traduction par Maxime Lancien.
La problématique de l’accessibilité aux toilettes est un fléau en Inde. Avec près de 65 % des Indiens qui font leurs besoins en plein air, ce phénomène social met en lumière le manque d’infrastructures alors que ces questions commencent à émerger dans la campagne électorale.
La question fécale éclabousse les lames rotatives, politiquement parlant, tandis que l’Inde est impuissante face à un désastre sanitaire. « Les indiens défèquent partout. La plupart du temps derrière les lignes de chemin de fer. Mais aussi sur les plages, sur les collines, sur les berges des rivières; ils défèquent dans les rues, ils ne cherchent pas à se cacher » rappelait l’écrivain V.S. Naipaul en 1964, dans son livre An Area of Darkness.
Il ne faut pas être trop pointilleux, le problème numéro 1 en Inde est en fait le second. La semaine dernière, le temps d’un trop bref instant, les figures qui parsèment continuellement le paysage – « éternel et emblématique comme le penseur de Rodin » » selon les mots du lauréat du prix Nobel – étaient prêtes à émerger une fois de plus derrière les buissons et les ombres en cette période électorale, comme le leader du BJP Narendra Modi dont le slogan « L’Inde d’abord », a donné momentanément naissance à sa vision « Des toilettes d’abord ».
« Mon image ne me permet pas de le dire, mais ma véritable pensée est « Pehle schauchalaya, phir devalaya (D’abord des toilettes, ensuite des temples) », a déclaré Modi, qui cherche à polir son image, plus qu’un simple leader de l’hindutva. « C’est une situation triste que nos mères et nos sœurs doivent déféquer en plein air. Les villages ont des centaines de milliers de temples, mais pas de toilettes. C’est mauvais. Gandhi donnait tellement d’importance à cette question ».
Putain de merde ! Ceux assis sur le trône (et ceux qui y aspirent) viennent-ils d’en prendre conscience, cinquante ans après le coup de fouet de Naipaul ? Jairam Ramesh, le Ministre de l’Union, l’avait dit plus ou moins il y a six mois. 64% des indiens le font toujours en plein air, c’est un record mondial. C’est une des principales raisons de la malnutrition en Inde. Et accrochez-vous bien, cela coûte à la nation 34 milliards de dollars chaque année en terme de morts prématurées, de traitements des malades, de temps gaspillé, de productivité et aussi de perte de revenus touristiques.
« Quelle est l’utilité de faire exploser des missiles Agni si le problème des sanitaires n’est pas résolu » a déclaré Jairam, qui a confessé penser la plupart de son temps aux toilettes. « C’est plus important que le lancement de missiles Agni. S’il n’y a pas de toilettes, il n’y a pas besoin d’Agni. Le prix d’un seul avion de combat est assez pour libérer un millier de villages de la défécation en plein air ».
« Deux indiens sur trois doivent se battre contre la diarrhée et la malaria »
Avec les deux plus grands partis politiques indiens apparemment d’accord sur cette question, tout semblait miraculeusement prêt pour comprendre comment l’Inde en était arrivé là, et comment elle pouvait s’en sortir. Mais la familière mauvaise odeur des récriminations mutuelles, à savoir si une illumination tardive du BJP aurait épargné la démolition de la Babri Masjid et de tout ce qui a suivi, a finalement enterré la honte de l’Inde sous des décombres de platitudes et de clichés. Une nation dégoûtée éloigne son nez, c’est après tout ancré dans un système de caste défini par l’évitement de ce sujet. Une histoire prometteuse de toilettes s’est heurtée à un mur bien trop familier, malheureusement pour deux indiens sur trois qui doivent se battre contre la diarrhée, la malaria, le trachome et les vers intestinaux chaque jour de leur vie, tout ça parce que nous ne regardons pas les problèmes en face.
Alors que les hommes sont toujours des garçons, utilisant joyeusement les murs pour se soulager et rire de ceux qui ne le peuvent pas, ceux qui ressentent le poids de cette approche politique laxiste sont les femmes, les pauvres, les sans-abris, les sans-terres et les handicapés, condamnés à exécuter dans la plus humiliante des conditions ce qui est une fonction corporelle normale, car l’État ne peut pas fournir de toilettes. Et si la situation dans les villes indiennes est pathétique, c’est probablement inhumain dans les territoires au-delà.
à suivre…
Maxime Lancien.