Actualité chargée ce week-end au Pakistan avec la nomination du premier ministre intérimaire par la Commission Électorale après l’échec d’un consensus sur sa désignation par le Parti du Peuple Pakistan (PPP) et par la Ligue Musulmane du Pakistan – N (PML-N)L’ancien juge, Mir Hazar Khan Khoso, 84 ans aura la charge des affaires du pays durant la période électorale et l’élection d’un nouveau premier ministre. Il sera intronisé dans la journée de lundi.
Mais le week-end a surtout été marqué par le retour de l’ancien président-général Pervez Musharraf au Pakistan après 4 années d’exil entre Dubaï et Londres. Après un coup d’état en 1999 et près de 10 ans de règne, il avait renoncé à ses fonctions en 2008 après un violent revers subit aux élections législatives. Le gouvernement formé avait alors menacer de le destituer. Ce retour se fait dans un contexte tendu. Entre les accusations dans l’affaire Benazir Bhutto et les menaces ouvertes des Talibans qui ont juré de l’éliminer, Musharraf ne veut pas manquer ce rendez-vous avec la démocratie et se pose en alternative face au PPP et au PML-N. En 2010, il s’etait confié au journal allemand Der Spiegel dans une interview qui permet de mieux cerner le personnage sur sa vision du Pakistan au prisme des autres nations, sur son bilan à la présidence et sur la relation de son pays avec l’Inde.
Interrogé sur le mécontentement du peuple pakistanais face à l’incompétence du gouvernement mené par le président Asif Ali Zardari et sur la possibilité d’un coup d’état, Musharraf répond qu’à chaque fois que le Pakistan a connu des troubles, tout le monde s’est tourné vers l’armée. Néanmoins, il pense que le temps des coups militaires au Pakistan est révolu et que le Cour Suprême ne validerait plus une telle action.
Si la tradition fait que les dirigeants pakistanais finissent par perdre le pouvoir pour être emprisonné ou tué, de nombreuses questions s’élèvent sur le fait que Musharraf ait fondé un parti pour se remettre en selle politique alors qu’il passait du bon temps en retraite à Londres, qui apparaît bien plus sûr que le Pakistan. « Pas de risques, pas de gain » répond laconiquement l’intéressé avant de mentionner la culture de la vendetta au Pakistan. « Mes adversaires politiques, surtout Nawaz Sharif aimeraient me coller une sale affaire entre les mains, de corruption ou de fraude, mais il n’y a rien de tout cela. Et en cas, je m’expliquerais devant une cour. C’est un risque à prendre ».
Interpellé sur plusieurs faits comme l’opération secrète du Kargil de 1999 qui mena l’Inde et le Pakistan a un conflit armé, le renvoi du plus haut juge de la Cour Suprême, ses changements arbitraires de la Constitution ou le manque de sécurité accordé à Benazir Bhutto, le journal lui demande si il regrette quelque chose. Sa réponse fuse : « L’Occident critique le Pakistan pour tout. Personne ne demande au premier ministre indien pourquoi il arme son pays d’ogives nucléaires, pourquoi il tue des innocents au Cachemire, ni n’accuse l’Inde pour avoir aidé le Bangladesh a se séparé du Pakistan. Les USA et l’Allemagne ne font que des communiqués qui ne mènent à rien. Tout le monde est intéressé par des accords stratégiques avec l’Inde, mais le Pakistan est toujours vu comme un voyou ».
Alors que la conversation bascule sur le Cachemire, Musharraf se garde bien de ne pas polémiquer sur les groupes militants qui y combattent l’Inde et de faire le lien entre eux et les forces pakistanaises armées. « Ils étaient déjà formés et actifs. Notre gouvernement a fermé les yeux dessus car il voulait que l’Inde négocie sur le Cachemire » explique-t-il. « Cela donne-t-il le droit au Pakistan d’entraîner des groupes clandestins ? » demande Der Spiegel. « Oui, bien sûr, c’est le droit de tout pays que de tenter de défendre ses intérêts alors que l’Inde ne veut pas céder sur la question du Cachemire, et ce, même à l’ONU » réplique-t-il.
Sur la question de son retour, on lui demande si il ne craint pas de finir comme Benazir Bhutto, tuée peu après son retour. « Oui, c’est un risque, mais il ne m’arrêtera pas. Je suis heureux ici à Londres, j’y fais fortune mais le Pakistan est mon pays ». C’est aujourd’hui chose faite. Musharraf est rentré au Pakistan. Un accueil mitigé, pas de cohorte en folie accueillant un homme providentiel bien que des dizaines de ces supporteurs criaient « Longue vie à Musharraf » lorsque l’avion se posa à Karachi. « Je ne me sens pas nerveux mais je suis préoccupé par certaines inconnues liées au terrorisme, à l’extrémisme, aux procédures judiciaires et aux élections » déclarait-t-il avant l’embarquement à Dubai. La menace d’attentat plane d’ores et déjà sur son retour, donnant une arrivée sous haute tension à Karachi. Samedi, le TTP, principal mouvement rebelles taliban pakistanais, allié à Al-Qaida, a ainsi annoncé avoir « préparé un commando de kamikazes spécialement pour Musharraf ». L’ex-président avait dans un premier temps prévu de rassembler ses partisans dans l’après-midi sur la tombe du fondateur du Pakistan Mohammed Ali Jinnah, également à Karachi, avant de se raviser, les autorités ne lui en ayant pas donné l’autorisation en raison des menaces.
Alors qu’il annonce rentrer pour sauver la nation, tout laisse à croire que ses élections ne lui feront pas les yeux doux. Les Pakistanais, dans leur grand nombre ne pensent pas que son retour n’influencera pas le résultat de cet exercice démocratique.
Julien Lathus