C’est en une journée que le destin politique du Pakistan s’est retrouvé sur le fil à jouer à l’équilibriste. Mardi, la Cour Suprême pakistanaise a ordonné l’arrestation du premier ministre dans les 24 heures. Raja Ashraf est soupçonné de corruption dans une affaire de contrats énergétiques illégaux. Au même moment, de vives tensions ont émergé à Islamabad après le début d’un sit-in rassemblant des dizaines de milliers de personnes à l’appel d’un clerc pakistanais à proximité du Parlement. Ils n’ont qu’un seul mot en bouche : la démission du pouvoir en place. Simple feu de paille ou révolution en marche ? En tous cas, de quoi nourrir le débat sur le futur démocratique du Pakistan.
Il y a 10 jours, je publiais un article sur les enjeux politiques pakistanais pour 2013. J’avais choisi comme titre « Pakistan : une année charnière pour la démocratie ». Hier, cette formule a prit tout son sens. Depuis l’indépendance en 1947, le développement démocratique du Pakistan a fréquemment été interrompu par une série de coups d’état et le pays n’a jamais vu un gouvernement élu conclure son mandat. Le gouvernement actuel n’est qu’à quelques semaines de montrer le contraire. Mais tiendra-t-il jusqu’au 16 mars 2013 ? Avec l’ordre de la Cour Suprême et le début d’un mouvement qui cherche à s’inscrire dans le temps, le processus démocratique pourrait subir un coup d’arrêt brutal.
Dès hier, la combinaison de l’ordre d’arrestation et les protestations d’Islamabad menées par Muhammad Tahir ul-Qadri a fait craindre à certains politiciens du Parti du Peuple Pakistanais, au pouvoir, que l’armée collaborait avec le pouvoir judiciaire pour évincer le pouvoir civil. « Il ne fait aucun doute que la marche de Qadri sur Islamabad et le verdict de la Cour Suprême sont un coup de maître de la part de l’establishment militaire pakistanais » déclare Fawad Chaudhry, un proche du premier ministre Raja Pervez Ashraf. Une idée troublante au regard de la corrélation des évènements qui apparaissent comme bien orchestrés et bien planifiés. Ajoutons à cela que le gouvernement doit gérer une crise diplomatique majeure avec l’Inde suite à l’assassinat barbare de 2 soldats indiens au Cachemire, probablement orchestré par les soldats pakistanais. Devant ces accusations, Qadri nie tout lien avec les militaires pakistanais. Et eux nient également travailler avec Qadri.
L’arrivé au Pakistan d’un homme providentiel ?
Face au PPP et au régime du président Zaradri se dresse le Dr Mohammad Tahir ul-Qadri, un leader soufi pakistanais de 61 ans. Ce professeur de droit constitutionnel comparé est apparu au grand jour en mars 2010 quand il a publié une fatwa de 600 pages contre le terrorisme. « Le terrorisme est le terrorisme, la violence est la violence et il n’y a pas de place, ni aucune justification pour de tels actes dans les enseignements musulmans » indiquait-t-il. En 1989, ce militant du dialogue interconfessionnel fonde le parti politique Pakistan Awami Tehreek dans le but d’instaurer des valeurs démocratiques, la stabilité économique et une amélioration des droits de l’homme. Mais c’est surtout face à la corruption endémique du Pakistan que le parti s’élève. La chaine américaine, CNN le décrit comme un « ambassadeur international de la paix ».
De retour du Canada ces derniers jours, il organise une campagne politique appelant à une « révolution démocratique » par le biais d’une marche reliant la ville de Lahore à la capitale, Islamabad. Les sources diffèrent sur le nombre de participants à cette grande marche. On parle de 20 000 à 100 000 personnes qui sont arrivés à Islamabad dans la nuit de lundi à mardi près du Parlement Pakistanais. Alors que la police est intervenue dans la nuit pour déloger la foule par des gaz lacrymogènes et des coups de feu en l’air, Rehman Malik, ministre de l’intérieur a ordonné la protection de Qadri et la foule reste amassée et calme en agitant des drapeaux et en scandant des slogans. « Justice for All » revient le plus souvent.
Face à la foule, Mohammad Tahir ul-Qadri déclare que la révolution est en route et appelle le gouvernement à démissionner. L’annonce par la Cour Suprême de la demande d’arrestation du premier ministre quelques heures après l’arrive de la foule à proximité du Parlement a renforcé la détermination du mouvement alors que le parti au pouvoir s’interroge sur les probabilités de coup d’état en accusant la Cour Suprême et l’armée de travailler ensemble à sa chute.
La lutte anti-corruption de Qadri dans le contexte pakistanais.
Le gouvernement actuel PPP n’a pas pu palier les nombreux manques qui échauffent la société pakistanaise. Du manquement sécuritaire en passant par les carences énergétiques ou alimentaires, le pouvoir est marqué par l’instabilité du pays. Les raisons de la grogne sociale sont toutes trouvées d’autant plus que la présidence d’Asif Ali Zaradri est synonyme d’une corruption notoire. La fortune du président est estimée à près de 2 milliards de $ et parmi ses propriétés figure un château en Normandie. Ministre de l’environnement sous le mandat de Premier ministre de son épouse, feu Benazir Bhutto, il passe 2 fois en prison pour corruption entre 1990 et 2004. Près de 10 ans derrière les barreaux. C’est d’ailleurs protéger le président Zaradri d’une nouvelle affaire que Raja Ashraf est en état d’arrestation. Son prédécesseur, Youssouf Raza Gilani avait été destitué en juin dernier par la Cour Suprême en raison de son refus à relancer une enquête en Suisse pour des détournements de fonds impliquant Asif Ali Zardari.
Islamabad face aux enjeux démocratiques et révolutionnaires
Sous l’impulsion de Qadri, les manifestants ont fait part de leur volonté de rester sur le boulevard qui mène au Parlement. Dans la nuit de mardi à mercredi, des tentes et des abris ont été montés. Les occupants indiquent vouloir rester jusqu’à la démission du pouvoir en place. Ils ont pour modèle la place Tahrir du Caire et pour tradition les grandes marches sur le modèle de celle de Gandhi.
La crainte de violences entre les manifestants et les forces de police pourrait mener l’armée à intervenir. Un avantage certain au nom de la préservation de l’ordre public. En dépit des élections prévues, il pourrait être dans l’intérêt des officiers de pousser le gouvernement actuel vers la sortie. « Si la situation dégénère, nous considérerons, bien entendu, la possibilité d’une intervention dans l’intérêt de la sécurité nationale » aurait affirmé un haut gradé qui souhaite ne pas être identifié.
Ce mercredi, les rues d’Islamabad sont désertes, les écoles et les magasins fermés. Seul le rassemblement semble apporter de la vie dans la capitale pakistanaise. Pour cette foule hétérogène, le pouvoir a perdu toute légitimité et les manifestants semblent n’avoir rien à perdre dans leurs revendications aux teintes révolutionnaires. Le bras de fer est engagé, les prochaines heures et les prochains jours seront eux aussi cruciaux pour le futur du Pakistan.
Reportage sur le mouvement par Euronews.
Sources :
Der Spiegel (Allemagne) en VO.
GeoNews TV(Pakistan), Twitter (USA) et Al Jazeera (Qatar) pour la couverture.
Telegraph (Grande-Bretagne) en VO.
Julien Lathus