Face à la diminution des habitants et aux corridors bloqués par l’armée, les ours et les léopards augmentent de manière conséquente dans la vallée du Cachemire où ils rentrent en conflit avec les habitants.
Le 8 octobre dernier, Meer Ahmad Khan, un garde-forestier de 55 ans patrouillait dans les forêts à 23 km de Srinagar dans le Cachemire indien avec 4 autres gardes quand ils ont entendu un bruissement de feuilles dans les arbres suivi d’un son étrange. Panique et fuite dans tous les sens. Une femelle ourse qui ramassait des baies avec ses petits les a surpris. Meer Ahmad Khan se retrouve face à cet ours noir de 68 kg.
« Mon corps s’est pétrifié face à cette énorme bête » se souvient-t-il. L’ours l’a blessé à la jambe gauche. « Je n’oublierai jamais le son de ses dents perforant ma jambe avant que l’ourson et ses petits s’éloignèrent » se souvient-t-il. Il marche maintenant avec des béquilles et dans le village, plus personne ne met le nez dehors à la tombée de la nuit. C’est devenu une norme depuis plusieurs années maintenant pour éviter les attaques de léopards et d’ours.
En décembre, un ours est sorti des forêts de pins qui bordent Zakura dans les faubourgs de Srinagar et a attaqué Javed Ahmad Mir, le blessant au visage et aux épaules. Avant, Javad lui avait tiré dessus alors que l’ours avait pénétré dans une étable. Mais le vent a tourné lorsque l’ours s’est rué sur lui. Les autorités forestières ont pu anesthésier l’ours seulement quand il en avait fini avec Javad.
Alors que les ours se sont déchaînes dans le sud du Cachemire, plusieurs incidents ont été enregistrés dans le nord et impliquent des léopards. En septembre, la petite Sumaiya Bashir, 4 ans, a été attaquée dans le district d’Handwara où son corps a été emporté par un léopard dans les forêts voisines où son corps partiellement dévoré a été retrouvé. Il s’agissait du 3ème incident de la sorte à Handwara en 10 jours.
« Les conflits entre les hommes et les animaux ne sont pas près de cesser » explique Mohammad Mansoor Mir, chef du secteur biologie du Département de la Vie Sauvage de Srinagar. Il indique que l’empiètement des cultures sur la forêt, la fragmentation de l’habitat animal et les couloirs bloqués par l’armée sont autant de facteurs qui expliquent la prolifération des animaux sauvages dans les zones d’habitations humaines. Il suggère néanmoins que les confrontations peuvent être évitées en parlant à voix haute et en se munissant de bâtons dans les zones sensibles. « Mais il n’y a aucune garantie que l’animal n’attaquera pas » souligne-t-il.
Les zones forestières couvrent 54 % de la surface du Jammu et Cachemire, mais 40 % de ces zones sont considérées comme « forêts ouvertes », c’est-à-dire, exploitables par l’homme. Ces dernières années, près de 35 000 hectares sont partis en fumée et 237 000 autres ont été défrichés par les villageois. Ces chiffres soumettent les animaux sauvages à une rude pression qui polarise leurs mouvements et leurs habitudes alimentaires. A cela s’ajoute le climat de guerre latent qui bloque les vallées. Les malencontreuses rencontres entre les hommes et les animaux deviennent dès lors inévitables et souvent sanglantes.
De nombreuses victimes de léopards ou d’ours atterrissent au département de chirurgie plastique de l’Institut de Sciences Médicales de Srinagar. « Près de 90 % des victimes d’animaux sauvages viennent pour des blessures au visages, à la tête et au cou. Un ours attaque rarement au niveau des jambes. Le cas de Meer Ahmad Khan est exceptionnel. Pour celui de Javad, il faut noter que les mutilations d’ours au niveau du visage sont rarement réparables, même en dépit de chirurgie reconstructrice » explique le docteur Tahir Saleem.
Selon les responsables de l’office de la nature, le nombre d’ours et de léopards a considérablement augmenté depuis que l’état du Jammu et Cachemire a interdit leur chasse en 1970. Un nombre dynamisé depuis la fin des années 1980 et l’insurrection armée cachemirie qui fait que personne n’ose s’aventurer dans les bois, de peur d’être pris entre le feu des militants et des troupes. A cela s’ajoute le désarmement des locaux dans les années 1990 qui ont dû rendre leurs carabines. Tous ces facteurs ont permis le retour de la vie sauvage dans la vallée du Cachemire, au grand damne des locaux.
Selon la Direction de la Faune du Cachemire, près de 500 conflits entre les humains et les animaux coûtent la vie à près de 35 personnes par an. Dans 80 % des cas, ils se produisent dans la vallée du Cachemire et impliquent le plus fréquemment l’ours noir asiatique. En réponse, 35 animaux sont tués par an quand les villageois les tuent ou que les services de la faune les éliment en raison de leur dangerosité.
La confrontation entre hommes et animaux ne semble pas pouvoir cesser de sitôt au Cachemire au regard des faibles moyens des gardes forestiers. Ils sont seulement 236 pour parcourir les 16 000 km² des forêts qui composent la vallée du Cachemire et on ne compte que 3 fusils à tranquillisants et 2 camionnettes de secours. De plus, la plupart de ces « rangers » doivent partir à la retraite dans les années à venir sans que de nouveaux recrutements aient été planifiés.
Julien Lathus.