Le général Ashfaq Kayani, chef de l’armée pakistanaise, puissante et souvent derrière les affaires civiles a rencontré Nawaz Sharif, le futur premier ministre du pays. Une rencontre symbolique entre les 2 organes d’état puisse que Nawaz Sharif avait été écarté du pouvoir il y a 14 ans par l’armée. Réélu, l’armée va garder un œil sur lui, surtout quand il s’agira de politique étrangère, encore plus sur la politique de détente avec l’Inde.
Pourtant, samedi, à l’issu de cette visite, les militaires ont voulu montrer leurs soutiens au renforcement de la démocratie et à la stabilisation d’un pays étranglé par une crise économique et une insurrection de plus en plus meurtrière. La rencontre a duré plus de 3 heures à Lahore et elle a été qualifiée de « cordiale et d’informelle ». Derrière les discutions, il faut retenir que cette visite intervient alors que Nawaz Sharif n’a pas encore été intronisé en tant que chef de la Nation par le Parlement. C’est une première et les militaires déclarent qu’aucun chef des armées n’avait fait cela auparavant, « mais le Pakistan est entré dans une nouvelle ère après cette transition démocratique ». Le parti de Sharif, le PML-N voit cette rencontre sur les questions sécuritaires comme « une aubaine pour la démocratie ».
Si peu d’informations ont émané de cette entretien, Nawaz Sharif et le chef de l’armée ont exprimé leur détermination à combattre le terrorisme et le futur chef du pays a loué le rôle de l’armée dans le renforcement de la démocratie et la sécurisation du pays durant les élections.
Il faut dire que le nouveau pouvoir hérite d’une Nation brisée par les violences sectaires, par l’insurrection talibane et le chômage qui a été dirigée par les militaires durant la plus longue partie de son existence de 66 ans. « Le Pakistan a tellement de problème que Nawaz Sharif a besoin de l’aide de tout le monde, dont l’armée » remarque Shazad Chaudhry, ancien maréchal des forces aériennes.
« Cela montre qu’il n’y a aucun piège pour la démocratie et aucune tension entre les militaire et les civils » remarque un responsable de l’armée qui souhaite garder l’anonymat. « Chacun veut travailler et supporter l’autre pour le renforcement de la démocratie et pour prendre à bras le corps les problèmes comme le militantisme ou le terrorisme » ajoute-t-il.
L’armée, ministre de l’intérieur et des affaires étrangères ?
Mais maintenant se pose une question : est-ce-que l’armée laissera à Nawaz Sharif la liberté d’action qu’il souhaite ? Il apparaît comme presque sûr que sur le plan diplomatique avec son voisin indien, des frictions entre l’armée et le pouvoir seront au rendez-vous. La politique de Nawaz Sharif envers l’Inde sera particulièrement observée, dans le sens où l’armée pakistanaise justifie son immense budget sur les menaces que l’Inde peut faire planer sur le Pakistan, mais certains signes amènent à penser que l’armée semble plus ouverte que dans le passé.
En 1999, alors que Nawaz Sharif tentait d’améliorer les relations entre son pays et l’Inde, l’armée avait en secret envoyé des soldats déguisés en militants pour capturer des soldats indiens dans les postes frontaliers dans la région du Kargil, au cœur de la poudrière du Cachemire. Pour cette initiative, Nawaz Sharif avait tenté de renvoyer le chef des armées, Pervez Musharraf, mais ce dernier s’était emparé du pouvoir au cours d’un coup d’état qui avait poussé Sharif à l’exil.
Nawaz Sharif avait promis une enquête concernant l’invasion du Kargil qui s’était terminé par un affrontement de quelques semaines avec l’Inde et qui avait soulevé les inquiétudes d’une guerre plus radicale entre les 2 puissances nucléaires. La plupart des officiers voient cette enquête comme un mouvement politique visant à écarter Musharraf, actuellement assigné à résidence, plus qu’un plan visant à punir les officiers pour cette action.
Le futur premier ministre s’était permis d’absoudre les militaires face aux accusations du coup d’état de 1999 au cours de récentes conférences de presse. « Je n’ai jamais eu aucun problème avec l’armée. Ce coup d’état était l’œuvre d’une seule personne. L’armée n’en avait eu vent. Nous devons travailler ensemble » avait-t-il déclaré.
De leur côté, les officiers affirment suivre de près 3 affaires : la formation d’une commission sur l’invasion du Kargil, le remplacement d’Ashfaq Kayani en novembre prochain quand son mandat à la tête des forces armées sera terminée et les plans de Sharif pour contrer les militants, surtout les Talibans pakistanais. Sur ce dernier point, l’armée distingue les « bons Talibans » qui n’affectent pas les forces de sécurités pakistanaises et qui combattent en Afghanistan et les « mauvais Talibans », responsables de la morts de dizaines de milliers de civils et de soldats durant ces dernières années. Une distinction qui tient au fait que dans le passé, l’armée s’est servi des militants islamistes pour attaquer l’Inde. Cette dernière met en cause le rôle des forces de sécurité pakistanaises pour les attentats de Bombay de 2008.
L’attitude de l’armée pourrait néanmoins changer dans le sens où le Pakistan à besoin de la paix avec l’Inde si le pays veut se développer et sortir de la torpeur qui l’entoure depuis des années. « Mais les militaires ne retourneront pas comme ça dans leurs baraquements. Elle détient toujours les clés de la politique étrangère et s’en détachera que progressivement » explique Mahmud Durrani, conseiller à la sécurité nationale pour l’ancien gouvernement.
Ashfaq Kayani avait fréquemment fait référence à l’Inde comme la principale « menace extérieure » dans ses discours mais il a également mentionné le militantisme comme la pire « menace intérieure », ce qui constitue un changement majeur de rhétorique. Ces derniers mois, il avait même adopté un discours plus pacifique envers l’Inde pour le règlement de la question des frontières. « L’armée a maintenant compris la signification de la paix avec l’Inde. Tout le monde veut que la question du Cachemire soit résolue » affirme un gradé. Mais cette nouvelle dynamique risque de prendre du temps à se mettre en place au regard de l’importance du sujet et des positions de l’Inde comme du Pakistan sur la question.
Sharif pourrait bénéficier des divisions internes qui secouent l’armée face au projet controversé d’extension du mandat de Kayani qui termine son deuxième mandat de 3 ans. Selon la Constitution pakistanaise, c’est le premier ministre qui doit validé la nomination de son remplaçant et il a affirmé qu’il accepterait les recommandations des officiers sur cette question. « Il semblerait que Sharif ait appris de ces erreurs passées dans sa relation avec l’armée » souligne Ayesha Siddiqua, analyste.
Ces 5 dernières années, les militaires ont montré qu’ils tenaient toujours les ficelles du pouvoir, mais que cela n’était plus de manière aussi directe et ils ne semblent plus aussi avide de pouvoir. « L’armée n’a plus le monopole qu’elle avait auparavant. Les actions du derniers gouvernement étaient si pathétiques que l’armée na pas décidé d’intervenir, ce fut l’apanage de la justice » remarque Talat Masood, ancien lieutenant.
Julien Lathus