C’est une histoire comme seul le Pakistan peut en créer. C’est l’histoire d’un maire qui a promis de gérer sa ville depuis la cellule où il est incarcéré. Et il ne s’agit pas de n’importe quelle ville. La municipalité en question est Karachi, la turbulente et bouillonnante capitale économique et financière du pays, peuplée de 24 millions d’habitants. Au-delà de cette situation kafkaïenne, c’est avant tout l’histoire d’une confrontation entre l’armée et la branche radicale du parti au pouvoir à Karachi.
Détenu à la prison centrale de la ville depuis juillet dernier, Wassim Akhtar a pu bénéficier la semaine dernière d’une permission exceptionnelle de quitter sa cellule afin de participer à la cérémonie d’intronisation à son nouveau poste. C’est sous une bonne escorte que le prisonnier-maire s’est vu remettre les clés de la ville avant de prêter serment. « Il y a bon nombre de problèmes dans cette ville, mais c’est avec détermination et motivation que nous les résoudrons tous » a t-il déclaré depuis le parc où se tenait la cérémonie, avant d’ajouter, sur sa condition personnelle, qu’il cherchait à obtenir sa libération dans les tribunaux. « Sinon je serai obliger de gérer les affaires de la ville depuis un bureau installé dans ma cellule ».
Une situation compliquée au regard des défis qui attendent le maire. A Karachi, l’eau devient une denrée de plus en plus rare et elle est principalement livrée dans des containers, dont la livraison dépend des peaux de vin distribués. Les décharges publiques à ciel ouvert sont désormais intégrées au paysage de la ville. Les routes y sont dans un état déplorables. Certaines parties de la ville ressemblent à des bidonvilles où s’entassent des populations de plus en plus importantes. Et par-dessus le marché, la mégalopole est le théâtre d’une tension quotidienne alimentée par le crime organisé et les violences politiques depuis des décennies.
Wassim Akhtar était un homme libre quand en décembre dernier le parti Muttahida Qaumi Movement (MQM) l’avait sélectionné pour représenter le parti à la course pour la mairie de Karachi. Au mois de juillet, en pleine campagne, il est arrêté par la police militaire pakistanaise et accusé de 22 charges. Il est soupçonné de complicité de terrorisme ou encore d’avoir attisé les violentes émeutes qui secourent la mégalopole en 2007 alors qu’il était chargé du ministère de l’intérieur de la province du Sindh où se situe Karachi.
Le nouveau maire de Karachi appartient au parti MQM, un groupe politique dont l’influence au Pakistan ne se fait sentir que dans le Sindh et à Karachi, là où de nombreux réfugiés musulmans indiens (mohajir) s’étaient installés après la partition du sous-continent et l’indépendance de l’Inde et du Pakistan. D’essence libéral et laique, le MQM dirige la ville dans le chaos par une habile combinaison de ruses politiques, de violences et d’intimidations.
Depuis 2013, le parti est entrée en confrontation directe avec les forces militaires du pays quant ces dernières ont décidé de nettoyer la ville de ces militants islamiques, de sa violence politique et de ces gangs criminels. Les militaires, après avoir focalisé leurs efforts sur les bastions talibans de la ville se sont ensuite occupés des militants armés du MQM, accusés de torture, de meurtre et d’extorsions.
Alors que fin août, quelques jours avant que Wassim Akthar soit élu maire avec 196 des 294 voix exprimés au sein des autorités municipales, la situation avait prit un énième tournant violent dans la mégalopole. Lundi 22 août, après un discours enflammé du chef du parti, Altaf Hussain, en exil à Londres, des partisans ont attaqué la chaîne de télévision ARY, accusée de ne pas leur offrir une couverture suffisante. Des dizaines d’hommes ont investi les bureaux de la chaîne, saccageant tout sur leur passage et laissant derrière eux un mort.
Rapidement, le numéro 2 du parti s’est désolidarisé des propos anti-pakistanais du chef en affirmant que ces « déclarations étaient devenues problématiques ». Cela n’a pas suffit, Farooq Sattar a été arrêté par les militaires le soir même et plusieurs bureaux du MQM ont été perquisitionnés et certains rasés par des bulldozers dans les jours qui ont suivi. Isolé à Londres, Altaf Hussain a reconnu pour nuancer ces propos faire actuellement face à des « problèmes psychologiques ».
Face à l’accélération de la répression contre le MQM, le parti subit d’importants revers en dépit de l’élection du maire MQM à la tête de Karachi. Les opérations en cours depuis 2013 dans la mégalopole ont largement affaibli le parti des Mohajirs. En attendant, Wassim Akhatr se languit de trouver son fauteuil officiel de maire alors qu’une bataille juridique est en cours pour déterminer si il peut diriger la ville alors qu’il est incarcéré.
Julien Lathus