Volatile et mystérieux, il a quitté Bombay il y a 28 ans. Lunettes noires, grosse moustache à l’indienne et cigare à la main : les cinéastes de Bollywood se sont emparés de sa légende vivante et on le retrouve à l’écran dans des films de gangsters. Si l’Inde le recherche, c’est surtout parce que ce roi de la pègre a basculé dans le terrorisme. Il est tenu pour le maître d’œuvre des terribles attentats de Bombay en 1993. Après Dubaï et Karachi, des informations font état de sa présence à la frontière afghano-pakistanaise. Petit portrait au regard des dernières informations.
En fin de semaine dernière, un fantôme du passé indien venait de resurgir. Un haut-fonctionnaire du ministère indien de l’intérieur affirmait que l’Inde avait identifié au moins 5 localisations de Dawood Ibrahim et qu’aux dernières nouvelles, ce dernier se serait réfugié dans les zones à la frontière de l’Afghanistan et du Pakistan.
« Il était à Karachi il y a encore une quinzaine de jours, mais depuis, il s’est déplacé dans les zones afghano-pakistanaises. Nous avons identifié au moins 5 ou 6 de ses planques régulières, desquelles il bouge de manière régulière avec l’aide des autorités pakistanaises. Il ne reste jamais au même endroit plus d’un mois » explique ce responsable. Il ajoute que Dawood se serait également déplacé à de nombreuses reprises hors du Pakistan, principalement en Asie Centrale.
En 2012, l’Inde qui recherche à mettre la main sur ce chef mafieux et terroriste avait transmis au Pakistan tous les détails en sa possession pour le faire arrêter, surtout son adresse supposée ainsi que les références de son passeport pakistanais. Le 11 mai dernier, Rajnath Singh, le ministre indien de l’intérieur a rappelé au Parlement pakistanais qu’un notice rouge d’Interpol avait été émise contre Dawood, accusé dans les attentats de Bombay de 1993, et qu’en «raison de la possession d’un tel document, le Pakistan est dans l’obligation de rechercher cette personne en vue d’une extradition ».
Du costume de parrain mafieux à celui de parrain du terrorisme.
C’est dans le quartier musulman de Nagpada, au le sud de Bombay que Dawood Ibrahim vit avec ses 11 frères et sœurs. C’est dans ses petites rues que naissent les gangs de Bombay dans les années 1970. La cité portuaire est alors au cœur des trafics de la Mer d’Arabie. A 10 ans, Dawood cesse d’aller à l’école et devient un petit caïd qui terrorise le quartier avec sa fratrie.
Dans les années 1980, après avoir éliminer ses concurrents dans de sanglantes fusillades, il est le maître de l’extorsion et de la contrebande, puis en investissant dans l’industrie de Bollywood, Dawood devient glamour et fréquente les stars. Son empire, surnommé la D-Company (D pour Dawood), laisse libre cours à tous les fantasmes. Trafics d’armes, de drogues, contrefaçons, fausses monnaies, paris clandestins, rackets dans le milieu de Bollywood, transferts de fonds illicites, commerce de l’or et des pierres précieuses… En 1986, un mandat de recherche contre lui est émis. Il quitte l’Inde et se réfugie dans une villa de Dubaï où coule le whisky et où se pressent les starlettes.
1992 est un tournant pour Dawood. Cette année, les extrémistes hindous font sombrer l’Inde laïque dans des violences intercommunautaires avec comme apogée le mois de décembre quand suite à la destruction d’une mosquée, les Musulmans indiens sont les victimes d’un pogrom qui coûte la vie à plus de 2000 personnes. Trois mois plus tard, le 12 mars 1993, treize bombes plongent Bombay dans le chaos. Les cibles sont économiques et politiques. Le bilan est lourd : des centaines de morts et de blessés. D’après les témoignages recueillis, une trentaine de jeunes Musulmans indiens recrutés comme poseurs de bombe ont également été reçu chez Dawood avant d’être envoyés au Pakistan pour y être entraînés.
« Le Pakistan est le meilleur endroit pour lui de se cacher » : un enquêteur de Bombay.
A partir de ce moment-là, il n’y a plus de retour possible en Inde. Les autorités se lancent dans un forcing diplomatique avec les Émirats Arabes Unis pour obtenir son extradition. Dawood sent le vent tourner. Il disparaît avant de réapparaître ouvertement, mais non officiellement à Karachi, la capitale économique et financière du Pakistan.
Selon le journaliste pakistanais Ghulam Hasnain, Dawood aurait reprit les affaires à Karachi. Foncier, drogue, or, cricket : le scénario de sa « réussite » indienne se répète chez le frère ennemi pakistanais. A plus grande échelle encore, sous la protection des services de renseignements. En 2003, l’Inde finit par convaincre les USA d’ajouter Dawood à la liste des terroristes mondiaux. En 2011, il est numéro 3 de la liste des criminels les plus recherchés établie par le magazine Forbes. Dans la foulée du raid contre Ben Laden au Pakistan, la presse indienne s’interroge sur le cas Dawood. « Ne serait-t-il pas temps pour le gouvernement de lancer une opération similaire contre lui » s’interroge une journaliste de One India News.
Si la D-Company est toujours active à Bombay, elle a prit un nouveau visage. L’époque des gangsters est révolue et le crime mafieux vire vers une criminalité en col blanc, jouant sur les gros contrats publics, l’obtention de licences ou les commissions. S’il reste insaisissable, on le dit souvent à bout de course, affaibli par des crises cardiaques à répétition. Dans le vieux quartier de Nagpada à Bombay, où Dawood a grandit a été rasé en 2011 pour faire place à des grattes-ciels. Malgré ces rumeurs de fin de partie, tout porte à croire que l’ombre de Dawood plane au-dessus du chantier, l’un des plus ambitieux projets immobiliers du moment en Inde.
Julien Lathus