Inde : une guerre de la soie.

Sualkuchi, dans l’état d’Assam est devenu ces dernières semaines l’épicentre d’une grogne économique et sociale, presque identitaire. A une quarantaine de km de la capitale Guwathi, cette petite ville de 15 000 habitants, bordée par le fleuve Brahampoutre est surnommée la « Manchester de l’Assam » en …

Sualkuchi, dans l’état d’Assam est devenu ces dernières semaines l’épicentre d’une grogne économique et sociale, presque identitaire. A une quarantaine de km de la capitale Guwathi, cette petite ville de 15 000 habitants, bordée par le fleuve Brahampoutre est surnommée la « Manchester de l’Assam » en raison de ces nombreuses industries de tissages. C’est pour la qualité de sa soie que Sualkuchi est connue dans toute l’Inde. Mais depuis quelques années, des soieries de Bénares tendent à envahir le marché sous l’appellation de soie d’Assam.

Les manifestants ont brûle d'importantes quantités de soie.

Les manifestants ont brûle d’importantes quantités de soie.

Le 29 mars dernier, la quiétude de Sualkuchi, ville d’adoption de l’ancien président indien, Abdul Kalam, a été ébranlée lorsqu’une foule de près de 1000 personnes a fait irruption dans son magasin-entrepôt et y ont brûlé des milliers de foulards en soie. Durant 3 jours, une odeur de révolte et de soie brûlée flotta dans l’air de la petite ville à mesure que des magasins soupçonnés de vendre de la soie de Bénares voyaient leurs marchandises incendiées. A l’intervention des forces de l’ordre ont répondu les pierres d’une foule en colère. Une dizaine de personnes, dont 2 policiers ont été blessées dans des échanges de coups de feu. Un couvre-feu a été imposé durant 3 jours et pour près de 50 000 € de soie est parti en fumée. L’armée a été déployée dans les rues.

« Nous vendons des soies d’Assam et de Bénares depuis 25 ans mais nous ne les avons jamais mélangé. Nos clients savent ce que nous vendons. Nous sommes fiers de nos textiles locaux » explique Bimal Medhi, l’un des plus grands tisserands de la ville avec ses 40 métiers à tisser. Les troubles qui couvaient depuis des mois ont éclaté dans son magasin après que la foule le soupçonnait de faire passer des soies de Bénares pour celles d’Assam.

Cette histoire est représentative de la guerre de la soie qui se profile au fur et à mesure que les soies de Bénares envahissent le marché, souvent vendues sous une autre appellation d’origine par des marchands peu scrupuleux. De moins bonne qualité en général, et donc moins chère que celle d’Assam. Les tisserands ont répondu avec colère aux peurs de voir cette soie inonder le marché et supplanter leur gagne-pain. En Assam, l’industrie de la soie fournit un emploi à 25 000 personnes, parmi elles, une majorité de femmes. Sualkuchi abrite à elle seule plus de 12 000 métiers à tisser.

Si la soie de Bénares est vendue dans la région depuis plus de 30 ans, un vice d’appellation tend à décrédibiliser la soie d’Assam. A partir de 2008, des marchands d’Assam auraient apporté les secrets des techniques assamaises à Mubarakpur et à Islampur, dans la région de Bénares. Dans ces fabriques d’Uttar Pradesh, les ouvriers se sont mis à faire des répliques à bas-coût qui se seraient alors retrouvées en masse sur les marchés de l’est, concurrençant alors la soie locale.

Suite aux violences, l’administration du district où se trouve Sualkuchi a temporairement interdit la vente de soie « made in Banaras » et des descentes ont été effectuées dans plusieurs magasins. « Ces mesures passagères ne fonctionneront pas. Si le gouvernement est sérieux, il devrait édicter une loi sur le textile d’ici un mois » explique Khanikar Das, propriétaire d’une fabrique. En attendant, la guerre de la soie risque de continuer de couver, bien qu’une enquête ait été lancée pour établir les responsabilités de chacun dans ces événements qui prennent place dans une région déjà troublée par d’importants affrontements interethniques.

Julien Lathus

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