Nawaz Ali Muhammad, un pêcheur du petit village de Shah Bunder, dans le sud du Pakistan avait été porté perdu après le déchaînement d’un cyclone en Mer d’Arabie en 1999. Sa femme l’avait cru mort dans cette tempête. Six ans après, elle a apprit qu’il était en vie, mais enfermé dans une prison indienne. Un de ses compagnons pêcheur avait été libéré et en retournant au Pakistan, il s’était empressé de propager la nouvelle de l’existence d’un Nawaz Ali Muhammad bien en vie mais au destin bien compliqué.
Il aura fallut une année de plus pour que le gouvernement indien reconnaisse que ce pêcheur était emprisonné, pour espionnage au profit du Pakistan et transport de narcotiques. Une Cour indienne l’avait condamné, lui et 3 autres pêcheurs à la réclusion à perpétuité en 1999.
En octobre dernier, après une absence de plus de 13 années, Nawaz Ali Muhammad en rentré au Pakistan dans un cercueil. Il avait 39 ans quand il est mort dans un hôpital après une maladie. Les autorités n’ont pas mesure de révéler les causes de cette mort mais elles ont affirmé qu’il ne s’agissait en rien d’un acte criminel.
« Il devrait être ici, en vie et avec moi » se lamente Hamida, sa femme qui vit dans une maison composée d’une seule pièce à Rehri Goth, une communauté de pêcheurs appauvris dans la banlieue de Karachi. La famille du pêcheur et celle des 3 autres condamnés avaient quitté Shah Bunder dans l’espoir de trouver du travail.
L’histoire de cette famille détruite n’est pas un cas isolé au Pakistan comme en Inde. Dans les zones frontalières du sud du Pakistan et de l’ouest de l’Inde, les pêcheurs sont aux avant-postes de la diplomatie calamiteuse faite de méfiance et de haine qu’entretient les 2 pays. Près de 438 pêcheurs indiens sont actuellement incarcérés dans les prisons pakistanaises et de l’autre côté de la frontière, 165 professionnels de la mer pakistanais sont enfermés selon les comptes du Ministère pakistanais des affaires étrangères et des groupes issus de la société civile des 2 pays. A eu s’ajoutent 63 pêcheurs pakistanais dont on a perdu la trace, et qui pourraient être enfermés dans des prisons indiennes.
« Les gouvernements des 2 pays ont pourtant déclaré que les pêcheurs n’étaient pas impliqués dans des activités criminelles » explique Jatin Desai, un journaliste indien et le secrétaire du chapitre indien du Forum Des Peuples Indiens et Pakistanais pour la Paix et la Démocratie, une coalition d’organisation issues de la société civile qui cherche à établir es ponts entre les 2 pays.
Ces derniers mois, Desai a pu visiter les pêcheurs pakistanais enfermés dans la prison de Rajkot au Gujarat, où il a rencontré l’oncle et les 2 cousins de Mr Muhammad. « Ils m’ont confié qu’ils étaient innocents et qu’ils n’avaient rien à avoir avec des activités illégales » déclare-t-il en ajoutant qu’ils avaient vu leurs appels rejetés par la Cour Suprême Indienne en 2007.
« Souvent, en raison des vents et des tempêtes, leurs bateaux sont portés dans les eaux indiennes » remarque Nawaz Ali Daboo, un jeune pêcheurs de Rehri Got. Son plus jeune frère avait disparu lors d’une tempête en 1999 et présumé mort après. Son grand-père, quant à lui, avait été emprisonné en Inde durant 3 ans en 1971 après avoir été intercepté dans les eaux indiennes.
Depuis l’indépendance en 1947, l’Inde et le Pakistan se sont affrontés à 3 reprises, principalement en raison du Cachemire, mais aussi sur le sujet de la frontière de l’estuaire de Sir Creek qui ouvre sur la Mer d’Arabie. Le Pakistan déclare que la frontière se positionne sur la rive orientale alors que l’Inde la revendique en son milieu. Des accrochages dans cette zone sont à l’origine de la guerre de 1965 et en 1999, l’Inde avait abattu un avion de surveillance pakistanais qui aurait franchi la frontière. Sur le plan diplomatique, des pourparlers ont eu lieu en décembre 2008 mais ils ont été suspendus après les attentats de Bombay du 26 novembre 2008 quand un commando pakistanais a fait régner la terreur durant plusieurs dizaines d’heures dans la capitale économique et financière de l’Inde, coûtant la vie à 166 personnes et sapant la diplomatie entre les pays. Selon les autorités indiennes, des militants pakistanais avaient abordé un bateau de pêche indien depuis l’estuaire en question pour mettre le cap sur Bombay.
Nawaz Ali Daboo déclare que les pêcheurs ont du mal à trouver de quoi survivre ces dernières années en raison des changements climatiques et de la pêche intensive. Depuis, les campagnes de pêche durent des fois des semaines et elles se terminent parfois de l’autre côté de la frontière. « Il n’y a aucun marquage et on ne peut pas tout le temps voir la côte » reprend-t-il.
Selon un mémorandum des Lois de la Mer de l’ONU, le Pakistan et l’Inde devaient trouver un accord pour résoudre leurs différents maritimes le 13 mai 2009, mais en raison du gel diplomatique , aucun accord sur Sir Creek n’a été trouvé. Selon ce traité, si les signataires ne trouvaient pas un accord à la date limite, il était prévu que les 2 pays perdraient leurs droits sur ces eaux et qu’elles passeraient sous le contrôle international.
« Vous ne pouvez pas dessiner des lignes dans l’eau, ni construire un mur qui signalerait les eaux indiennes ou pakistanaises aux pêcheurs locaux » explique Muhammad Ali Shah, le directeur de l’ONG Forum Pakistanais des Pêcheurs. « Quelques fois, les pêcheurs s’endorment dans leurs eaux territoriales et les courants les emmènent de l’autre côté de la frontière où ils sont appréhender par les gardes-côtes ».
« Leur crime est d’être des gens pauvres » ajoute Nasim Aslam Zahid, un juge de la Cour Suprême Pakistanaise, aujourd’hui à la retraite mais qui dirige le Comité Judiciaire Indo-Pakistanais sur les Prisonniers. Cet organisme est formé de groupes de la société civil et de 8 juges à la retraite, 4 de chaque pays. Tous les 6 mois, ils se rendent dans les prisons indiennes et pakistanaises et compilent des listes de prisonniers qu’ils partagent avec les 2 gouvernements. La tâche n’est pas aisée car les pêcheurs ont du mal à justifier leur existence. La plupart étant très pauvres, illettrés et ils n’ont que rarement leurs papiers d’identité.
La situation pour les pêcheurs est compliquée et directement liée au jeu de diplomatie complexe que se livre l’Inde et le Pakistan. Lorsque les pêcheurs ont fini de purger leur peine pour avoir franchi illégalement la frontière, ils doivent alors attendre un échange de pionniers entre les 2 pays. La libération des pêcheurs s’inscrit dans le processus diplomatique des mesures de confiance (CBM) et elle est vu comme un geste humanitaire et réciproque.
En 1997, 193 pêcheurs indiens avaient été échangés contre 194 Pakistanais et en 2001, 3 mois avant la visite de Pervez Musharraf, alors président du Pakistan, en Inde, 157 Indiens avaient été relâchés contre 160 Pakistanais. Des centaines de pêcheurs ont été libérés en 2005 et en 2006 dans le cadre de négociations bilatérales. Parfois, un pays décide de le faire unilatéralement.
Mr Desai déclare qu’il ne devrait y avoir aucune politique d’arrestation dans les eaux de Sir Creek car les pêcheurs ont besoin de pêcher dans ces eaux. « Au lieu de les arrêter, ils pourraient être renvoyés dans leur pays. Cette question doit être regarder d’un point de vue humanitaire. Ils sont pauvres et la plupart sont illettrés. Durant des siècles, ils ont dépendu de la mer comme unique source de survie » conclut-t-il.
Julien Lathus