Il y a deux semaines, une série d’élections en Inde vient de poser une problématique diplomatique majeure pour le Département d’Etat américain : Narendra Modi, le chef du parti qui vient de rafler ces élections et celui qui selon les sondages devrait accéder au pouvoir en 2014 n’est pas légalement autorisé à entrer aux USA. La raison : son implication dans les émeutes anti-musulmanes de 2002 qui ont coûté la vie à plus de 1000 personnes. Alors que cette restriction de voyage apparaît aux yeux de nombreux Indiens comme une insulte, le Département d’État américain envisage plusieurs options en cas de victoire du parti nationaliste hindou, le BJP.
Dimanche 8 décembre, le BJP a littéralement arraché plusieurs états-clé à la majorité du parti du Congrès au cours des élections pour renouveler les assemblées de certains états de l’Union Indienne. De quoi confirmer les sondages qui prédisent l’arrivée au pouvoir des nationalistes hindous pour les élections générales de mai 2014. Si cela se concrétise, le siège de premier ministre de la plus grande démocratie du monde échoirait à Narendra Modi, l’homme controversé du BJP.
Pour l’heure, le Département d’État US ne s’est pas prononcé sur le fait si Modi sera autorisé à fouler le sol américain mais les experts affirment que la question laisse planer une menace sur les relations entre l’Inde et les USA. « Je ne vais pas commencer à spéculer sur ce qui peut arriver » annonce la porte-parole du Département d’État, Marie Harf. En même temps, des activistes américains ont prévenu qu’ils attenteraient une action en justice si Modi mettait les pieds aux USA.
Narendra Modi, le ministre en chef de l’état du Gujarat, dans l’ouest de l’Inde est un politicien populaire connu pour ses positions relativement intolérantes. Les USA lui ont refusé son visa diplomatique en 2005 et ont annulé son visa de travail en raison de son rôle dans les émeutes intercommunautaires qui ont ensanglanté l’Inde en 2002. Modi est accusé d’avoir attisé les violences religieuses et d’avoir échoué à protéger la minorité musulmane du Gujarat alors qu’il dirigeait cet état. Le parti du Congrès, actuellement au pouvoir, a même fait passer contre lui une résolution le condamnant pour « apologie de l’idéologie nazie » et « incitation à la haine raciale ».
De leurs côtés, les supporteurs de Modi mettent en avant les résultats de l’équipe d’enquêteurs, mandatée par la Cour Suprême Indienne qui le blanchit de tout rôle dans les émeutes tout en soulignant son action pour avoir fait du Gujarat l’un des états indiens à la plus forte croissance économique.
En 2005, les USA n’avaient vu que peu de risques en introduisant sur leur liste noire un obscure et provincial politicien indien. En ce temps, la révocation de son visa, en raison de son implication dans de « sérieuses violations concernant la liberté religieuse » l’avait rendu inéligible à se rendre aux USA. Maintenant, Narendra Modi est une force politique majeure au niveau national. La donne change.
« Si il devient premier ministre, les USA devront trouver une manière de traiter avec lui » explique Tanvi Madan, directeur du Projet Indien pour l’Institut Brookings spécialisé sur les relations internationales. « La question est de savoir si il faut faire quelque chose avant ou après les élections » ajoute-t-il. Les deux options présentent des risques.
Si les USA maintiennent les restrictions concernant Modi et l’écarte des discussions diplomatiques au niveau des ambassades, ils risquent de s’aliéner un partenaire important sur une quantité de questions allant du commerce, à la sécurité, en passant par la finance et les problématiques de la diaspora indienne. A contrario, l’Union Européenne, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont quant à eux, engagé des discutions au niveau consulaire avec Modi. Ce statut quo risque également de mettre en colère des centaines de millions d’Indiens.
« Les restrictions de déplacement ont crée un ressentiment parmi les leaders et les sympathisants du BJP » déclare Milan Vaishnav, de l’organisation Carnegie Endowment International Peace. « Ils parlent d’un ministre en chef réélu trois fois dans son état. Il n’a pas été reconnu coupable par la moindre cour de justice, il n’est pas poursuivit pour crime. Alors comment vous, les USA, pouvez interdire à cet homme de se rendre dans votre pays » s’interroge-t-il.
Néanmoins, tout le monde n’est pas d’accord avec les interprétation de l’histoire du BJP. Actuellement, Modi est au centre d’une guerre des tranchées qui prend place au sein du Capitole. Des groupes anti-Modi, comme le Conseil Américain des Indiens Musulmans (IAMC) ont promis de dénoncer quiconque supporterait Modi, qu’il considèrent comme un génocidaire au nom de la suprématie hindoue. Le IAMC a même engagé la compagnie lobbyiste Fidelis pour faire entendre sa voix au Capitole. Ils ont réussi à faire passer une résolution critiquant les violations face aux minorités en Inde.
Foreign Policy a apprit que les groupes anti-Modi prévoyaient également d’attenter une action légale contre Modi si ce dernier mettait les pieds aux USA. Shaik Ubaid, fondateur de la Coalition Contre le Génocide se veut clair : « Nous serons prêts à engager une bataille judiciaire contre Modi s’ il se rend aux USA ».
De l’autre côté, des groupes pro-Modi, comme la Fondation Hindoue Américaine (HAF) ont accusé les anti-Modi de ternir la réputation de l’Inde et de ses leaders. « Il est détestable de voir certains Indiens américains engager des firmes de lobbying pour faire passer une résolution américaine insultante pour l’Inde » déclare Jay Kansara de l’HAF.
Si le camp pro-Modi a recruté dans ses rangs des juristes de haut rang comme les Républicains Cathy McMorris Rodgers ou Aaron Schock, les résultats ne sont pas fameux. Après ne pas avoir tarie d’ éloges sur Modi en 2013 après une visite au Gujarat, McMorris Rodgers s’est défendue de toute association avec lui en novembre dernier après que les groupes anti-génocide se soient plaints à propos d’une visioconférence entre les leaders républicains et Modi. « Ils n’ont aucun rapport » rapporte un assistant.
Techniquement, il ne serait pas délicat pour les affaires étrangères de résoudre le statut de Modi. « Notre politique envers le ministre en chef Modi est la même que pour les autres, il est le bienvenu pour faire une demande de visa et d’en attendre la réponse » explique Harf. « Sa demande sera étudiée selon les lois en vigueur aux USA ». Pourtant, Modi ne semble pas prêt à faire une demande entre maintenant et les élections de 2014.
Sinon, les USA peuvent introduire une demi-mesure comme en émettant une déclaration visant à dire que les USA ne barreront pas la route au chef du gouvernement indien. Mais même cette option pose des problèmes.
« Des amis au Département d’État affirment être particulièrement clairvoyants face à cette problématique mais qu’ils se contiennent en raison des élections » rapporte Vaishnav. « Ils ne veulent pas être vus comme favorisant un candidat ou de se mêler de la politique indienne. Le Département d’État ne souhaite pas apparaître en première page des quotidiens indiens ».
Madan acquiesce. « Tout signe d’interférence étrangère sera prit de manière négative en Inde » souligne-t-elle. « Le Parti du Congrès verrait cela comme un appui des USA à Modi ».
En fait, le Département d’État américain est ballotté par cette question. « Cela ne fait pas de doutes que la situation pose un dilemme aux diplomates » rappelle Madan. « Modi est une figure politique majeure en Inde. C’est impossible d’imaginer qu’ils n’ont pas pensé à tous les scénarios envisageables, mais le flou demeure sur l’option qu’ils choisiront ».
Traduction et arrangements par Julien Lathus via The Cable-Foreign Policy.