En abattant un de ses propres satellites en orbite à près de 300 km d’altitude, l’Inde a rejoint ce mercredi le club très fermé des pays maîtrisant les armes anti-satellites. En dépit des craintes de voir se relancer une « guerre des étoiles » menaçant l’équilibre géo-stratégique mondial, l’Inde assure que cet essai n’est pas dirigé contre un pays en particulier et qu’il n’a pour but que de défendre les intérêts spatiaux indiens.
Dirigée par le Defense Research and Development Organisation (DRDO) et l’Indian Space Research Organisation (ISRO), la Mission Shakti (force en sanskrit) aura permis en 3 minutes à l’Inde de rejoindre les USA, la Russie et la Chine dans le club des pays pouvant abattre des satellites en orbite dans l’espace autour de la terre. La mission a été conduite depuis la base de lancement de missiles Dr. A P J Abdul Kalam située sur une petite île à 10 km des côtes de l’état d’Odisha à 11h16 précise.
Avec ce test réussi, l’Inde démontre ses capacités militaires et technologiques à produire et à lancer un missile 100 % « Made in India » dans l’espace dans le but de détruire un satellite. Dans une allocution télévisée, le premier ministre indien, Narendra Modi s’est félicité de cette prouesse technologique qui confirme la puissance militaire indienne sur le plan mondial.
« C’est un moment d’une grande fierté pour l’Inde » déclare-t-il en soulignant que cet essai ne contrevenait pas à la réglementation internationale et qu’il n’était pas dirigé contre un pays en particulier. « C’est une chose dont nous pouvons être fier. Nous ne sommes plus seulement capable de nous défendre sur terre, sur mer ou dans les airs mais maintenant dans l’espace aussi. « L’Inde est désormais une grande puissance spatiale. Cela permettra au pays d’être plus fort, plus sécurisé mais également plus pacifique » rappelle-t-il néanmoins.
Ce test a été effectué sur une cible à basse altitude afin de réduire les risques de produire de nombreux débris spatiaux. Ces derniers devraient, selon le ministre indien des affaires étrangères se désintégrer avant de tomber sur Terre dans les prochaines semaines, sans risque de danger au sol. Les experts demeurent sceptiques sur ce dernier point et estiment qu’ils posent un problème pour les autres satellites en gravité autour de la planète.
Avec cet essai, l’Inde sera en mesure de pouvoir attaquer des satellites ennemis soit en les détruisant soit en paralysant leurs communications. Pour le pays, il s’agit d’une avancée en force sur l’échiquier géo-stratégique asiatique pour contrer l’hégémonie chinoise sur le continent. Ce test envoie également un message au voisin pakistanais.
Alors que l’Inde et le Pakistan demeurent dans une situation de haute tension depuis leur confrontation militaire le mois dernier dans la foulée de l’attentat de Pulwama, le Pakistan s’est dit inquiet de voir relancer la militarisation de l’espace. « L’espace est l’héritage commun de l’humanité et tous les pays ont pour responsabilité d’éviter une militarisation de cet environnement » a déclaré le ministère pakistanais des affaires étrangères quelques heures après le succès de la Mission Shakti.
En dépit de ces craintes, le Pakistan ne semble pas en ligne de mire prioritaire par cet essai indien car le pays n’a pas un programme de satellites très poussé pour le moment et il ne compte que 6 satellites actuellement en orbite au-dessus de la surface terrestre. La mission Shakti semble nettement plus dirigé contre l’autre ennemi asiatique de l’Inde : la Chine.
Côté chinois, avec des dizaines de satellites mis sur orbite par an, l’essai indien apparaît comme menace en dépit de la déclaration du ministre chinois des affaires étrangères qui espère que « chaque pays maintiendra la paix et la tranquillité dans l’espace ». En 2007, la Chine avait conclu un essai de missile anti-satellite à plus de 800 km d’altitude ce qui avait engendré de nombreux débris en suspension dans l’espace. Pour Ajay Lele, chercheur à l’Institut for Defence Studies and Analyses, l’Inde devait se doter d’une telle arme parce que « l’adversaire chinois l’avait ».
Avec cet essai, l’Inde, qui possède déjà l’arme atomique renforce ses capacités militaires et stratégiques et s’affiche de plus en plus comme une superpuissance militaire à l’échelle mondiale. Le lancement de ce missile anti-satellite s’inscrit dans cette dynamique qu’illustre le nom choisi pour cette mission. Shakti signifie la force en sanskrit et ce concept se pare d’une connotation de puissance et de pouvoir.
En 1998, le terme avait déjà été attribué à un essai militaire qui allait changer pour toujours la géo-stratégie en Asie du Sud. Le 11 mai 1998, l’Opération Shakti s’était soldée par l’essai concluant de l’explosion de 4 bombes à fission nucléaire et d’une autre à fusion, propulsant l’Inde dans le club des pays à l’arme atomique.
Julien Lathus