C’est un épisode de plus dans la lutte politico-sociale qui secoue le Bangladesh depuis le début de l’année. Ce jeudi, la Haute Cour du Bangladesh a interdit le Jamaat-e-Islami, et maintenant, tous les regards se portent vers la réaction de ses partisans face à cette décision. La situation est tendue alors que le pays connaît une série de manifestations et de contres manifestations depuis janvier et l’ouverture des procès pour crimes de guerre perpétrés durant la guerre indépendance du Bangladesh en 1971. Sur les bancs des accusés, de nombreux cadres du parti islamiste. Modèle de société et clivages politiques sont en collusion des événements révolutionnaires qui agitent l’un des pays les plus fragiles du monde et qui doit s’apprêter à voter en début d’année prochaine.
« Un parti non accordé avec les idéaux laïcs du pays ».
La justice a estimé que le programme du parti Jamaat-e-Islami était contraire à la Constitution laïque du pays. Un tour de force qui fait que le parti ne pourra pas présenter de candidats pour les prochaines élections générales prévues pour le début de l’année 2014. « Si le parti amende son programme pour le mettre en conformité avec la Constitution et qu’il demande à nouveau son enregistrement, il pourra être réinscrit » indique un membre de la Commission Électorale.
En attendant, cette déclaration doit avoir le son des bonnes nouvelles pour la Première ministre, Sheikh Hasina, dont cette décision lui apporte un certain avantage dans le bras de fer qui l’oppose à aux partis islamistes en vue des prochaines élections.
Maintenant, il faut attendre la réaction des sympathisants du Jaamat mais déjà, les craintes d’affrontements laissent entrevoir de futurs bains de sang, comme il s’en est produit sporadiquement depuis janvier dernier. Le parti jouit d’un soutien considérable dans les zones rurales et de manière général chez les conservateurs. Régulièrement, le Jamaat les invite à se rendre à Dhaka, la capitale du pays pour y manifester et montrer au pouvoir de Sheikh Hasina que le parti reste mobilisé dans le choix de ses idées de société et dans sa volonté de les faire appliquer.
Plusieurs groupes islamiques sont nés de l’opposition aux contestations laïques demandant la peine de mort dans les procès de la guerre de 1971. C’est ainsi que les rues du Bangladesh ont vu croître l’influence de la coalition Hefazat-e-Islam, formée par des « durs » qui souhaitent faire adopter par le gouvernement leurs 13 revendications. Parmi elles, la condamnation à mort des blogueurs « athées » qui insultent l’Islam, le renvoi des missions et des ONG chrétiennes ou la stricte ségrégation entre les femmes et les hommes dans l’espace public.
Alors que le Bangladesh est un pays musulman, mais une démocratie séculière, ils demandent également au pouvoir d’abandonner sa politique d’emploi des femmes. Plus de 4 millions d’entre elles travaillent dans le secteur textile qui est le pilier de l’économie du Bangladesh. « Hefazat veut rétrograder les femmes à l’Age de Pierre » déclare Brad Adams, directeur Asie pour Human Right Watch.
Cette ascension inquiète au Bangladesh. « Les gens ont peur des demandes d’Hefazat. Nous savons que le Pakistan et l’Afghanistan souffrent de l’islamisme radical. Les demandes de ce groupe sont vraiment choquantes pour les forces séculaires du pays. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir cela comme une petite menace car le problème repose sur le patronage politique d’Hefazat » explique Julfikar Ali Manik, un vétéran du journaliste connu pour ses enquêtes sur le militantisme islamique.
Entre temps, les groupes s’affrontent dans les rues et subissent la répression des forces de l’ordre.
Selon l’organisation Human Right Watch (HRW), les affrontements entre les supporteurs de la démocratie laïque de Sheikh Hasina et les opposants islamiques auxquelles se mêlent les forces anti-émeutes auraient déjà fait au moins 150 morts et près de 2000 blessés. Dans un rapport nommé « Du sang sur la chaussée : Utilisation excessive de la force lors de manifestations au Bangladesh », HRW pointe du doigt la violence excessive des forces de l’ordre face aux manifestations de rue. Coups de feu sur la foule, détentions arbitraires et parfois exécutions extrajudiciaires ponctuent les 95 entretiens recueillis par HRW auprès de victimes, de journalistes ou d’avocats. Parallèlement, les autorités ne feraient aucun efforts pour faire rendre des comptes aux forces de l’ordre.
La situation préélectorale inquiète d’autant plus que le tribunal chargé des crimes de guerre de 1971 poursuit ses condamnations dans les rangs du Jamaat.
Une série de procès historiques et politiques par un tribunal décrié.
Le dernier en date, Ali Ashan Mohammad Mojaheed, condamné le 17 juillet dernier à la pendaison. Agé de 65 ans, cet homme politique a été jugé responsable de l’enlèvement, de la torture et de l’assassinat d’un rédacteur en chef de journal, et de plusieurs responsables de mouvements indépendantistes.
A l’époque, Ali Ahsan Mohammad Mojaheed dirigeait la brigade al-Badr, chargée d’éliminer les intellectuels favorables à l’indépendance. Au cours de ces massacres, trois millions de personnes ont perdu la vie, selon les chiffres du gouvernement, entre trois cent mille et cinq cent mille, selon des instances indépendantes.
Aujourd’hui, Ali Ahsan Mohammad Mojaheed est un homme politique très influent. C’est l’actuel secrétaire général du Jamaat-e-Islami, le plus grand parti islamiste au Bangladesh, après avoir été ministre entre 2001 et 2006. Sa condamnation à mort risque donc d’avoir davantage de difficulté à être acceptée par la population.
Le Tribunal international des crimes (ICT) est, depuis sa création en 2010, très controversé. C’était une promesse de campagne de l’Awami League, le parti laïc à l’origine du mouvement qui a conduit à la guerre d’indépendance au Bangladesh. Pour le gouvernement, c’était le meilleur moyen de cicatriser les plaies encore vives de la guerre d’indépendance.
Ce tribunal porte mal son nom puisqu’il n’y a aucune supervision internationale. Les juges et le droit appliqué sont bangladais et aucun expert étranger n’a été associé à sa création. Plusieurs ONG, dont Human Rights Watch (HRW), se sont insurgées contre son fonctionnement. L’opposition va plus loin et accuse l’ICT de vouloir évincer ses dirigeants. Parmi les huit hommes politiques toujours en attente de jugement, six sont islamistes et deux appartiennent au principal parti d’opposition, le Bangladesh Nationalist Party.
Julien Lathus