traduction par Maxime Lancien.
Quelques petites phrases pour remettre les choses en perspective :
« Nous ne buvons pas trop d’eau avant de venir à l’école, afin que nous n’ayons pas à utiliser les toilettes, qui sont toujours sales. Dans le cas où c’est urgent, nous demandons la permission à l’enseignant pour rentrer à la maison » a avoué un élève de l’école municipale de Pune dans un article de journal l’an dernier.
« Moi et mes collègues courrons à la maison quand il le faut parce qu’il n’est pas toujours possible pour nous de demander la clé des seuls toilettes fonctionnels, près du bureau du directeur » explique un professeur dans un collège de femmes du Jharkand.
« Nous devons marcher plusieurs kilomètres dans l’obscurité à la recherche de terrains publics pour nous soulager parce qu’il y’a toujours un groupe d’hommes armés qui nous surveillent, pour s’assurer que nous ne squattons pas un terrain privé » dit une femme dalit de l’Andhra Pradesh
Les militantes Minu Gandhi et Usha Deshmuhk ont témoigné qu’à Mumbai les toilettes municipales étaient gratuites pour les hommes, mais que les femmes devaient payer. Les gardiens les auraient dévisagés et dit : « Comment savions-nous que vous étiez en train d’uriner ? »
En fait, le sort de Jairam Ramesh dans l’équipe de Manmohan Singh souligne la faible priorité accordée à une question qui touche aux stéréotypes de genres, de castes, de classes et de privilèges. Quand le fondateur d’Infosys, N.R. Narayana Murthy confessa dans une interview qu’il lavait ses toilettes le soir à la maison, l’information était reçue avec incrédulité. Un homme riche qui nettoyait ses propres toilettes et l’admettait à la télévision? Sacrilège.
Idem pour Jairam. Quand il a préconisé l’installation de toilettes près des temples, les dirigeants du Congrès se sont éloignés de lui avec méfiance, et les activistes du Sangh Parivar ont uriné devant son bungalow en signe de protestation. Quand il a persuadé Vidya Balan d’être l’ambassadrice de la campagne Nirmal Bharat Abhiyaan, les gens se sont demandés combien l’actrice populaire avait été payée. Quand il a trouvé le slogan « Pas de toilettes, pas de mariée », il n’y a pas eu beaucoup de preneurs. Jairam a déclaré publiquement que ses collègues de cabinet se sont souvent moqués en raison de son obsession pour les toilettes. En fait, le portefeuille de l’assainissement lui aurait été retiré précisément pour cette raison.
Un appel similaire fait par Modi, a rallié les leaders du Congrès qui l’avaient attaqué pour avoir acquis la sagesse de base trop tardivement. « Si Modi avait eu son illumination 20 ans auparavant », ironise Jairam, « la nation aurait été épargnée de toute une époque de traumatisme et de violence, de la démolition de la Babri Masjid, des attentats de Mumbai et des émeutes du Gujarat ». D’autres ont questionné les résultats de Modi dans son propre État, le Gujarat, en l’accusant de faire peu pour promouvoir les toilettes Mukul Sinha, l’avocat activiste, a écrit sur son blog qu’un quart des maisons à Sabarmati, une citadelle de safran siège du stade de cricket Motera et d’une grande entreprise, n’avait pas de toilettes.
« La merde des gens riches par rapport à l’eau des pauvres »
Peu de nouveauté dans ce que Jairam a dit ou dans ce que répète maintenant Modi. L’UNICEF et l’OMS ont mis en garde l’Inde face à un désastre sanitaire imminent, en pointant l’assainissement faible ou inexistant dans les campagnes. L’absence des toilettes fonctionnels était liée au décrochage scolaire, et le fléau de la défécation en plein air lié au choléra, à la diarrhée, à la dysenterie et à la typhoïde, tout comme la mort d’un demi-million d’enfants chaque année dues à l’eau contaminée.
L’environnementaliste Sunita Narain, qui dirige le Centre pour les Sciences et l’Environnement (CSE) a mis au point un rapport intitulé Excreta Matters qui cartographie le système d’égouts de 71 villes indiennes qui se noient dans leurs propres excréments et qui les déversent dans les rivières, les tuant alors. Le rapport souligne que l’eau et l’assainissement ne peuvent pas être traités séparément. Le gouvernement, dans sa sagesse, a non seulement séparé les départements, mais les a placés aussi sous différents ministères.
« Le riche et le puissant s’en sortent en utilisant plus de ressources et plus d’eau pour leurs besoins » ajoute-t-elle, cinglante, « c’est la merde des gens riches par rapport à l’eau des pauvres ».
Jairam Ramesh, en un sens, a été obligé de se surmener vu l’ampleur du problème, souligne l’ancien membre de la Commission de planification Dr NC Saxena. La Campagne d’Assainissement Total (TSC) lancée par le gouvernement en 1999, avait affirmé qu’elle fournirait l’accès aux toilettes à plus de 80% de la population d’ici fin 2009. Alors que le ministère clame avoir construit plus de 80 millions de toilettes, le recensement de 2011 révèle maintenant seulement 50 millions de foyers pourvus de toilettes.
Naturellement, quand ce détail est sorti, beaucoup ont vu rouge. Où étaient les 30 millions manquants ? Mais l’escroquerie aux toilettes manquantes n’a même pas fait sourcillé la bureaucratie. Les politiciens ont cherché à dissimuler l’escroquerie en expliquant que les toilettes étaient probablement utilisées comme espace de stockage pour le fourrage ou comme abri pour les animaux domestiques. La possibilité selon laquelle l’argent avait été siphonné n’a jamais été étudié par les États. Même à Delhi la capitale, plusieurs toilettes publiques, construites sur le principe des partenariats publics privés (PPP), languissent avec leurs portes fermées, sur lesquelles les gens urinent, tandis que leurs murs font office de panneaux publicitaires.
Il y a d’autres problèmes connexes à cela. Les femmes de la campagne doivent se soulager en petits groupes pour se protéger contre le harcèlement: un nombre alarmant d’entre eux se sont faite violées ou tuées chaque année alors qu’elles répondaient à l’appel de la nature. Au Bihar, par exemple, 870 affaires de viol ont été enregistrées en 2012 et pour le plus grand nombre, comme le suggèrent les médias locaux, les victimes ont été abusées alors qu’elles étaient sorties pour se soulager. Il n’existe pas de données officielles pour de tels cas. Pas plus qu’il n’existe de chiffres sur les femmes mordues par les serpents ou les scorpions alors qu’elles défèquent à l’aube.
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à suivre dans Sans Trône (3/3)
relire Sans Trône (1/3).