Et de 3 pour Nawaz Sharif, pressenti pour occuper, à nouveau la direction du Pakistan après la victoire de son parti, le PML-N aux élections du 11 mai. Au terme d’un exercice démocratique aussi périlleux qu’historique, le Pakistan a bravé les violences électorales et traditionnelles pour montrer au monde la tenue d’un scrutin plutôt fiable malgré quelques irrégularités. Le taux de participation, à hauteur de 60 % est également une grande victoire face aux 40 % de 2007. Aujourd’hui, retour sur la victoire de Nawaz Sharif, sur les défis qui l’attendent et sur le traitement de l’événement par la presse pakistanaise.
Le retour du Lion du Punjab aux commandes du pays.
Le décompte final des bulletins de vote de ces élections générales confirme la grande victoire de l’ancien premier ministre Nawaz Sharif. Les résultats affichés par la Commission Électorale du Pakistan montrent que le parti de Sharif, le PML-N devrait s’assurer d’une large majorité à l’Assemblée Nationale et son patron, le Lion du Punjab devrait accéder pour la troisième fois au poste de premier ministre.
La Commission déclare que le parti de Sharif a gagné 123 des 272 sièges à pourvoir directement après le vote. A cela s’ajoutent 25 sièges obtenus par des candidats indépendants qui devraient rallier la majorité. L’ancien parti au pouvoir, le PPP ne remporte que 31 sièges et le PTI d’Imran Khan ne se contentera que de 26 sièges à l’Assemblée. Dans les rues de Lahore, le fief du clan Sharif, les jeunes dansent dans les rues et fêtent la victoire du PLM-N. « Regardez, regardez qui arrive. Le Tigre est de retour, le Tigre est de retour » chantent-t-ils en pleine euphorie.
En 1999, Nawaz Sharif avait été destitué de son poste de premier ministre après le coup d’état militaire organisé par le général Pervez Musharraf. Un coup, validé au Pakistan puis à l’international dans le sillage du 11 septembre. D’abord jété en prison, Nawaz Sharif a ensuite choisi la route de l’exil avant de revenir pour les élections de 2007 où il est battu par le PPP.
Si le parti de Nawaz Sharif a su rallier le pays à sa cause, c’est principalement en raison de sa campagne basée sur les questions énergétiques qui se mêlent aux courants de libéralisme économique et de conservatisme social du parti. La corruption notoire du clan Zaradri et du PPP a écarté le pouvoir sortant et les électeurs ont préféré le nationalisme de Sharif à celui d’Imran Khan. En focalisant sa campagne sur ce thème, son discours a attiré la sympathie de nombreux pakistanais pour qui le manque d’alimentation électrique est problème récurrent.
Pour les électeurs, l’énergie est le principal souci en raison des coupures électrique que beaucoup subissent. Parfois 20 heures par jour. Sur le plan économique, les conséquences sont gigantesques et de nombreux économistes estiment que le Pakistan perd 5 % de sa croissance annuelle en raison de cette crise énergétique. Dans les grandes villes industrielles du Punjab où Sharif est arrivé en tête, de nombreuses usines ont dû fermer et licencier des dizaines de milliers d’ouvriers ces dernières années en raison de la sclérose structurelle du secteur énergétique. Certains prédisent déjà que si Nawaz Sharif remporte le défi énergétique, il pourrait gagner les prochaines élections.
Parallèlement à la restauration de l’énergie et à la dynamisation de l’économie, Nawaz Sahrif devra reprendre la main face à l’instabilité intérieure du pays, miné par des attentats et des violences multiples depuis ces dernières années. Sur le sujet des Talibans pakistanais, Sharif est plus évasif et a gardé le silence sur ce problème ces dernières années comme pendant la campagne électorale. Alors que de nombreux partis séculiers et anti-Talibans ont été ciblés par des violences, Nawaz Sharif et Imran Khan ont connu une campagne plus paisible.
Sharif a déclaré qu’il aimerait négocier avec les Talibans. Une approche relativement populaire dans un pays qui souffre de ce conflit contre la Terreur depuis des années mais foncièrement controversée. La plupart des critiques de ce discours soulignent que tous les accords de paix passés avec les Talibans avaient échoué, leurs permettant de s’étendre toujours un peu plus. La situation est donc particulièrement périlleuse pour Nawaz Sharif alors que les forces de l’OTAN doivent quitter l’Afghanistan l’année prochaine et que la diplomatie avec l’Inde reste en attente depuis les crises de janvier dernier.
Restaurer les liens avec l’Inde et avec les USA.
En 2010, le petit frère de Nawaz, Shahbaz Sharif, alors ministre en chef de l’état du Punjab tendait la main aux Talibans, déclarant le parti familial du PML-N « anti-américain », « comme eux ». Sous l’administration Bush et sous la dictature de Musharraf, les Américains se méfiaient du conservatisme religieux de Nawaz Sharif. L’intéressé se déclare « pour une modernisation modérée », loin de son frère qui cherche à se faire couronner « Commandeur de la foi ».
Pourtant, dans les milieux politiques et diplomatiques américains, Nawaz Sharif est dépeint comme « pro-américain » et enclin à travailler avec les USA. Le Pakistan reste un élément-clé pour la stabilisation de région et Sharif devra coopérer avec l’armée de son pays pour établir une politique de paix efficace en Afghanistan entre les Américains, Hamid Karzai et les chefs Talibans basés au Pakistan. La tâche s’annonce dure pour Nawaz Sharif qui devra jongler avec ces différents acteurs dans un climat de haute tension. Un retrait américain pacifique par le port pakistanais de Karachi et la fin de la guerre en Afghanistan dépendront en grande partie de la politique du nouveau chef du Pakistan sur les Talibans.
A l’est, l’Inde est l’autre grand défi de politique étrangère qui attend Nawaz Sharif. Après 5 années de hauts et de bas, la relation diplomatique entre l’Inde et le Pakistan est au point mort depuis les incidents qui ont coûté la vie à une dizaine de soldats dans les montagnes du Cachemire en janvier dernier.
Semblant mesurer l’opportunité de faire un grand coup dés sa prise de pouvoir, Nawaz Sharif a déclaré lundi « qu’il serait très heureux d’inviter le premier ministre indien Manmohan Singh à la cérémonie de son intronisation en tant que premier ministre ». Nawaz Sharif fait de l’amélioration des relations avec l’Inde une priorité. « Je l’ai appelé dimanche. Nous avons eu un long entretien téléphonique » indique-t-il à la presse. Le futur premier ministre avait déjà indiquer de son désir de normaliser une diplomatie en montagnes russes entre les 2 pays.
En Inde, l’annonce de la victoire de Nawaz Sharif a fait naître un sentiment d’optimisme « mesurée ». Des interrogations demeurent sur la position des militaires face aux envies de paix de Sharif. Le premier ministre indien Manmohan Singh a félicité Nawaz Sharif pour sa victoire. « Les Indiens louent vos engagements publics pour une relation indo-pakistanaise définie par la paix, l’amitié et la coopération » a-t-il écrit. Pour d’autres, cela ne va pas changer grand-chose. « J’ai toujours pensé que c’est l’armée qui fait la politique étrangère du Pakistan » déclare Vivek Katju, ancien ambassadeur indien en Afghanistan. Le journal The Hindustan Times titrait hier : l’Inde a une bonne raison d’être satisfaite (avec les résultats des élections au Pakistan) ».
Une célébration de la démocratie dans les médias locaux.
Si certains médias ont profité de l’occasion pour n’exposer que les attentats qui ont frappé la campagne électorale, ils ont parfois oublié que le degré de violence de ces dernières semaines était plus ou moins similaire à celui qui a malheureusement cours au Pakistan tous les jours de l’année. Peu d’accents ont été mis par les médias traductionnels sur le caractère exceptionnel de ces élections, qui ont été les premières à sanctuariser une transition démocratique dans le pays, où les coups d’état militaires sont plus légion que des élections.
Pour la presse pakistanaise, la victoire de Nawaz Sharif constitue avant tout un triomphe de la démocratie sur les menaces des insurgés islamistes et l’armée. « La population du Pakistan a fait preuve de courage en allant voter dans une atmosphère de menaces, de bombes et d’attentats-suicides » lit-t-on dans Jung. « Malgré toutes les fraudes et les erreurs, hier était une bonne journée pour la démocratie » poursuit Dawn. « Le fait que la population pakistanaise ait embrassé la démocratie en dépit des menaces est peut-être l’événement le plus rassurant pour la suite du projet démocratique dans le pays ».
La presse pakistanaise est aussi longuement revenu sur la victoire de Nawaz Sharif. « Le Tigre rugit à nouveau » indique Dawn en référence au symbole de son parti. « Nawaz se taille la part du lion » réplique The Nation, en référence du surnom de Nawaz Sharif, le « Lion du Punjab ».
Julien Lathus.