La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la presse indienne en ce début de semaine. Un rapport du Conseil Nation des Renseignements américains sur le monde tel qu’il sera en 2030 fait apparaître l’Inde comme la première puissance économique mondiale. « En plus de la Chine, l’Inde et le Brésil seront des acteurs importants dans l’économie globale… En tant que plus grande puissance économique, la Chine devrait rester devant l’Inde mais le fossé entre les 2 sera comblé d’ici à 2030. La croissance économique indienne sera comparable à celle que la Chine offre au monde de 2012 » indique ce rapport.
Qu’en est-t-il vraiment de ce boom attendu alors que l’économie indienne affiche une morosité relative avec ses 5% de croissance mais de graves déficits de la balance commerciale et un cruel manque d’investissements ? Petit panorama des atouts et des pièges à cette montée en puissance.
Si la jubilation de la presse indienne face à cette nouvelle se doit donc d’être nuancée, il est indéniable que l’Inde affiche de nombreuses qualités lui permettant d’apparaitre au sommet de ces prévisions américaines. Au premier rang desquelles : l’expansion des classes moyennes indiennes. Le rapport prévoit que ces catégories sociales, qui représentent 10 % de la population de en 2012 pourraient représenter la moitié de la population du pays.
Sur le poids démographique des forces vives du travail, l’Inde montre une compétitivité incomparable pour ces prochaines décennies. Alors que le pic de personne en âge de travailler sera atteint en 2016 pour la Chine (994 millions de travailleurs), le rapport montre que l’Inde n’atteindra pas son pic avant 2050. Le nombre d’Indiens en âge de travailler dépassera alors le milliard.
Pour ce qui est de la puissance globale (global power : basé traditionnellement sur le PNB, la démographie, les dépenses militaires et la technologie), l’Inde affiche une croissance importante qui lui permettra de rivaliser, en puissance globale avec l’Union Européenne d’ici 2030 et avec les USA vers 2045. Selon ce critère, l’Inde se placerait en 2050 en 2nd position, derrière la Chine qui sera néanmoins nettement devant son voisin asiatique.
Pourtant, l’Inde connait toute une série de facteurs qui handicapent sa compétitivité et qui peuvent nuire à sa société. Il s’agit avant toutes choses de profondes inégalités qui opposent l’Inde des villes à l’Inde des campagnes et qui se notent également d’un point de vue sociétal. L’Inde peut également subir de graves crises alimentaires et hydrauliques que les changements climatiques pourraient nourrir. De plus, tous ces critères se placent dans une géopolitique régionale complexe.
Le rapport met en garde l’Inde face aux menaces sécuritaires que le pays pourrait rencontrer face à une population jeune sur le plan ethnique et régional. « En Inde où les états du sud et les grandes villes se caractérisent par une fertilité plus basse, la jeunesse – dans le sens où elle peut contribuer à de l’instabilité si le pays manque d’emplois – pourrait éroder la société dans le nord du pays, au Bihar et en Uttar Pradesh » lit-t-on dans le rapport américain.
L’histoire a de nombreuses fois montré le pouvoir des migrations. Pour le meilleur, elles permettent à un pays de d’harmoniser les différences économiques et démographiques internes, au pire, elles peuvent mener à une rupture économique liée aux conflits internes. Prenons dans cet exemple les enjeux de l’exode rural. Entre 2011 et 2030, l’ONU prévoit que la population urbaine indienne connaitra 218 millions de nouveaux arrivants. Cet accroissement urbain pose d’ambitieux défis à l’Inde. Le niveau des émissions de CO2 pourrait doubler et les villes indiennes auront besoin plus de 94 millions de litre d’eau ce que le pays ne semble pas pour le moment en mesure de fournir. Ajoutons à cela que les infrastructures de transport se révéleront inadaptées aux nouveaux flux. Face à ces dangers, le rapport souligne l’importance des villes dans le développement économique puisqu’elles génèrent pour près de 80 % de la productivité en Asie.
Le changement climatique apparait comme un des pièges principaux à l’essor indien. Parmi eux, l’interconnexion du futur manque d’eau urbaine avec le fait que des millions de personnes en Inde dépendent des glaciers, dont les glaces subissent une rapide dégradation en raison du réchauffement climatique. Il est indéniable que les questions alimentaires et hydrauliques auront une importance majeure sur les enjeux d’accessibilité et de développement technologique. Pour nourrir sa population, l’Inde pourrait avoir recours à plus de fertilisants et peut être aux OGM en dépit des graves problèmes que ces deux facteurs pourraient induire en matière de pollution et de santé publique. L’Inde, comme la Chine et la Russie pourraient connaitre d’importants remous sociaux en raison d’une inflation continue du prix des denrées alimentaires et une nouvelle « géopolitique du grain » pourrait émerger à l’échelle mondiale.
Les questions énergétiques ne sont pas en restent pour l’Inde qui a démontré ces faiblesses avec la panne électrique historique de cette été. D’importantes réformes et des innovations dans le secteur énergétiques sont attendues si le pays veut pouvoir soutenir sa croissance économique vers les sommets prédis.
Ce sont autant de pièges auxquels l’Inde devra répondre tout en soutenant une croissance rapide. New Delhi pourra néanmoins compter sur le soutien de son système démocratique et sur son profil de « jeunesse dynamique ». « L’Inde reste vulnérable face à la volatilité de ses ressources clés » explique le rapport. A cela s’ajoutent les nombreux risques de tensions que l’Inde entretient avec de nombreux voisins.
Sources :
IBN (Inde) en VO.
India Real Time – Wall Street Journal (Inde) en VO.
Julien Lathus