Il aura suffit de l’élimination d’un jeune chef séparatiste pour que la vallée du Cachemire ne sombre à nouveau dans les violences. Avec au moins 45 morts en 2 semaines, plus de 3600 blessés, il s’agit des plus sérieux incidents qu’aient connu la région depuis 2010. La vallée où règne le couvre-feu est devenu ces derniers jours une région coupée du monde où internet ainsi que les systèmes GSM ont été coupés et où les journaux n’ont plus le droit d’être publiés. Retour sur les événements.
Des funérailles populaires aux affrontements violents
Les troubles ont démarré dés le lendemain de l’élimination de Burhan Muzaffar Wani, un commandant du groupe séparatiste Hizb-ul-Mujahideen âgé de 21 ans après une opération des forces indiennes dans le sud du Cachemire. A l’annonce de sa mort, des protestations ont éclaté un peu partout dans la vallée, et à Tral, d’où il était originaire, des centaines de personnes se sont rassemblées pour une veillée funèbre où les prières se mêlaient au slogan Azadi, qui signifie liberté.
Le lendemain des dizaines de milliers de personnes ont assisté à ses funérailles. Drapé dans un drapeau pakistanais, le corps de Burhan Wani a traversé la foule au son des pleurs, des appels à l’indépendance et des coups de feu tirés en son honneur. Dans plusieurs localités du nord au sud du Cachemire, des funérailles symboliques pour Burhan Wani ont été organisées autour d’un cercueil vide.
Moins de 24 heures après sa mort, cette démonstration populaire a mis en alerte les autorités indiennes qui ont décrété le couvre-feu dans plusieurs districts jugés sensibles. Pourtant, en dépit de ces mesures prises, une puissante charge émotionnelle s’était déjà emparée de la vallée. L’esprit de Burhan Wani semble avoir conquis en peu de temps le cœur des protestataires. « Veuillez bien noter ces propos : l’habilité de Burhan à pouvoir recruter depuis son tombeau dépasse en importance tout ce qu’il aurait pu faire depuis les réseaux sociaux » annonce sur Twitter Omar Abdullah, ministre en chef de l’état du Jammu et Cachemire de 2009 à 2015.
Peu après les funérailles, les rassemblements ont pris une tournure violente et spontanée. Des postes de police ont été attaqués et pillés et les rues se sont transformées en théâtres de guérilla urbaine.
Face aux pierres, les forces de sécurité indiennes ont répondu avec des armes à plombs qui ont causé des graves blessures aux manifestants, plus particulièrement au niveau des yeux.
Les responsables politiques ont tardé à s’exprimer sur ces événements. Narendra Modi, le premier ministre a lancé un appel au calme au bout de 4 jours tout en regrettant que la couverture médiatique de la situation ait transformé la figure de Burhan Wani en celle d’un héros.
En conséquence, depuis le weekend du 15 juillet, plus aucun journal local, qu’il soit en langue indienne ou anglaise n’était accessible au Cachemire sur décision des autorités après plusieurs perquisitions. « Dans le but de sauver des vies et de renforcer les efforts de paix » selon Nayeem Akhtar, porte-parole du gouvernement. Cette décision a poussé les journalistes et les éditeurs a se rassembler pour demander la fin de la censure et la liberté d’expression. L’absence d’informations dans la vallée laisse alors la place aux rumeurs et à la désinformation.
Sur le plan des communications, la situation n’est guère meilleure. Tous les services de téléphonie et d’internet mobiles ont été bloquées à travers la vallée pour éviter les rassemblements. De plus, la fermeture de l’autoroute qui relie Jammu au sud à Srinagar la capitale du Cachemire commence à entraîner des pénuries alimentaires. Les écoles, collèges, lycées et universités doivent, quant à elles, rester fermées jusqu’au 25 juillet.
Couvre-feu à Srinagar, vidéo The Indian Express
Le symbole d’une nouvelle génération de militants cachemiris
Au delà des affrontements, ces événements laissent entrevoir l’influence d’une nouvelle génération de militants à l’instar de Burhan Wani. Actif au sein de Hibz-ul-Mujahideen depuis 2010, il a grimpé les échelons et au moment de sa mort, il était une étoile montante du mouvement comme le prouve le million de roupies ( environ 14 000 euros) qui avait été posé sur sa tête par les autorités indiennes.
Ouvertement pro-pakistanaise, l’organisation Hizb-ul-Mujahideen oppose une résistance armée aux forces indiennes depuis 1989 dans la vallée du Cachemire. Elle recherche à faire appliquer le plébiscite populaire demandé par l’ONU en 1948 sur le droit des Cachemiris à décider de leur futur. Considérée comme mouvement terroriste par l’Inde, les USA et l’UE, le Hizb-ul-Mujahideen est à l’heure actuelle l’un des groupes actifs dans la région les plus importants.
Né dans une famille cultivée, Burhan Wani a rallié le mouvement séparatiste armé à l’âge de 15 après que l’un de ses frères fut malmené par l’armée indienne. Avant de se tourner vers le militantisme, le jeune adolescent semblait promis à une carrière de joueur de cricket. Un autre garçon de la fratrie, ayant rejoint le mouvement a trouvé la mort l’année dernière après une rencontre avec les forces de sécurité déployées dans la vallée.
Sa notoriété s’explique par son utilisation régulière des médias sociaux comme Facebook ou WhatsApp sur lesquels il pose armé, en défiant les autorités indiennes dans le but de recruter de jeunes cachemiris. Devenu expert des réseaux 2.0, il bénéficiait d’un certain talent d’orateur qui lui permettait de délivrer des puissants discours qui, au regard des événements qui ont suivi sa mort, ont probablement bien marqués les esprits de la la vallée.
Si il n’a jamais été personnellement impliqué dans une attaque contre l’armée ou la police indienne, il était devenu de par son image et sa présence un risque sécuritaire important pour les autorités du fait de sa capacité de mobilisation dans le domaine de la guerre psychologique et médiatique.
Depuis 1989 et le début de l’insurrection contre le gouvernement indien, les violences au Cachemire ont entraîné la mort de plus de 68 000 personnes. Aujourd’hui, la mort de Burhan Wani montre une nouvelle direction prise par les mouvements séparatistes où de jeunes Cachemiris prennent de plus en plus d’importance, reléguant ainsi les « éléments étrangers », responsables de l’insurrection depuis le début des années 1990. Cette nouvelle donne, plus nationaliste et plus jeune, risque de compliquer un peu plus le processus de paix dans la vallée du Cachemire.
Julien Lathus