Une dizaine de jours après l’attentat de Pulwama, revendiqué par le Jaish-e-Mohammad (JeM), un groupe armé basé au Pakisan, l’Inde s’est finalement résolue à agir militairement face à la pression de la rue et des médias qui appelaient depuis des jours à une réponse forte envers le Pakistan, accusé de soutenir le groupe responsable d’une nouvelle crise entre les 2 puissances nucléaires. Après des sanctions économiques, diplomatiques et probablement hydrauliques dans le futur, l’armée de l’air indienne a menée une incursion au Pakistan ce mardi matin en visant un camp du groupe responsable de l’attaque.
Ce matin, au réveil, les Indiens ont appris par l’agence de presse indienne ANI que les forces aériennes indiennes avaient lancé une opération contre un camp terroriste « majeur » à Balakot, petite ville située à 50 km à l’intérieur des terres du Pakistan. Vers 3h30, une douzaine de chasseurs Mirage 2000 ont largué quelques 1000 kg d’explosifs sur des installations du Jaish-e-Mohammad. Selon les médias indiens, cette opération, d’une durée de 20 minutes aurait permis l’élimination de près de 350 personnes.
L’armée indienne déclare que « 325 terroristes et 25 de leurs adjudants ont été pris par surprise dans leur sommeil », dans ce camp de Balakot dans la province de Kyber Pakhtunkhwa, non loin du Cachemire pakistanais, que le Jaish avait quitté dans l’attente des représailles indiennes. Selon les Indiens, des renseignements ont fait état d’un large transfert de combattants du JeM en formation et d’autres parfaitement opérationnels vers un camp « 5 étoiles » avec piscine, cuisiniers et agents d’entretien pouvant accueillir entre 500 et 700 personnes. Un camp qui selon les dires du ministère indien des affaires étrangères était dirigé par Maulana Yusuf Azhar, le beau-frère de Masood Azhar, le chef du jeM.
Pour l’Inde, cette intervention a été dicté par le fait que des renseignements annonçaient de nouvelles actions du Jaish-e-Mohammad contre des cibles indiennes. « Au vu du danger immédiat, une frappe préventive est devenue absolument nécessaire » a déclaré Vijay Gokhale, un haut diplomate indien au cours d’une conférence de presse e qualifiant ce raid « d’action préventive non militaire » et « spécifiquement ciblé sur un camp du Jaish-e-Mohammad ».
La « forte réponse » promise au Pakistan par le premier ministre Narendra Modi était attendue dés le lendemain de l’attaque de Pulwama par la population indienne, chauffée à blanc par l’omniprésence de sujets et débats sur cette attaque qui tournent en boucle sur les chaînes d’information en continu indiennes depuis le 14 février dernier. En campagne en vue des élections de mai, le premier ministre indien savait que sa réponse envers cet attentat allait être un argument de poids pour sa réélection. « Je vous appelle aujourd’hui à féliciter nos soldats… Je peux vous assurer que le pays est entre de bonnes mains » a t-il lancé à une foule enthousiaste au cours d’un meeting au Rajasthan avant de scander « Bharat Mata Ki Jai » ( victoire pour la Mère Patrie) en chœur avec ses sympathisants.
Dans la foulée du raid, le Pakistan s’est empressé de dénoncer une violation de ses frontières et du cessez-le-feu. « L’Inde a commis une violation de la Ligne de Contrôle (qui fait office de frontière entre les 2 pays au Cachemire) et nous nous réservons le droit d’y répondre de manière adéquate pour sa propre défense » a lancé Shah Mehmood Qureshi, le ministre pakistanais des affaires étrangères.
Si le Pakistan reconnaît donc l’incursion indienne, il est a toutefois rejeté le succès rapporté par la presse indienne en donnant une autre version des faits. Selon le porte parole de l’armée pakistanaise, Maj Gen. Asif Ghafoor, les avions indiens sont rentrés sur 4 km à l’intérieur du territoire pakistanais avant d’être pris en chasse par l’aviation pakistanaise. « Les chasseurs indiens se sont infiltrés par le secteur de Muzafarabad. Face à la réponse efficace et rapide de l’armée de l’air pakistanaise, ils ont fait demi-tour, larguant leurs bombes près de Balakot, dans une zone déserte. Pas d’infrastructure touchée, pas de victimes » a t-il écrit sur Twitter.
En dépit de leurs affirmations, l’armée pakistanaise semble avoir été surpris par cette attaque puisque ces forces n’ont pas riposté à l’expédition indienne. Alors qu’ils se sentaient prêt à accueillir une riposte indienne le long de la frontière dans la partie pakistanaise du Cachemire, ils n’ont pas imaginé que l’Inde puisse s’aventurer dans une incursion en profonde sur leur territoire. Au final, comme en 2016 après les bombardements indiens au Pakistan suite à l’attentat d’Uri, les Pakistanais se sont laissés surprendre par le scénario choisi par le gouvernement indien.
Maintenant, toute la pression qui reposait sur les épaules de Narendra Modi semble s’être déplacé sur celles de son homologue pakistanais, Imran Khan qui fut élu l’année dernière en promettant de se tenir fort face à l’Inde. L’ex-champion de cricket reconverti avec succès dans la politique de son pays a tenu ce mardi une réunion sécuritaire d’urgence face à ce qui apparaît comme un désastre stratégique si la version indienne du raid se confirme. Comme son homologue indien le 14 févier dernier, Imran Khan promet la vengeance du Pakistan. « L’Inde a commis une agression sans nom à laquelle le Pakistan se donne le choix de la réponse au moment et l’endroit qu’il aura choisi » a communiqué le bureau du premier ministre pakistanais.
Quelle réponse pourra t-il amener ? Prendre le risque et la responsabilité d’accentuer la dangereuse escalade qui tient la région en haleine depuis 12 jours ? Ou fera t-il le nécessaire pour éviter un affrontement direct, au risque de déplaire à l’opinion publique pakistanaise mais de tenter de calmer une communauté internationale de plus en plus critique face à son double jeu avec les groupes armés qui déstabilisent le Cachemire indien ? Une fois de plus, les prochains jours seront décisifs quant à la stabilité du sous-continent indien.
Julien Lathus