Abbottabad, dans le nord-ouest du Pakistan. Ce fut le dernier refuge d’Oussama Ben Laden. Mais désormais, dans les collines surplombant la ville, ce sont les grands félins qui effraient le plus. Avec des récits très descriptifs, les habitants de la région d’Abbottabad affirment être piégés dans une lutte terrible contre les léopards, une espèce en péril dans le pays. Ces grands félins, appelés Léopards communs pour les distinguer de leurs cousins Léopards des neiges, rôdent sur les contreforts himalayens où la pression sur leur habitat naturel se fait de plus en plus forte.
Traduction et arrangements : Julien Lathus via The Guardian.
Au crépuscule, les léopards descendent des montagnes et s’aventurent dans les villages qui empiètent de plus en plus sur la forêt pakistanaise. Les habitants racontent qu’ils auraient tué au moins 4 personnes au cours de ces 4 dernières années. Plusieurs autres auraient été blessées. « Le léopard lui a simplement sucer le sang et elle en est morte » déclare Zakir Abbasi en se rappelant l’attaque de janvier dernier qui a coûté la vie à sa nièce, Saba Noor, âgée de 7 ans.
Exagération, déformation du récit ? Des phénomènes assez communs dans cette partie du Pakistan composée d’un patchwork de communautés le long de cette rude frontière montagneuse que le pays partage avec l’Afghanistan. Comme les nouvelles circulent de villages en villages, la distinction entre les faits et les rajouts est souvent floue. Mais avec des récits comme celui de Zakir Abbasi en circulation, les villageois du nord de la province de Khyer Pakhtunkhwa ripostent face aux léopards.
Au cours de cette dernière décennie, des douzaines de léopards ont été tirés ou empoisonnés dans ce que les fonctionnaires en charge de la faune craignent être un abattage systématique de l’une des espèces les plus menacées du Pakistan. Maintenant, ces agents publics se ruent dans des villages où pauvreté et manque d’éducation vont de pair pour convaincre les villageois de la nécessité de protéger tous les animaux, même ceux qui les effraient.
« L’ensemble du système écologique est en train d’être perturbé » annonce Iftikhar-Ul-Zaman, agent des forêts dans le district d’Abbottabad. « La hausse de la population humaine et son action sur l’habitat naturel des grands félins accroissent les risques d’attaque des léopards sur les populations locales qui en représailles les tuent ».
Le nombre précis de léopards restant au Pakistan est inconnu mais des experts de la vie sauvage estiment qu’ils ne seraient pas plus d’une centaine. Ce qui est clair toutefois, c’est que leur nombre est en chute libre en raison de la croissance démographique rapide de la population du Pakistan et du triste état des forêts protégées du pays. Environ 180 millions de personnes vivent au Pakistan et d’ici 2050, 300 000 millions de Pakistanais sont attendus selon les estimations de l’ONU. Selon diverses études, le Pakistan ne pourrait jouir que de 2 à 5 % de sa couverture forestière initiale et près de 27 300 hectares d’arbres seraient détruit par an.
En périphérie de la ville, au cœur de la pittoresque vallée Galiyat, les villageois affirment que les premiers signes de la présence des léopards se remarquèrent avec la disparition des chiens et chats errants. Ensuite, des attaques contre des troupeaux eurent lieu. Et finalement, des villageois se retrouvèrent face à ces animaux, de nature plutôt solitaire.
Muhammad Zafran, un quadragénaire, raconte que son père, Muhammad Jan fut hospitalisé durant 6 mois et qu’il est passé à côté de la mort après une attaque de léopard en janvier 2014. « Il était 19h15, dans la pénombre de l’hiver… le léopard se terrait dans les fourrés puis a bondit sur lui » se rappelle Zafran. « La main droite de mon père fut mordue, sa tête écorchée et ses cheveux arrachées avec un simple coup de patte ». Toutefois, les fonctionnaires du patrimoine naturel soulignent que les récits de léopards mangeur d’hommes sont exagérés dans la plus part des cas.
Uzma Khan, directrice de la conservation des espèces au sein de WWF Pakistan, vient de terminer une thèse qui s’est focalisée sur les circonstances des dernières attaques. Elle pense que le léopard qui a tué Saba Noor en janvier dernier ne l’a pas mangé, ce qui suggérerait que l’animal a confondu la petite fille avec une autre proie. Ses recherches l’ont amené à penser que l’attaque de janvier 2011 sur un homme de 35 ans n’en soit pas une tout compte fait. Au lieu, elle raconte que l’homme est tombé et s’est cogné la tête sur un rocher quand un léopard sauta d’un bosquet et l’effraya. Pour elle, il n’existe aucun autre récit similaire à celui de Zafran sur son père, mais elle affirme que des attaques non mortelles se sont produites dans la zone en 2005, 2007, 2008, 2010 et 2013.
Malgré tout, les efforts déployés par les agents forestiers pour faire disparaître les rumeurs de léopards « suceurs de sang » sont bien inefficaces au regard des dernières attaques où des humains se sont retrouvés dévorés par ces félins. En novembre 2011, une fillette de 11 ans et un garçon de 7 ans furent tués dans des attaques séparées. Dans les deux cas, Uzma Khan déclare que le léopard avait mangé diverses parties de leurs corps. A l’été 2005, une série d’attaques sur une dizaine de jours a conduit la mort de 6 femmes près d’Abbottabad. Deux femmes furent en partie mangées. La chercheuse soutient néanmoins, recherches à l’appui, que l’on a plus de chances de se faire tuer par un tigre en Inde ou par un lion en Afrique que de se faire tuer par un léopard au Pakistan.
Au Pakistan, les représailles ne tardent jamais à venir. Des dizaines de léopards ont été tués au cours des 10 dernières années. On en a rapporté 3, empoisonnés près d’Abbottabad en mars dernier. « Le gens sont effrayés » explique Syed Mushtaq, un travailleur social qui exrece à Bagh, à 25 km au sud-est d’Abbottabad. « Les gens se déplacent en groupe avec des bâtons et des fusils parce que les léopards n’attaquent pas les gens en groupe ».
Pour tenter de protéger les villageois comme les léopards, des agents locaux enjoignent les résidents à rester chez eux à la nuit tombée et demandent aux écoles de libérer les enfants au milieu de l’après-midi. « Nous essayons d’enseigner aux gens à quel moment il peut être dangereux de pénétrer dans les forêts et que les petits enfants ne doivent jamais y entrer seul » explique Uzma Khan. « Nous demandons donc de laisser les enfants quitter l’école à 14h, surtout si ils ont une heure de marche pour rentrer chez eux avant le coucher du soleil.
Si les enfants représentent des cibles idéales pour les léopards, les femmes apparaissent comme plus touchées par les attaques du fait qu’elles passent plus de temps en forêt que les hommes. « Les femmes locales ont encore plus de responsabilités domestiques à accomplir comme le ramassage du bois, la cueillette des fruits ou pour puiser de l’eau » remarque-t-elle. « Elles doivent préparer le petit-déjeuner de leur mari et des enfants avant l’heure de l’école, donc elles s’enfoncent dans la forêt au petit matin. Nous leur disons : N’y allez pas quant il fait sombre ».
Même si ces messages peuvent avoir un impact à court-terme, Uzma Khan déclare que le gouvernement pakistanais doit faire plus pour protéger ses forêts. Des agents des forêts ont récemment fixé un collier-émetteur sur un léopard mâle qui leur a indiqué qu’il évoluait sur prés de 90 km. Près d’Abbottabad, la plus grande zone de forêt protégée, le Parc National Ayubia ne fait que 50 km². « Pour un grand félin comme ça, il faudrait une zone bien plus grande » rappelle-t-elle.
Changer l’état d’esprit du gouvernement sur la question ne semble pas chose aisée. Un peu plus tôt, au cours de ce mois de septembre, le premier ministre Nawaz Sharif a proposé la construction d’une nouvelle autoroute pour relier la capitale Islamabad à Murree, une station de montagne crée par les Britanniques à 60 km au sud d’Abbottabad. L’autoroute et le développement qu’elle engendrerait pourrait encore plus trancher dans les zones nécessaires à la survie des léopards du nord du Pakistan.