Des élections nationales, un changement à la tête de l’armée et le dénouement de la guerre en Afghanistan, autant de facteurs qui font de 2013 une année cruciale pour l’histoire du pays qui est à la fois assiégé par le terrorisme et l’un des centres des mouvements djihadistes mondiaux. S’il est possible que ces transitions ne se déroulent pas dans la quiétude, elles auront néanmoins un impact important pour l’Inde et les USA. Les enjeux sont cruciaux pour l’un des pays les plus dangereux du monde.
Le Pakistan est un pays au centre d’une longue et douloureuse crise. Selon le gouvernement, près de 45 000 Pakistanais sont morts dans des actes de terrorisme depuis 2001. Parmi eux, 7000 agents de sécurité. Les attentats suicides étaient inconnus avant le 11 septembre. Depuis, plus de 300 ont été enregistrés. La plus grande ville du pays, Karachi s’est transformé en champ de bataille.
L’une des preuves de l’instabilité du Pakistan est que le pays compte entre 300 à 500 sociétés de sécurité privée, employant près de 300000 gardes armés. La plupart sont dirigée par des anciens généraux. Cette configuration fait que des services de renseignements américains pensent que le Pakistan sera un état défaillant d’ici 2030.
Le Pakistan reste également un état à la politique peu claire en matière de terrorisme. Parmi les 5 terroristes les plus recherchés par Washington, 3 vivent au Pakistan. Le cerveau des attentats de Bombay de 2008 et le chef du groupe Lashkar-e-Taiba, Hafeez Saeed ne fait peu d’efforts pour se cacher. Plus discret, le Mollah Omar pourrait faire de fréquentes navettes entre Quetta en Afghanistan et Karachi et l’émir d’Al-Qaida, Ayman Zawahiri se cacherait peut-être dans une villa peu différente de celle où Ben Laden a été tué en mai 2011.
Le Pakistan détient également l’arsenal nucléaire qui se développe le plus rapidement du monde et qui est maintenant supérieur à celui de la Grande-Bretagne. Les missiles y sont entre les mains des généraux et le pouvoir civil n’a dessus qu’un contrôle nominatif.
Malgré toutes ses charges, le président Asif Ali Zaradri a survécu. En fin d’année, il aura passé 5 ans au pouvoir et à cette occasion, il deviendra le premier civil à terminer son mandat dans l’histoire du pays. Ce sera une grande étape pour la démocratie pakistanaise. Après être passé par la case prison et avoir perdu sa femme, Benazir Bhutto dans un attentat, il reste néanmoins taxé de criminel avec sa famille en se posant comme un symbole de la corruption endémique du pays. En tant que président, il est l’artisan du large transfert de pouvoirs de la présidence vers le premier ministre, dont l’autorité sur l’arsenal nucléaire pour lancer le Pakistan sur la voie de la démocratie et de la stabilité.
Ce printemps, les élections parlementaires devraient être une répétition de toutes les élections pakistanaises qui se sont déroulées depuis 1988 avec un affrontement entre le parti de Nawaz Sharif, le PML (Ligue Musulmane du Pakistan, conservateur mais économiquement libéral) et le parti de feu Benazir Bhutto, le PPP tenu par Zardari (Parti du Peuple Pakistanais, social-démocrate). Sans vraiment le dire, les Pakistanais sont lassés de ce bipartisme mais les pronostics favorisent les vieilles formations. Nawaz Sharif comme Asif Ali Zardari sont engagés à améliorer leurs relations avec l’Inde, à conserver des liens ouverts avec les USA et à réformer l’économie pakistanaise. Mais tous 2 ont des relations troublées avec l’armée.
Nawaz Sharif apparait pour la revue The Economist comme le plus qualifié. Si il parvenait à remporter le siège de premier ministre pour la 3ème fois, ce sera un remarquable coup pour sa carrière, lui qui a été écarté en 1999 par le coup d’état de Pervez Musharraf et qui s’est exilé en Arabie Saoudite. Sa décision de retirer les troupes pakistanaises derrière la Ligne de Contrôle durant la guerre du Kargil avec l’Inde lui aura été fatale, mais il a peut-être évité un holocauste nucléaire entre les 2 pays.
Pourtant, de nombreux Pakistanais veulent un nouveau visage pour conduire leur pays. Désespérés, certains voient en l’ancienne star de cricket, Imran Khan, l’homme providentiel (et populiste) pouvant sauver le Pakistan. L’ISI, les services de renseignements pakistanais dépendant de l’armée l’aide probablement dans sa campagne en agissant pour semer des troubles contre les autres partis. Imran Khan se distingue par son anti-américanisme, ses positions anti-drones et semble prêt à négocier avec les talibans pour faire cesser leurs actions au Pakistan. Au moins, il comprend que son pays a besoin en urgence d’une nouvelle pensée.
Le vainqueur des élections parlementaires héritera d’un pays à la gouvernance et à l’économie chaotique. Les 2/3 des 185 millions de Pakistanais ont moins de 30 ans et plus de la moitié des jeunes de 5 à 19 ans ne sont pas scolarisés. L’explosion de la jeunesse est actuellement à son pic. A peine un million de Pakistanais ont payés des taxes en 2011, au contraire de nombreux politiciens. Les coupures électriques sont endémiques et l’approvisionnement en eau potable est en sursis alors que les inondations se font de plus en plus fréquentes.
Durant le premier mandat de Barack Obama, les relations avec le Pakistan se sont largement détériorées. En dépit des efforts des 2 présidents pour trouver un terrain d’entente, la relation a pris l’eau en raison du soutien intermédiaire du Pakistan aux talibans afghans, de la collusion du pouvoir avec le Lashkar-e-Taiba et la guerre d’Obama contre Al-Qaida à l’aide de drones. Durant ces 4années de pouvoir, Obama a ordonné plus de 300 sorties létales de drones sur le territoire pakistanais. Il n’y a aucune raison de croire que la guerre des drones va cesser, tant bien même que l’OTAN va transférer son pouvoir aux Afghans en 2014. A cela s’ajoute le raid qui a permis l’élimination de Ben Laden. Autant d’arguments qui font que la présidence américaine ne considère pas le Pakistan comme un allié fiable et ce, malgré les 25 milliards de $ d’aide économique et militaire apportés par Washington depuis 2001 pour combattre Al-Qaida.
Aujourd’hui, l’économie indienne est 8 fois plus forte que celle du Pakistan, et d’ici 2030, elle sera 16 fois plus importante. Néanmoins, l’accroissement prospère d’une classe moyenne indienne nécessite la présence d’un état voisin stable et en voie d’enrichissement. Un état défaillant ou pire, un état islamique serait un véritable piège de proximité pour l’Inde. C’est pour ses raisons que New Delhi, comme les USA suivra l’évolution politique du Pakistan en 2013 d’un œil bien ouvert. La plus grande crainte pour l’Inde et pour le Pakistan demeure une attaque d’envergure sur le modèle des attentats de Bombay de 2008.
New Delhi et Washington resteront vigilants mais ils devront également assurer un soutien. Le Pakistan tente de devenir un état normal où le pouvoir se transmet sans violence, suivant le chemin des élections. Depuis des décennies, le Pakistan a subi de nombreux coups d’état et de nombreux assassinats. Le peuple pakistanais en a été victime, maintenant plus que jamais. 2013 peut être une année où le pays va se transformer, en fait, une année de lutte pour l’âme du Pakistan.
Sources :
The Express Tribune –International Herald Tribune (Pakistan) en VO.
India Today (Inde) en VO.
Julien Lathus