Après 24 heures de prolongation, les négociations sur le climat se sont achevées sur un accord a minima le samedi 8 décembre à Doha. L’échec cuisant semble évité mais le bilan de cette conférence reste insuffisant pour de nombreux pays. Sur le fond, il confirme le manque de volonté politique pour agir avec détermination contre le réchauffement climatique. Ce constat peu engageant pour l’avenir laisse présager d’importants problèmes de confiance pour la construction d’un accord mondial qui doit être ratifié en 2015.
Pour les pays en développement et les émergents, l’enjeu de Doha était avant tout de pérenniser le protocole de Kyoto, le seul traité contraignant les pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Face au peu d’engagement de ces pays (USA, Chine, UE et Inde), le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat estime que ces pays devraient supprimer entre 25 et 40 % de leurs émissions d’ici à 2020 pour contenir l’élévation des températures mondiales à 2° en moyenne.
Le calendrier diplomatique et politique mondial semble complétement déconnecté de l’urgence environnementale, surtout pour les pays du Sud. Sans une politique volontariste, les perspectives les plus pessimistes sont à prévoir et les pays en voie de développement n’y échapperont pas. Dans le sous-continent, qui possède un terreau adéquat aux pires effets du réchauffement climatique, quels types de politiques les pays de la région lancent-t-ils en faveur d’une réduction des risques et comment sensibiliser l’opinion mondiale ?
Depuis des années, l’Inde ne cesse de grossir sur le plan mondial avec son économie débordante, sa population croissante et ses perspectives d’avenir. Il en résulte une importante hausse des rejets nocifs pour l’environnement. En conséquence, l’Inde échelonne son action à plusieurs niveaux. Au niveau le plus bas, ses actions contre les changements climatiques tendent principalement à faire cohabiter les problématiques de pression démographique, de croissance économique et de réduction de la pauvreté. C’est ainsi que dans le domaine énergétique, l’Inde cherche des solutions visant à pallier ses déficits chroniques tout en contribuant à la réduction des effets du changement climatique.
Parallèlement, l’Inde a lancé en 2008, sous l’impulsion du premier ministre Manmohan Singh le Plan National d’Action sur les Changements Climatiques. Le but : « Privilégier la première des priorités en maintenant un fort taux de croissance pour améliorer les niveaux de vie pour suivre nos objectifs de développement tout en adressant une réponse forte aux problématiques de réchauffement climatique ». Selon ce Plan National, les mesures nationales devraient être efficaces avec l’assistance des pays développés tout en assurant que les émissions de gaz à effet de serre ne dépasseront pas celles des pays développés « même si l’Inde poursuit ses objectifs de développement ».
Pour lutter contre le réchauffement climatique, ce Plan prévoit une action à l’échelle nationale sur plusieurs secteurs comme la promotion de l’énergie solaire, le renforcement des capacités énergétiques en milieu urbain et dans les transports tout en évitant les pertes inutiles et polluantes ou le recyclage des eaux usées. Face aux écosystèmes indiens, le Plan cherche à conserver la biodiversité des régions himalayennes qui représentent le château d’eau du pays. Il est également prévu de faire croitre la surface des forêts de 10% tout en maintenant une agriculture propre et capable de s’adapter aux changements. Enfin, connaitre son ennemi semble une priorité en Inde puisque le Plan prévoit la fondation d’un Institut de Recherche sur les Changements Climatiques de dimension international et capable de collaborer avec les initiatives privées en attirant des fonds.
L’Inde met en place dans ce Plan un projet ambitieux qui nécessitera une politique volontariste en impliquant la communauté internationale. A voir la réticence des pays les plus pollueurs à aider financièrement les pays en voie de développement et les pays les plus pauvres à Doha, ces types de projets restent sur la sellette et doivent revoir leurs objectifs à la baisse. A croire que la solidarité internationale sur ce sujet qui implique chaque être humain n’a pas encore pris conscience de l’urgence de la situation. Les pays semblent vouer à se débrouiller seuls et à faire le ménage devant leur propre porte pour sauver leur terre individuelle. Alors où chercher un exemple ?
Parmi les politiques radicales visant à réduire les émissions toxiques et les risques environnementaux, la palme revient au petit royaume bouddhiste du Bhoutan. A vrai dire, cela n’est peu étonnant de la part d’un pays qui considère que le PNB n’est pas le seul indicateur du progrès d’un pays et qui lui oppose le BNB, le Bonheur National Brut.
Cet automne, le Bhoutan a décidé de privilégier l’agriculture verte, « encore plus moderne que celle aux techniques chimiques ». « Le Bhoutan a décidé de se lancer dans une économie verte au regard des pressions infernales que nous imposons à la planète » explique le ministre de l’agriculture, Pema Gyamtsho. L’agriculture est le plus important secteur de l’économie du pays et une majorité des agriculteurs cultivent le riz et le maïs, les bases de l’alimentation locale. « Si vous vous lancez dans une agriculture intensive cela nécessite l’usage de nombreux engrais ce qui n’est pas en accord avec nos croyances bouddhistes qui nous appellent à vivre en harmonie avec la nature » poursuit-t-il.
Cette méthode ne devrait pas être trop délicate à se mettre en place au regard de la résistance culturelle du Bhoutan face aux aspects de la modernité. Le ministre indique que la plupart des fermiers qui vivent dans les zones reculées ne peuvent pas se procurer des engrais chimiques, et ce même si ils le voudraient. Cela peut apparaitre comme une bonne nouvelle pour les fermiers bhoutanais qui sont reconnus pour exporter à l’international des produits garantie 100 % naturel comme du riz rouge ou des champignons forestiers. Ils n’auront plus à se soucier de savoir si l’exploitant voisin utilise des produits chimiques ou génétiquement modifiés : toute la nation sera sous le signe organique. Une stratégie économique qui peut s’avérer payante et qui sur le point de vue environnemental démontre les opportunités d’une nation volontariste face aux problèmes planétaires écologiques et climatiques.
Mais face aux bonnes intentions, une politique active en matière de lutte contre les effets du réchauffement climatique ne vaut rien si elle n’est pas menée par un VRP, par une voix sachant marquer les esprits. C’est ce qu’a mis en place l’ancien président des Maldives, Mohamed Nasheed, « démissionnaire renversé » de la présidence en février dernier. En fait, qui connaissait Mr Nasheed ? Certes, il a été le premier président élu des Maldives en 2008 après 30 années de la dictature de Maumoon Abdul Gayoom, mais il est apparu sur la scène mondiale le 17 octobre 2009 après avoir tenu un conseil des ministres à 3 mètres sous l’eau. Lui et ses ministres, équipés en plongeur ont tenu à montrer au monde les effets du réchauffement climatique et de la montée des eaux dans cet archipel où le point culminant peine à atteindre les 3 mètres d’altitude.
La lutte contre le réchauffement climatique devient alors le cheval de bataille de Mohamed Nasheed qui annonce après son élection que les Maldives ont pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 10 ans, c’est-à-dire à compenser les émissions par tous moyens possibles. Dans le cadre de la conférence de Copenhague sur le climat de 2009, ce militant a conféré à des journalistes le statut de membres officiels de la délégation maldivienne afin qu’ils puissent rapporter ce qui se passait derrière les portes fermés et révéler au monde ce qui s’y disait et ce qui s’y faisait.
Un an après son élection, le Time Magazine le décrit comme un visionnaire et comme l’un des héros de l’environnement. En 2010, la revue américaine Foreign Policy le classe 37ème sur sa liste des plus grands penseurs de l’année et le magazine Newsweek le qualifie comme l’un des 10 dirigeants les plus respectés au monde. En 2011, le réalisateur Jon Shenk lui consacre un documentaire, The Island President, sur les efforts de cet homme face aux changements climatiques. Ce documentaire reçoit plusieurs prix qui contribuent à renforcer l’image de ce président impliqué contre la disparition programmée de son pays.
Respecté à l’international, Mohamed Nasheed doit néanmoins faire face aux manifestations des conservateurs musulmans qui l’accusent d’être trop libéral au début de l’année 2012. Le 7 février, il démissionne, probablement sous la contrainte des armes, puis il dénonce un Coup d’Etat islamiste. Peu de ses anciens soutiens internationaux le soutienne, il est contraint à l’exil. Il poursuit son combat contre le réchauffement climatique mais sa chute engendre moins d’importance à son discours et ses actions novatrices. La lutte contre le réchauffement climatique a perdu l’un de ses meilleurs soldats.
A relire :
Série : Le sous-continent indien face aux changements climatiques.
Episode 1 – A la merci du réchauffement climatique.
Episode 2 – Quand la vulnérabilité engendre les idées.
Sources :
Center for Climate and Energy Solutions (USA) en VO.
Global Post (USA) en VO.
Salon (USA) en VO.
Julien Lathus