passés du côté indien avant de tomber nez à nez avec une patrouille indienne. Echanges de tirs. Deux militaires indiens restent à terre. A ce qui aurait pu rester une escarmouche de plus s’envenime dans l’opinion publique car les 2 soldats indiens auraient été mutilés selon l’Inde. L’un décapité, l’autre la gorge tranchée.
« C’était une patrouille terrestre et elle a vu quelques chose de suspect. Il y a eu ensuite un échange de coups de feu avec les troupes pakistanaises. Nous avons perdu 2 soldats et l’un d’eux a été gravement mutilé » déclare le porte-parole de l’armée indienne. « Les intrus étaient des soldats pakistanais réguliers et ils étaient à 500 mètres à l’intérieur de notre territoire » ajoute-t-il.
Alors que le cessez-le-feu est en vigueur depuis une dizaine d’année le long de la frontière qui sépare le Cachemire indien de celui pakistanais, les incidents se sont répétés ces dernières semaines. Dimanche dernier, 2 soldats pakistanais étaient tombés sous les balles indiennes. Islamabad avait alors accusé l’Inde d’avoir franchi la frontière, ce que New Delhi nia en accusant le Pakistan d’avoir ouvert les hostilités en premier. Faut-t-il voir dans l’attaque de mardi des représailles ?
Salman Khurshid, le ministre indien des affaires étrangères a assuré que New Delhi fournirait une « réponse proportionnelle à l’attaque du Cachemire qu’il a qualifié de « claire tentative pour faire dérailler le dialogue de paix ». « Nous devons faire quelque chose et nous le ferons, mais cela doit être fait après un examen prudent de tous les détails en concertation avec le ministre de la défense. C’est absolument inacceptable, odieux et vraiment, vraiment terrible et extrêmement irréfléchi de leur part » ajoute-t-il.
De son côté, l’armée pakistanaise dément les coups de feu et la mort des 2 soldats indiens. « Les autorités indiennes ont été informées que le Pakistan a fait une vérification sur le terrain et qu’il n’a trouvé aucun éléments n’étayant les allégations indiennes » indique un responsable pakistanais dans un communiqué de presse. Les militaires pakistanais se défendent d’avoir mutilé leurs adversaires même si l’embarras est palpable. « Nos soldats n’ont décapité personne » clame un officier pakistanais. Face à ses accusations, il peut être intéressant de rappeler que la décapitation de soldats au cours d’incursion est une marque de fabrique des groupes djihadistes pakistanais qui opèrent parfois avec le soutien de l’armée pour infiltrer le Cachemire indien.
Cette Inde qui montre ses muscles.
Si la majorité des politiques indiens tentent ce mercredi de garder la tête froide tout en faisant part de leur désaccord envers le Pakistan, c’est dans la presse que le message guerrier de certains est relayé. Au premier rang d’eux, le parti nationaliste Shiv Sena, connu pour son extrémisme et sa violente propagande antimusulmane. Outragé par le meurtre brutal des 2 soldats indiens, le parti demande dans un premier temps la démission d’A.K. Antony, le ministre de la défense et appelle à une réponse forte.
« Ce n’est pas seulement le Shiv Sena mais le pays entier qui demande la démission d’Antony. Il devrait quitter son poste. A quoi sert ce ministre de la défense si de tels incidents arrivent ? » déclare Sanjay Raut, le porte-parole du parti. En appelant à une réponse forte du côté indien, il déclare que « si 2 de nos soldats ont été décapités, nous devrions en décapiter 40 des leurs ». « Si de telles brutalités s’expriment alors que le pays n’est pas en guerre, cela va démoraliser nos troupes et elles ne seront plus capables de défendre le pays » ajoute-t-il dans une diatribe sans précédent.
Dans un article nommé « Nous sommes des imbéciles : 6 choses que nous devons réaliser à propos du Pakistan », R Jagannathan expose en détail sa vision du Pakistan sous le coup de l’émotion de la perte des 2 soldats indiens. Pour ce va-t-en-guerre, le message est simple : « Peu importe les propositions de paix que l’Inde fait, l’état pakistanais est un état en guerre permanente jusqu’à ce qu’il atteigne ses objectifs politiques et militaires. Et il utilisera des manières conventionnelles ou non comme l’émission de fausse monnaie ou des attentats. Le temps de paix y est utilisé pour préparer la guerre » écrit-t-il dans une colonne du quotidien indien Firstpost.
Parmi les « 6 choses à réaliser à propos du Pakistan », il indique que la raison même d’existence du Pakistan est l’anti-indianisme et que le pays ne vit que pour détruire l’Inde. Il propose ensuite un raccourci simpliste qui tend à démontrer qu’il n’y a aucune différence entre l’état pakistanais et ses citoyens. Il y dépeint un Pakistan ne vivant que pour ses pulsions belliqueuses : « le Pakistan est toujours en train de préparer une guerre de 1000 ans car ils savent que l’Inde a tendance à oublier la perfidie des Pakistanais un peu trop vite. C’est pourquoi nous (les Indiens) n’avons pas appris des leçons de 1948, 1965, 1971 et 1999 (guerres indo-pakistanaises) ainsi que de 2008 (attentats de Bombay) ». Pour lui, le Pakistan ne comprend que la force. « Nous devons nous renforcer face au Pakistan, sur le plan économique, militaire et en matière de politique anti-terroriste » indique-t-il.
Il conclut son article en mentionnant deux changements que le Pakistan pourrait apporter au crédit de sa volonté de paix avec l’Inde : une sécularisation du pays qui retirerait l’Islam de sa constitution et le réel transfert de pouvoir des militaires vers l’autorité civile. « Si cela se produisait, nous pourrions à nouveau prendre le risque de discuter de la paix avec eux ».
Une période propice à la paix ?
Ce regain de tension intervient alors que l’Inde et le Pakistan s’efforcent depuis un peu plus d’un an de relancer le processus e paix qui avait été mis à mal par les attentats de Bombay de 2008. Récemment, les deux pays ont assoupli le régime d’obtention des visas pour les hommes d’affaires et les touristes et l’équipe de cricket du Pakistan rentre d’un tour de 5 matchs en Inde. « Ni Islamabad, ni Delhi n’ont intérêt à enterrer le processus de paix mais le Pakistan vit à l’heure des élections législatives qui auront lieu ce printemps et l’Inde organise les siennes pour 2014. Difficile dans ce contexte de faire avancer les discussions » explique une universitaire indienne chargée de questions de défense. Malgré la convocation de l’ambassadeur pakistanais en Inde, le chef de la diplomatie indienne reconnait que « nous ne pouvons et ne devons pas permettre une escalade après cet évènement très malsain ».
Sources :
Firstpost (Inde) en VO ici et là.
India Today (Inde) en VO.
Indian Express (Inde) en VO.
Julien Lathus
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