Le long de la frontière afghane, la justice tribale reste la seule justice opérationnelle. Administrée par un conseil des anciens, elle repose sur la loi du Talion. Dans ces sociétés patriarcales, ce sont souvent les femmes qui en font les frais. Zoom sur un traditionalisme étouffant et injuste.
La manière de rendre la justice dans les zones tribales est une problématique complexe pour l’état pakistanais. « Nous avons une idée bien claire de ce que la justice doit être. Si quelqu’un tue, s’adonne à l’adultère ou d’autres types d’offense, il mérite la mort » explique Javaid Khan de la tribu d’Utman Khel, dans le distict de Bajaur le long de la frontière afghane. La justice tribale est pratiquée dans toute la région et les exécutions suivent le verdict délivré par le jirgas, le conseil tribal des anciens.
Il indique qu’il ne voit pas ces sentences comme des assassinats extrajudiciaires ou comme des violations des lois. « Nous avons nos propres méthodes pour garder l’ordre par ici. Oui, depuis des années, les sentences de peine capitale sont prononcées par le jirgas » admet-t-il. La justice traditionnelle conserve un poids important dans ces zones tribales et sont admises par leurs populations. Ces « cours » sont une forme communautaire de justice, décidant du bien ou du mal dans les régions où le pouvoir judiciaire de l’état pakistanais n’a aucune influence.
« Le jirga peut apporter justice dans certains cas mais il y a de nombreuses failles et il est évident que les volontés des puissants chefs tribaux s’exercent sur ceux qui ont le moins de pouvoir » explique un juriste de Lahore. Par les moins puissants, comprenons les femmes. Leur pouvoir est particulièrement fort dans les Zones Tribales Fédérales Administrées (FATA) où le code pénal pakistanais, ainsi que la constitution de 1973 ne sont que peu implantés. Au lieu de ça, les FATA sont sous le coup de la loi criminelle de 1901, coloniale qui autorise les châtiments collectifs tout en occultant les notions de droit d’appel et même de jugement face à un jury.
« Les jirgas sont répandus principalement dans les zones tribales et les affectent les femmes bien plus que les hommes en refusant les principes progressistes pour elles, en les confinant entre 4 murs, en les éloignant de l’éducation et en enserrant dans le rôle de procréatrices » explique un responsable d’un programme issu de la société civile. Ceux qui se dressent contre les jirgas le font au nom de l’injustice que cette justice véhicule, surtout par rapport au rôle des femmes. « Puisse que les femmes ne sont pas représentées dans les jirgas, les verdicts vont souvent contre elles » déclare Samar Minallah Khan, activiste des droits de l’homme et documentariste sur ces zones.
Le traditionalisme et ce type de justice déborde également des zones tribales autonomes. Samar Minallah explique que les femmes dans la province de Khyber Pakhtoonkhwa sont fréquemment l’objet de « mariage de réparation » décidés par les jirgas pour mettre fin à une dispute. Souvent, elles sont ainsi mariées par leurs pères, bien en dessous de l’âge légal autorisé par la loi. Ces jugements renforcent la discrimination faite aux femmes. « Dans notre culture, des femmes et des hommes sans liens ne sont pas autorisés à se mélanger » explique Nazir Kohistani, un commerçant originaire de Besham qui s’est installé à Peshawar pour que ses 3 filles puissent être éduquées et avoir une vie normale.
Ces traditions sont fortement implantées dans la culture du nord et de l’ouest du Pakistan. Un changement de mentalités risque de prendre du temps. Une enquête réalisée dans 6 districts de la province de Khyber Pakhtoonkhwa laisse apparaître qu’une large proportion d’hommes pensent qu’il y a des situations dans lesquelles la violence faite aux femmes est nécessaire et que le concept de bannir toute forme de violence est un concept occidental, donc adéquate à leur culture.
« Il est difficile de faire changer les mentalités » déclare une femme de Peshawar originaire du district tribal de Mohmand. « Nous, en tant que femmes, pouvons seulement tenter, mais en dépit de mes efforts, je n’ai pas pu persuader mon mari de laisser nos 2 filles étudier après le collège ».
La route est encore longue pour asseoir le pouvoir étatique d’Islamabad dans les FATA et pour que les femmes puissent accéder aux besoins primaires et à la justice. D’autant plus longue au regard de la conclusion de Javaid Khan, digne représentant du patriarcat tribal pakistanais : « Nous vivons comme nos grands-parents et nos arrières-grands-parents, nous conservons nos principes tribaux et nous croyons que la vie doit suivre les traditions pour préserver notre culture. Et nous sommes fiers de toute la morale qui en découle. Les changements n’ont qu’un impact négatif, ruinant notre moralité, surtout pour les femmes qui doivent rester humbles et éloignées de toute vie publique.
Sources :
Pakistan Today (Pakistan) en VO.
Site administratif des FATA (Pakistan) en VO.
Julien Lathus