C’était un secret de polichinelle mais jamais le Pakistan n’avait officiellement reconnu les liens qui le liait à des groupes djihadistes opérationnels en Afghanistan. Au cours d’un entretien au think-tank new-yorkais Council on Foreign Relations, le premier ministre Imran Khan a évoqué les liens qui existaient entre l’armée pakistanaise et ses services de renseignements avec des groupes islamiques armés comme Al-Qaeda du temps de la guerre entre l’Afghanistan et l’URSS.
Imran Khan s’est permis cette remarque quand il a été interrogé sur les relations entre son pays et les USA. Lorsque son interlocuteur lui a demandé ce que lui inspirait les dires de James Mattis, ancien général et secrétaire à la Défense de l’administration Trump de janvier 2017 à janvier 2019 qui évoque dans ces mémoires que « de tous les pays avec lesquels j’ai eu affaire, je considère le Pakistan comme le plus dangereux du fait de la radicalisation de sa société et de ses armes nucléaires », Imran Khan réplique en évoquant les liens entre son pays et les groupes djihadistes en insistant sur la manière dont la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan avait transformé le Pakistan.
« Je ne crois pas que James Mattis ne comprend pas complètement pourquoi le Pakistan s’est radicalisé. Vous savez, il y a juste une petite histoire… Quand dans les années 1980 les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan, le Pakistan, aux côtés des USA, aidé par les USA ont organisé la résistance contre les Soviétiques. Et cette résistance était organisée par les renseignements pakistanais de l’ISI qui entraînaient les militants et invitaient les Musulmans du monde entier à venir faire le djihad contre l’Union Soviétique. Et nous avons donc créé ces groupes armés pour combattre les Soviétiques » commence-t-il
« A cette époque bien entendu, le combat contre les Soviétiques et le djihad étaient glorifié. Et je n’oublierai jamais quand Ronald Reagan avait invité les chefs moudjahidins à Washington et leur avait dit qu’ils leur rappelait, je cite : l’équivalence morale des Pères Fondateurs des USA. Alors vous savez, les djihadistes étaient alors des héros. Après, en 1989, les Soviétiques ont quitté l’Afghanistan. Les USA ont plié bagages et quitter le Pakistan, laissant ces groupes derrière eux. Puis est venu le 11 septembre et le Pakistan a une nouvelle fois rejoint les USA dans la guerre contre le terrorisme. Et maintenant on nous demande d’agir contre ces groupes considérés comme terroristes et qui ont été endoctriné par la notion que le combat contre l’occupation étrangère c’est le djihad. Quand les USA ont débarqué en Afghanistan, ils ont dit que c’est du terrorisme. Le Pakistan a vraiment subit de cette politique » poursuit-il.
« Comme je l’ai déjà dit, je me suis opposé à cette politique dés le premier jour. Nous avons d’abord entraîné ces gars pour le djihad, ce qui était une bonne idée, mais maintenant, nous considérons ces même groupes comme terroristes. Nous aurions au moins pu resté neutre dans cette affaire. En rejoignant le camp des USA après le 11 septembre, le Pakistan a commis l’une de ses pires erreurs. Soixante-dix mille Pakistanais sont morts en conséquence de ça. On a dit que 150 milliards, peut être 200 milliards de $ ont été perdu au détriment de notre économie. Et pour couronner le tout, on nous a accusé de la défaite des USA en Afghanistan. Je pense qu’il s’agit de la période la plus sombre pour le Pakistan » explique-t-il pour illustrer la complexe relation entre son pays et les USA.
Interrogé sur les circonstances de la présence d’Oussama Ben Laden au Pakistan, Imran Khan se fait encore plus explicite. « Je peux vous dire une chose en remontant dans le temps. L’armée pakistanaise et l’ISI ont entrainé Al-Qaeda et tous ces groupes combattants en Afghanistan. Il y a toujours eu un lien entre eux et nous car nous les entraînions » explique-t-il en nuançant toutefois la puissance des liens entre Al-Qaeda et l’armée pakistanaise dont il pense que ces derniers ignoraient tout de la présence du chef d’Al-Qaeda à Abbottabad mettant en avant les deux attentats subit par le chef de l’armée devenu président du Pakistan, Pervez Musharraf.
Les commentaires d’Imran Khan risquent de ne pas plaire à l’establishment militaire pakistanais qui a toujours rejeté avec fureur les accusations de liens avec l’univers du militantisme islamique. Depuis la fin de l’année dernière, Nawaz Sharif, double ancien premier ministre du Pakistan est en jugement pour trahison après avoir suggéré le rôle de l’état pakistanais dans les attaques de Mumbai de 2008 qui avaient coûté la vie à plus de 160 personnes.
Julien Lathus