L’Afghanistan, terre de djihad par excellence depuis des décennies pourrait être aujourd’hui le théâtre d’une nouvelle dynamique insufflée par l’Organisation de l’État Islamique (OEI). Tout ce mois de septembre a été le témoin de l’avancée du groupe dans ce pays même si les Talibans semblent résister.
C’est un rapport de l’ONU qui vient confirmer l’accroissement de l’influence de l’OEI en Afghanistan. Publié ce vendredi 25 septembre, il met en lumière les progrès du groupe dans le pays où 25 provinces sur les 34 enregistrent un nombre croissant de sympathisants et de nouvelles recrues. L’OEI qui contrôle déjà de vastes territoires en Irak et en Syrie tente de s’implanter en Afghanistan en défiant les Talibans sur leur propre sol.
Selon le rapport, près de 10 % des insurgés talibans auraient des sympathies pour l’OEI. « Le nombre d’individus ou de petits groupes qui déclarent ouvertement leurs sympathies ou même leur loyauté envers l’OEI continue de croître dans un bon nombre de provinces afghanes » souligne le rapport. Pour le gouvernement afghan, des groupes labellisés « OEI » seraient présents dans 25 provinces du pays. Ces nouveaux « labellisés OEI » s’engagent de plus en plus fréquemment dans des combats avec les forces de sécurités afghanes mais également avec les Talibans dans une lutte pour l’influence sur le terrain.
Une présence effective d’un an
Fin septembre 2014, de combats violents opposent les forces de sécurité afghanes à des insurgés affiliés à l’OEI dans la province afghane de Ghazni. A cette époque, les officiels afghans indiquaient que les insurgés présents à la bataille avaient élevé le drapeau noir de l’OEI, brûlé des maisons et décapité des soldats afghans faits prisonniers mais également des civils. Rapidement, ces incidents ont tourné à la controverse quand des officiels locaux ont affirmé avoir brandi le spectre de l’OEI pour avoir plus de subventions.
Pourtant, peu après cet épisode, l’OEI laisse entrevoir sa présence en Afghanistan. En janvier 2015, un petit groupe de commandants talibans déserteurs afghans et pakistanais annoncent leur allégeance à l’OEI. Quelques jours plus tard, l’OEI annonce son expansion dans la province de Khorassan (appellation médiévale de l’Afghanistan) et nomme Hafiz Saeed Khan, ancien de Guantanamo comme gouverneur et responsable des activités de l’OEI dans la région. Il sera épaulé par Abdul Rauf Khadim, sous-gouverneur depuis son fief dans la province afghane d’Helmand.
Rapidement, du nord au sud de l’Afghanistan, des petits groupes d’insurgés se défont du mouvement taliban pour rallier le drapeau noir de l’OEI et des officiels de provinces du sud-est font état de centaines de combattants étrangers affiliés à l’OEI entrés dans leurs provinces. Cette présence et se ralliement inquiètent. Le 9 février 2015, une frappe de drone américain tue Khadim dans la province d’Helmand mais cela n’empêche pas l’OEI de s’implanter et de lancer des opérations dans quelques provinces. Enlèvement d’Hazaras (minorité chiite), destruction de sanctuaires soufis, saccages de télévisions, exécutions sommaires et fermeture d’écoles commencent à être rapportés de part et d’autre du pays. Mais c’est avec le mouvement Taliban que l’OEI semble le plus occupé.
Talibans vs OEI : la guerre pour le contrôle de l’Afghanistan
Comme sur ses autres terrains d’opérations, l’OEI se retrouve confronté à des groupes islamistes qui contestent son arrivée. En Afghanistan, c’est les Talibans qui occupent le terrain depuis des années. Après la nomination de janvier 2015, il faudra peu de temps pour que des accrochages éclatent entre les soutiens de l’OEI et leurs rivaux issus des factions talibanes.
Compte tenu de ces accrochages qui durent depuis presque un an, l’OEI risque de continuer à rencontrer une forte résistance talibane à son projet d’implantation en Afghanistan. En tant qu’acteurs bien implantés sur le territoire, les Talibans peuvent pour le moment résister à cette expansion, et ce, même après l’annonce de la mort du Mollah Omar, le chef historique du mouvement à la fin juillet.
Depuis, les Talibans ont se sont dotés d’un nouvel émir en la personne de Mollah Mansour et si la succession s’est faite dans la division, l’OEI n’est pas encore à même de pouvoir concurrencer les Talibans sur leur propre sol. De plus, depuis cet été, l’OEI en Afghanistan et au Pakistan enregistre une série de revers. Le 10 juillet, un drone américain vise une trentaine de ses dirigeants. Parmi les victimes, Hafiz Saeed Khan, le chef de l’OEI pour la région nommé en janvier.
Le principal obstacle que rencontre l’OEI en Afghanistan demeure une question de terrain car il apparaît clair que ce groupe ne semble pas bénéficier du soutien local et populaire comme peut prétendre le mouvement taliban. Outre le fait que l’OEI ne peut pas exploiter en Afghanistan la division sunnite-chiite comme elle le fait en Irak et en Syrie, la brutalité de l’OEI rebute les populations locales. « Les combattants de Daech sont cruels et ils tuent sans raison » évoque un Afghan habitant à la frontière avec le Pakistan.
C’est là un élément de contre-propagande qu’utilise les Talibans dans leur lutte contre l’OEI. En août dernier, l’OEI a diffusé une vidéo d’exécution d’une dizaine d’hommes, forcés à s’agenouiller sur des charges explosives avant leur mise à feu dans la province de Nangarhar. Les Talibans ont été parmi les premiers à réagir à cette diffusion en la condamnant dans les plus forts propos. « Cette offense et d’autres actions brutales commises par quelques irresponsables ignorants qui se disent guidés par la volonté divine sont intolérables et non-islamiques » pouvait-on lire sur une site taliban.
Pour le moment, il apparaît que l’OEI ne peut pas rivaliser avec les Talibans, sur le terrain depuis plus de 20 ans et même si ils sont un peu en perte de puissance. Pourtant, les USA et l’OTAN affirment que l’OEI en Afghanistan est « un danger émergent » avec plusieurs positions sous son contrôle à travers le pays comme dans la province de Nangarhar. Ce danger qui inquiète les autorités américaines pourrait leur faire revoir leur politique en Afghanistan et de nouvelles options pourraient venir comme le maintien de plusieurs milliers d’hommes après 2016.
Julien Lathus