Cette année encore, l’Inde se caractérise par le développement de son arsenal militaire et défensif. En décembre, l’Inde, premier pays importateur de matériel et de technologie militaire en 2012 a confirmé ce statut avec la visite du président russe Vladimir Poutine à New Delhi, les bagages chargés de dizaine d’hélicoptères ainsi qu’avec les essais de plusieurs missiles et la poursuite du programme de bouclier anti-missiles.
Cette dynamique engendre toute une série de questions concernant la volonté indienne de renouveler un arsenal vieillissant comme sur les aspirations du pays à réinvestir une géopolitique régionale. A cela s’ajoute la défense de son territoire face à tous ses ennemis potentiels.
Lundi 24 décembre, le président russe Vladimir Poutine n’a pas hésité à faire l’aller-retour jusqu’en Inde pour la signature d’un important contrat d’armement. En jeu, la vente à New Delhi de 42 avions de combat Sukhoi Su-30 et de 71 hélicoptères Mil Mi-17. Un contrat de près de 3 milliards de $ qui valait bien l’escapade indienne pour la Russie.
Moscou est depuis longtemps le principal fournisseur de l’armée indienne bien que plusieurs contrats ont été signés avec des compagnies occidentales ces dernières années. La Russie compte actuellement pour 70% des achats indiens d’armement mais New Delhi a récemment signé de gros contrats avec les USA, la France ou Israël. Cette visite semble renverser un peu cette tendance et resserrer les liens entre les deux pays alors que la Russie a accru sa présence dans la région en se rapprochant du Pakistan, du Bangladesh et du Sri Lanka.
Néanmoins, la presse indienne semble unanime quant à cette visite. The Hindu décrit la venue de Poutine comme une avancée historique dans la relation stratégique entre les deux pays Même teneure du côté du président russe qui affirme que la coopération militaire entre son pays et l’Inde avait atteint un « niveau sans précédent ».
Ce contrat fait suite à une accélération de l’équipement et de sa modernisation. L’Inde a cette année testé de nombreux missiles de différents calibres et de différentes portées. Pas plus tard que le 20 décembre, l’Inde a testé avec succès son missile balistique Prithvi II. Capable de porter une charge nucléaire dans un rayon de 350, le missile s’ajoute à une batterie balistique aussi impressionnante que complète. Dans ce domaine, c’est surtout le mois d’avril qui a marqué les esprits. Le 20 avril dernier, l’Inde est rentrée dans le club très fermé des pays possédant des missiles balistiques intercontinentaux. Désormais, le missile indien Agni V côtoie le Peacekeeper américain, le Topol M russe ou le DF-5 chinois.
Le missile de trois étages et plus de 50 tonnes avait été lancé depuis l’île Wheeler au large de l’Orissa pour atteindre une cible dans le sud de l’océan indien. « Cela est un grand bond en avant pour les capacités stratégiques indiennes » déclarait Ravi Gupta, porte-parole du ministère de la défense.
Avec ses 5000 km de portée, le missile sera en mesure de pouvoir atteindre une large partie de l’Europe orientale et la totalité de l’Asie, ce qui inclut la Chine. Les médias indiens comme la stratégie militaire ont particulièrement retenu que des villes comme Pékin ou Shanghai pourront être à portée d’Agni V. Le missile peut emporter une charge nucléaire d’environ une tonne. Il pourra également servir à la mise en orbite de satellites.
Les officiels indiens rétorquent que ce missile ne doit pas être perçu comme une menace. « Nous avons déclaré une politique de non-agression et nous ne visons aucun pays en particulier. Ce missile n’est une menace pour personne. Notre système balistique est à but purement dissuasif et il répond à nos besoins sécuritaires » rajoutait alors Ravi Gupta.
La sécurité du pays revient également à l’honneur en cette fin d’année avec la poursuite du programme de bouclier anti-missile (BDM). En juin dernier, les 2 grandes métropoles New Delhi et Bombay avaient été choisi pour accueillir le système de défense anti-missile balistique DRDO. « L’installation sera capable d’intercepter et de détruire un missile venant d’un pays hostile dans un rayon de 2000 km. Les villes de Delhi et de Mumbai bénéficieront de cette défense dans le cadre de la première phase de l’Organisation du Développement et de la Recherche Défensive qui a choisi ces deux villes au regard de leur vulnérabilité en cas d’attaque de missile » déclarait l’organisation responsable du projet à cette occasion.
Fin novembre, l’essai réussi d’un lancement d’interception s’était conclu par un succès. Le bouclier indien peut maintenant être capable de détruire simultanément une attaque de plusieurs missiles de longue portée. Avec cette réussite, l’Inde prévoit de déployer le système BMD dans ces 2 villes d’ici 2014. La seconde phase du projet doit voir se développer des radars longue portée et des intercepteurs encore plus puissants qui seront capables de détruire des missiles balistiques dans un rayon de 2000 km.
Cette dynamique défensive et militaire est à mettre en perspective avec l’essor indien du XXIè siècle. Alors que le pays se hisse vers les sommets de l’économie mondiale, il en résulte un profond changement géopolitique et géostratégique dans la région asiatique. Toutes ces dernières décennies, l’Inde se sentait sous la menace de son voisin nucléarisé pakistanais. Or, depuis quelques années, le décrochage entre les deux pays sur leurs capacités militaires s’est accentué au profit de l’Inde. Alors que le Pakistan peut aligner un peu plus d’un million de soldats, l’Inde peut faire face avec le double. Concernant le matériel, l’Inde affiche de plus importantes capacités dans presque tous les domaines (air, terre, marine). La balance tend néanmoins à s’équilibrer au regard de la dissuasion nucléaire puisque les deux pays possèdent chacun une centaine de têtes nucléaires.
Pour l’Inde, c’est maintenant la Chine qui semble devenir alors le principal compétiteur. D’autant plus qu’au mois d’octobre, l’Inde a commémoré le cinquantième anniversaire de sa défaite face à la Chine. En 1 mois, les forces chinoises avaient enfoncé les lignes indiennes sur plusieurs fronts du nord de l’Inde. 50 ans plus tard, le ministre indien de la défense, A.K. Antony a déclaré que l’Inde était capable de se défendre toute seule en ajoutant néanmoins que les infrastructures dans le nord-est du pays n’étaient pas satisfaisantes à ses yeux mais qu’elles s’étaient améliorées et qu’elles sont bien plus performantes que par le passé. « L’Inde de 2012 n’est pas celle du passé. Nous sommes maintenant capable de défendre chaque parcelle de notre territoire » déclarait-t-il.
L’Inde voit surtout la Chine comme un concurrent majeur pour sa supériorité en Asie et le pays se méfie face aux revendications chinoises qui s’expriment en Mer de Chine mais également aux frontières entre l’Inde et le Tibet. Dernièrement, le sommet de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) a vu la signature d’accords stratégiques majeurs avec l’Inde. L’Inde y pousse à une plus forte coopération dans le domaine de la sécurité maritime. « En tant que nations maritimes, l’Inde et l’ASEAN devraient intensifier leur engagement pour la sécurité maritime, pour la liberté de navigation et pour le règlement pacifique de tous les litiges marins dans le cadre du droit international » indique le premier ministre indien. Dans ce sens, Manmohan Singh introduit et légitime l’utilisation d’un nouveau terme : celui d’Indo-Pacifique, qui laisse entrevoir les visées de New Delhi sur le théâtre Asie-Pacifique.
Dans ce discours, il s’agit bien pour l’Inde de contrebalancer les visions hégémoniques de la Chine sur la région alors que plusieurs membres de l’ASEAN s’inquiètent des revendications territoriales de l’empire du milieu dans le sud de la Mer de Chine. Shyam Saran, ancien secrétaire indien aux affaires étrangères note que ce sommet marque une impulsion face à l’urgence d’une nouvelle politique et d’un nouvel ordre économique et sécuritaire en Asie. « C’est une opportunité pour l’Inde d’assumer un rôle de leader dans la région » explique-t-il.
Et pour assumer ce rôle qui fait de l’Inde les bras protecteurs des pays d’Asie face à l’appétit chinois, rien de tel que de gros contrats d’armement et une stratégie de défense moderne. L’Inde, avec plus de 3337 millions de $ d’achat militaire en 2010 reste cette année encore le premier pays importateur. Une stratégie qui peut s’avérer payante si l’Inde veut confirmer ce nouveau statut régional, bien que la Chine reste largement devant les capacités militaires indiennes. 2013 sera dans ce sens une année charnière dans l’essor indien.
Sources :
BBC (Grande-Bretagne) en VO.
Frontline (Inde) en VO.
Julien Lathus