Comme chaque année en Afghanistan, la fin de l’hiver est synonyme de reprise des combats. Et comme chaque année, les insurgés talibans annoncent par un communiqué cette nouvelle saison de lutte contre les forces étrangères et le gouvernement de Kaboul. Cette année, l’offensive de printemps est nommée « Al Khandaq Jihadi Operations » en référence à la bataille de Médine de 627 au cours de laquelle les forces de Mahomet furent assiégées par une coalition arabo-juive. Pour cette saison, les Talibans ont fait des forces américaines leur objectif principal, reléguant le combat contre les forces et le gouvernement afghan à un adversaire secondaire.
« Le déroulement des opérations d’Al Khandaq et leurs stratégies ont été planifié par le brillant et renommé responsable de la Commission militaire de l’Émirat Islamique sur les modes de la guérilla, du face à face, des infiltrations et de diverses autres manœuvres pour répondre à la nouvelle stratégie de guerre de l’ennemi » explique le communiqué des Talibans diffusé mercredi.
Sirajuddin Haqqani, qui dirige la Commission militaire des Talibans est considéré comme un brillant tacticien et un fin stratège. C’est par ses plans qu’aujourd’hui, les Talibans contrôlent ou disputent au moins 58 % des 407 districts que compte l’Afghanistan, ce qui représente leur plus important contrôle ou influence territorial sur le pays depuis leur perte de pouvoir fin 2001.
« La cible prioritaire de cette campagne sera les envahisseurs américains et leurs agents de renseignement » souligne le communiqué tout en indiquant qu’ils feront le nécessaire pour éviter les victimes civiles en mettant toutefois les Afghans en garde de rester « à distance de toutes base ennemie et de leurs convois en vue de ne rien risquer lors des opérations ».
Si l’annonce de la saison des combats chaque printemps par les Talibans est perçue comme un exercice de propagande, il n’en demeure pas moins révélateur de la tactique choisie par les Talibans pour leurs opérations annuelles car ils traduisent généralement en action ce qui avait été exposé dans leur communiqué. En 2017, au cours de l’opération Mansouri, les Talibans avaient déclaré qu’ils se focaliseraient autant sur les Américains que sur les forces afghanes et qu’ils approfondiraient leur gouvernance des zones reprises à l’ennemi. Et c’est dans les grandes lignes ce qui a rythmé l’année dernière.
En 2016, les Talibans avaient promis que l’opération Omari serait un concentré d’attaques de grandes envergures à l’encontre des positions ennemies disséminées à travers le pays et d’opérations suicide dans leurs fiefs. Cette année là, les Talibans ont imposé une forte pression à 6 capitales régionales, pris plusieurs districts et ont lancé des assauts meurtriers contre de grandes bases militaires.
L’offensive talibane de 2018 a tout pour devenir l’une des plus importantes de cette guerre qui dure depuis 16 ans. Les Américains viennent de débarquer quelques milliers de soldats supplémentaires en Afghanistan pour tenter de mettre un terme à l’expansion territoriale des Talibans et pousser ces derniers à la table des négociations. Cette stratégie avait échoué sous Obama quand 120 000 soldats américains étaient encore présent sur le sol afghan. Ils sont aujourd’hui un petit peu plus de 15 000.
Quelques heures après l’annonce du lancement de la campagne Khandaq, le Département d’État américain a répliqué en intimant aux Talibans de déposer les armes, de prendre part aux pourparlers et de se rallier au processus électoral afghan. « Comme l’a dit récemment le président afghan Ghani, les Talibans devraient remplacer leurs balles et leurs bombes par des urnes. Ils devraient concourir pour le pouvoir. Ils devraient voter. Nous encourageons les chefs talibans à quitter leurs sanctuaires de l’étranger pour rentrer en Afghanistan et travailler pour le futur du pays. Plus de violence n’amènera ni la paix ni la sécurité en Afghanistan » écrit le secrétaire d’État dans sa réponse.
Pour Bill Roggio, fondateur du site d’information américain LongWarJournal, ces appels répétés des Américains appelant les Talibans à faire la paix démontre une profonde méconnaissance des Talibans et de leurs buts après 16 années de guerre. Il explique qu’il est impensable pour les Talibans de prendre part à un processus politique. Ils cherchent avant tout à faire partir les forces militaires étrangères présentes en Afghanistan et à renverser le gouvernement en place afin de rétablir l’Émirat Islamique d’Afghanistan et la loi coranique, comme celle qui prévalait avant l’invasion de l’OTAN après le 11 Septembre. « L’idée que les Talibans puissent prendre part au processus démocratique et partager le pouvoir avec des Afghans qu’ils perçoivent comme des marionnettes et des pions est à la fois un non-sens et un projet voué à l’échec » explique-t-il
L’annonce de la reprise des combats intervient après 3 jours marqués par des attaques de grandes ampleurs. Mardi 24, au moins 11 soldats et policiers afghans sont dans 2 attaques séparées menées par les Talibans dans les provinces de Ghazni et de Farah. La veille, ils en tuaient 18 autres dans l’ouest du pays mais c’est dimanche 22 qui a été le plus sanglant après un attentat suicide tuant 60 personnes à Kaboul. Ce dernier a toutefois été revendiqué par l’État Islamique.
Julien Lathus