Si le militantisme religieux connaît une renaissance le long de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, il s’installe également dans l’espace public urbain pakistanais à en juger de la nouvelle polarisation de groupes comme le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). Depuis 2011, la sphère opérationnelle de insurrection et la sélection des cibles d’attaques témoignent d’une expansion venue des Zones Tribales Pakistanaises (FATA) vers le cœur des grandes villes pakistanaises.
En mai dernier, alors que le pays s’apprêtait à voter au cours d’élections historiques, un rapport du Pakistan Institut for Peace Studies, focalisé sur les violences politiques, révèle qu’entre janvier et mai 2013, seules 12 des 148 attaques ont eu lieu dans les FATA. La province de Khyber Pakhtunkhwa en a subit 50, suivie du Baloutchistan avec 49 attaques, puis par le Sindh et ses 30 actes de violences. Si l’on ne considère que les villes, Karachi polarise 25 attaques terroristes jusqu’en mai. Elles ont coûté la vie à 60 personnes et ont laissé 291 blessés. Début juillet, cette vague de violences urbaines s’est propagée à Lahore et plus précisément sur le marché très fréquenté d’ Anarkali Baazrar.
En 2010, le politologue américain, Robert Pape établissait un lien entre les attaques suicides et l’occupation militaire étrangère de l’Afghanistan en affirmant que les griefs idéologiques n’étaient que secondaires dans la détermination destructrice des terroristes. Mais à vrai dire, les véritables conséquences des opérations militaires du XXIème siècle se mesurent dans « l’après » et non pas dans l’immédiat. L’essor du terrorisme au Pakistan et l’expression de la contestation violente de la politique antiaméricaine qui s’y déroule en sont les preuves.
Le déplacement géographique de la menace militante depuis les régions de Wana et de Miramshah, qui sont aujourd’hui les centres nerveux de l’islamisme international, suggère une évolution, à la fois de la stratégie et de la tactique de la guerre que lance le TTP contre l’état pakistanais et la politique internationale. Alors que les troupes de l’OTAN quitteront l’Afghanistan en 2014, il devient de plus en plus clair que l’ancrage historico-social du TTP sur la frontière a volé en éclat. En cause, l’intense campagne de contre-insurrection menée par les drones, qui a coûté la vie au numéro 2 du TTP en mai dernier, Wali-ur Rehman. En conséquence, la nouvelle stratégie du TTP est la couverture urbaine, là où les drones ne peuvent agir et où l’on peut se cacher sans trop de peine.
Ces migrations permettent d’accéder à un meilleur réseau, à un recrutement plus aisé, à l’argent, aux innovations technologiques, aux marchés d’armes, mais également au rapprochement de cibles de haute importance. L’immersion de ces nouveaux acteurs dans le milieu urbain laisse présager de la menace qui plane au dessus du Pakistan. Déjà en 2011, Anatol Lieven écrivait « Si le Pakistan doit être un état failli, ce sera d’abord dans les rues de Lahore et des autres villes, en non dans les montagnes des zones pashtounes ».
Pourtant, Lahore n’a pas été épargné ces dernières années par les violences : l’agression de l’équipe de cricket du Sri Lanka en 2009, l’enlèvement du fils du gouverneur du Punjab en 2011 ou l’attaque contre des cadets de la police l’année dernière. La différence majeur qui intervient aujourd’hui repose sur le fait que la guérilla du TTP touche désormais les civils, aux cotés des cibles gouvernementales ou symboliques.
L’urbanisation de ces factions militantes reste néanmoins dépendante aux structures internes de ces acteurs non étatiques. Le succès du TTP repose sur 3 points essentiels : une opposition à l’état pakistanais, un commandement décentralisé et une habilité à se renforcer dans différents environnements. C’est en partie grâce à ces 2 derniers points que le TTP peut se permettre une diffusion géographique.
En même temps, plusieurs spécialistes indiquent que l’environnement extérieure du TTP est en phase d’évolution parallèle au boom urbain. Karachi, dont la population actuelle rivalise avec celle de New York ne cesse de croître. A ce rythme, elle devrait dépasser Shanghai en 2025 pour devenir la mégalopole la plus peuplée du monde. De manière plus général, le fort taux d’urbanisation du Pakistan devrait atteindre une hausse annuel de 50 % ces prochaines années. Ces chiffres, coupés avec le fait militant laisse présager d’un renforcement de la violence de la part des acteurs non-étatiques qui bénéficieront de tous les avantages qu’une grande ville peut offrir.
Ce déplacement à Lahore permet au TTP un contact rapproché avec des groupes locaux comme le Lashkar-e-Jhangvi. Il peut en découler des alliances et renforcement des conceptions sectaires. De la même manière, l’arrivé du TTP à Karachi, une ville déjà ensanglantée par les violences politiques, ethniques et sectaires, promet des jours bien durs pour la capitale financière et économique du Pakistan. L’exploitation du capitalisme, des extorsions et des enlèvements permet aux groupes des opérations lucratives pour leurs levés de fonds. De plus, le fort taux de chômage présente une alternative pour un bon nombre de jeunes, issus des écoles coraniques, comme des universités d’état.
La face urbaine du militantisme pakistanais amène un nouvel enjeu de taille pour la sécurité publique du Pakistan. Alors que la souveraineté du gouvernement pakistanais décline dans la lutte pour le contrôle du Pakistan et que le TTP concurrence le monopole d’état de la violence, il devient clair que l’insurrection se transforme d’un problème local vers un problème global. La consolidation d’une insurrection urbaine devient alors une nouvelle normalité dans les villes pakistanaises face à un état qui cherche une nouvelle stratégie pour empêcher ses mégalopoles de sombrer.
Julien Lathus.