Près d’une personne sur cinq dans le monde vit dans les pays que borde la Baie du Bengale. La région est d’une importance stratégique pour l’émergence des pays d’Asie. En Inde, au Bangladesh, au Sri Lanka, comme en Birmanie, en Thaïlande, en Malaisie et à Sumatra, plus d’un demi millions de personnes sont concernées par la hausse du niveau des eaux. A cela s’ajoute la menace de plus en plus fréquente des cyclones, comme Phailin, qui a frappé les côtes indiennes de l’Orissa la semaine dernière, menant à l’évacuation de plus de 800 000 personnes.
Il fut un temps où cette baie fut la grande autoroute entre la Chine et l’Inde, avec l’aide des moussons, puis le terrain de jeu des puissances européennes pour exploitation du caoutchouc, du thé, de l’opium et du café. Aujourd’hui, la baie est en phase de remaniement sous l’impulsion de la croissance démographique et des changements climatiques. L’ampleur et le rythme de ces modifications appellent à une coopération régionale urgente. Mais dans un premier temps, les pays bordés par la baie doivent s’élever au-delà de leurs divergences politiques pour embrasser à nouveau leurs interconnexions historiques.
La Baie du Bengale est assaillie de nombreuses problématiques, allant des conflits hydrauliques situés dans l’Himalaya à la recherche de gaz et de pétrole que la mer renferme en son sein. La Baie est également menacée par la pollution que charrie les grands fleuves qui s’y jettent comme le Gange ou le Brahmapoutre. Les barrages construits par la Chine et l’Inde jettent dans l’ombre les communautés vivant en aval alors que le niveau des eaux croit et que les eaux salées pénètrent de plus en plus profondément les terres arables.
Le climat turbulent de la Baie a joué un rôle important dans l’histoire de la région. Les marins ont fendus ces eaux depuis des temps reculés, traçant des routes commerciales entre l’Inde, la Chine et l’Asie du Sud-Est. Les richesses naturelles y ont attiré les puissances européennes faisant de la baie une arène aux aspirations impérialistes et économiques. Mais le régime des moussons a toujours été particulièrement volatile en imposant ses périodes de sécheresses et de tempêtes qui ont façonné la région.
Dans la seconde partie du XIXème siècle, l’appétit territorial de l’Empire Britannique a permit la constitution de liens plus étroit à travers la Baie. A l’âge des navires à vapeur, les migrations ont atteint des sommets. Plus de 25 millions de personnes l’ont traversé entre les années 1870 et 1930, pour la plupart, des jeunes hommes quittant le sud et l’est de l’Inde pour les plantations de thé du Sri Lanka, celles de caoutchouc de Malaisie ou pour les docks de Birmanie. Ajouté aux mouvements de populations chinoises vers l’Asie du Sud-Est, l’espace à été témoin de l’une des plus importantes migrations mondiales.
Ce pic migratoire coïncide avec deux des pires événements jamais enregistrés dans le déficit de pluies de mousson. Suite à des troubles du phénomène El Nino du Pacifique, la sécheresse en Asie des années 1870, puis des années 1890 a entraîné la famine et la mort de millions d’Indiens. Pour survivre, un seul moyen, prendre la mer. Les peuples de la Baie sont ainsi devenus plus interdépendants. Avec la crise des années 1930 et le cycle des indépendances des années 1940, les contestations territoriales ont mené au contrôle des migrations. En ce temps, certains leaders comme le premier ministre indien, Jawaharlal Nehru pensait que la science « avait le pouvoir de contrecarrer la tyrannie et la volatilité de la Nature ».
Mais la tyrannie et la volatilité de Mère Nature ne se domptent pas et les changements climatiques inaugurent une nouvelle phase faite d’imprévisibilités dangereuses dans la Baie Du Bengale. Les scientifiques prédisent une intensification des cyclones dans cette région. Ces 10 dernières années, plus de 18 millions de personnes ont été affectées par le cyclones tropicaux au Bangladesh, en Birmanie et en Thaïlande.
En même temps, la situation sociale de la Baie ressemble aujourd’hui plus à celle de 1890 que celle des années 1950. Les migrations inter-régionales ont repris et le commerce côtier est en pleine expansion. Des vieux ports jadis en déclin comme Chittagong au Bangladesh renaissent tel le phœnix et renouent avec les anciennes traditions commerciales.
L’histoire de la Baie montre que les traditions spirituelles, les langues et les routes migratoires poursuivent leur chemin le long des rivières et des côtes alors que les frontières terrestres tendent à les restreindre. Les migrations continuent à être une source de renforcement dans la région en offrant une ligne de vie à ceux que les états ne peuvent protéger. Alors que la plupart des mouvements seront internes, ceux qui seront le plus affectés par les eaux iront trouver refuge bien loin de chez eux. Ce faisant, ils engendrent de l’anxiété concernant la notion de frontière dans la région.
Là où les locaux voient des frontières poreuses, les états voient des lignes fixées sur une carte. Le Haut Commissariat des Réfugiés de l’ONU estime que depuis 2012, plus de 13 000 personnes ont traversées la Baie à destination de la Malaisie et de la Thaïlande, sur des embarcations précaires. Des centaines d’entre eux y ont trouvé la mort et ceux qui ont survécu ont parfois trouvé un accueil rude. La plupart de ces réfugiés sont issus de la communauté Rohingya qui vit sur les côtes de la Birmanie et qui sont pris pour cible par la majorité bouddhiste, les changements climatiques et les frontières fermées du Bangladesh.
Les pays bordant la Baie du Bengale doivent rapidement mettre en œuvre une coopération efficace pour la protection de l’environnement. Une politique coordonnée sur les migrations humaines doit également être entreprise, dans l’espoir qu’un nouveau régionalisme renaisse dans la baie en transcendant les frontières, comme ce fut le cas dans le passé.
Julien Lathus