Au Pakistan, le premier mois de l’année du calendrier islamique, le Muharram est le mois de tout les dangers. Celui où la minorité chiite entre dans une période de deuil de plusieurs jours en s’adonnant à des processions dans les rues qui les met en première ligne face aux extrémistes sunnites. Ce moment de l’année est un véritable casse tête pour les forces de sécurité en raison des nombreux attentats.
L’année dernière, cette situation a permit de révéler au grand jour une nouvelle activité crapuleuse, nichée au sein de la mégalopole pakistanaise. Alors que la nuit du Muharram tombait le 24 novembre, Zameer Abbasi, le superintendant général de la police de Karachi reçut un appel concernant une explosion dans un bâtiment de la ville. Croyant dans un premier temps à une erreur dans la fabrication d’une bombe destinée à une procession chiite, il se rend sur place en vitesse et découvre une scène comme il n’en avait jamais vu. Un liquide rouge couvrait les murs blancs, des éprouvettes et une centrifugeuse étaient éparpillées un peu partout. Sans le savoir à ce moment, il venait de faire la première descente dans un laboratoire pakistanais de fabrication de de méthamphétamine.
Karachi, la bombe démographique avec ses 20 millions d’habitants et sa population croissant de 80 % depuis 2000 est le repaire d’une complexité sociale rare faite de réfugiés afghans ou pakistanais. La capitale financière et économique du Pakistan est aussi celle où sa population est la plus éduquée. Mais c’est également la plus violente du pays où la cruauté et le meurtre sont l’affaire des gangs liés aux partis politiques, aux Talibans et aux mafias. Il en résulte un taux d’homicide record de 12,3 pour 100000 habitants, 25 % de plus que toutes autres villes importantes dans le monde. EN 2011, 1723 meurtres ont été recensés à Karachi, plus de 2000 en 2012 et pour 2013, la barre des 2000 assassinats a été franchie dans l’été, ce qui laisse présager d’une importante hausse.
Si la drogue a toujours été un des moteurs de l’économie parallèle et du crime à Karachi, maintenant, les ports de la ville convoient de la méthamphétamine, produite sur place. A Karachi, les opiacés ont toujours été une drogue de choix. Avec un voisin afghan qui produit plus de 90 % de la production mondiale d’héroïne, les barons pakistanais se sont enrichis grâce au « commerce de proximité ». Dans les années 1980, l’héroïne a permit le financement du djihad contre les Soviétiques et puisque l’Afghanistan ne possède pas d’accès maritime et que la République des Mollah en Iran a poussé le trafic à l’est, le port de Karachi est devenu le point de sortie des opiacés vers l’Europe et les USA. Mais maintenant, l’héroïne est concurrencée.
Si dans le passé le trafic et le commerce de l’héroïne a bénéficié de la corruption et de l’implication aux plus hauts niveau de l’état, faisant du Pakistan un narco-état, la méthamphétamine connaît la même trajectoire avec une politique liant cette industrie au complexe pharmaceutique pakistanais qui commercialise la pseudoéphédrine, la base de la méthamphétamine. En avril 2011, 250 kilos d’éphédrine ont été retrouvés dans des paquets d’épices à destination d’Australie et cette même année, les autorités iraniennes en ont découvert près de 500 kilos en provenance du Pakistan. Si ces chiffres inquiètent, ils ne sont d’une infime partie de l’iceberg et les regards se tournent, à nouveau, vers une corruption aux plus hautes sphères de l’état et de la sécurité pakistanaise.
En septembre 2012, le fils de l’ancien premier ministre Yousuf Raza Gilani, Ali Musa a été arrêté pour avoir fait pression sur des responsables, avec l’aide du ministre de la santé, pour augmenter les quotas d’éphédrine sur 2 compagnies pharmaceutiques. L’une d’elles, Berlex Lab International possède déjà une licence pour une production annuelle de 7000 kilos d’éphédrine, qu’elle vend à une entreprise nommé Can Pharmaceutical, liée à la famille Gilani.
Si la corruption au Pakistan possède une longue et sordide histoire, l’ajout du trafic de drogues y fait croître une corrosion sociale importante. Si le Pakistan se distingue déjà par une consommation haute de cannabis et d’opiacés, un rapport de l’Office des Nations Unis Contre la Drogue et le Crime publié en 2013 fait apparaître une émergence non négligeable de la consommation de méthamphétamine dans certaines zones du Pakistan, où 1% de la population est déjà héroïnomane et 4,1 millions d’habitants accrocs aux drogues.
La « Crystal » comme elle s’appelle à Karachi est de partout, depuis les quartiers riches jusqu’aux plus pauvres de la ville comme dans le quartier de Lyari dans le quartier central du sud ; un bidonville densément peuplé où s’entassent près d’un million de personnes devenu zone de non-droit où la police doit demander l’autorisation de rentrer auprès de son saint patron, Uzair Jan Baloch. Dans le nord, le bidonville de Manghopir où se croisent violences et pauvreté, les consommateurs de méthamphétamine ne sont pas difficile à trouver. « J’ai vu des types se taper la tête contre les murs et devenir incontrôlables.C’est comme si ils étaient engourdis, ne ressentant aucune douleur. Maintenant, l’héroïne s’efface au profit du crystal » explique un acteur social du quartier.
Un gramme de crystal peut se trouver un peu de partout pour 3 à 5 euros. C’est toujours plus cher que pour un gramme d’héroïne mais les consommateurs indiquent que l’effet en est bien plus fort. La plupart des jeunes hommes que l’activiste social rencontre dans les rues sont les petits soldats du gang Baloch. « Les gangs engagent des jeunes, les rendent accrocs à la méthamphétamine et les envoient faire des crimes lorsqu’ils sont défoncés et qu’ils n’éprouvent aucune peur. Ils les paient ensuite avec encore plus de crystal » déclare-t-il.
Julien Lathus