Alors que le Bangladesh attend fiévreusement les élections qui doivent se dérouler le 30 décembre, de nombreux journalistes du pays disent vivre dans la peur sous l’ombre des lois encadrant les médias et pratiquent alors l’auto-censure pour se protéger. Il faut dire que ces dernières années, l’état bangladais, sous la houlette de la première ministre Sheikh Hasina a glissé vers un régime autoritaire dont la première victime fut la liberté d’expression et de la presse.
Le récent renforcement de la loi anti-diffamation avec le Digital Security Act (DSA) a installé un climat de peur au sein de la corporation journalistique du pays. Avant cette réforme, la situation était déjà précaire puisque des douzaines de journalistes avaient déjà été arrêtés sous cette loi. Dorénavant, sous le DSA, tout article, information ou photo provenant de l’administration pourra être un objet de délit si il est publié sans un accord officiel de la personne concernée.
« Cela fait que le journalisme d’investigation sur des sujets comme la corruption les droits de l’homme ou la mauvaise gouvernance deviendra très délicat à traiter, si cela ne devient pas tout simplement impossible à effectuer » explique Asif Nazrul, professeur de droit à l’Université de Dhaka. Face aux accusations de tentatives de réduire la liberté de la presse, le gouvernement de Sheikh Hasina dément et la première ministre avait assuré en octobre dernier que « les journalistes ne publiant pas de fake news ne seront pas inquiétés par le DSA ».
Pour Matiur Rahman Chowdhury, responsable-éditorial du quotidien bengali Manab Zamin, l’auto-censure est devenu une norme au sein des rédactions de presse du Bangladesh. « En tant que responsable-éditorial, je me sens triste de devoir abandonné un papier qui a pris plusieurs jours de travail de la part d’un journaliste. Mais je prends cette décision pour l’unique raison de devoir protéger le journaliste car je sais qu’il y a des risques à le publier » confesse-t-il avant d’ajouter « je lutte tout le temps avec moi-même et mes ombres ».
Face à ce climat de peur et d’auto-censure, H.T. Imam, membre du parti au pouvoir Awami League et conseiller politique de la première ministre annonce que les journalistes ne doivent pas avoir peur de faire leur travail et qu’ils peuvent traiter tout ce qui se passe sur le terrain. « Néanmoins, ils devraient se restreindre à ne pas déformer la réalité, ce qui est capital » explique-t-il avant d’ajouter que le gouvernement avait émis de nouvelles licences de presse pour créer de nouveaux médias.
Si le Bangladesh est effectivement un vivier de nouveaux médias, de nombreux journalistes affirment ne pas pouvoir écrire aussi librement que par le passé. « Auparavant, j’écrivais des éditos régulièrement et sans peur. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus rare » affirme Mahfuz Anam, journaliste pour le Daily Star, le quotidien anglophone le plus connu au Bangladesh depuis 25 ans. Ce journaliste a été accusé pour diffamation et trahison dans plus de 80 affaires portées devant les tribunaux par des militants de l’Awami League en 2016 avec pour conséquence, quelques 8 milliards de $ de dommages et réparations.
Le gouvernement déclare ne pas détenir de journalistes derrière les barreaux mais selon l’organisation Reporters Sans Frontières, au moins 25 journalistes et des centaines de blogueurs ou d’utilisateurs de Facebook ont été incarcérés en 2017. Selon cette même organisation, le Bangladesh se situe au 148ème rang mondial sur 180 pays pour ce qui est de la liberté de la presse. Le pays se plaçait à la 121ème place en 2009 quand Sheikh Hasina est arrivé au pouvoir.
Ces élections ne devraient pas apporter beaucoup d’amélioration sur ce plan au Bangladesh car même si le parti d’opposition Bangladesh Nationalist Party a affirmé qu’il retirerait le DSA en cas de victoire, la manière dont il a traité les médias avant 2009 quand il était au pouvoir n’était pas forcement mieux que maintenant.
Julien Lathus