Depuis ce week-end, le sous-continent célébrer la fête annuelle de l’urs au sanctuaire soufi d’Ajmer en Inde. En l’honneur du saint musulman Hazrat Khawaja Moinuddin Chisti,, de nombreux Musulmans et des Hindous se rendent alors en pèlerinage sur sa tombe, au milieu du Rajasthan. Moinuddin Chisti est uns des plus célèbres mystiques d’Asie du Sud. Au XVIème siècle, l’empereur moghol Akbar le Grand s’y était rendu pieds nus d’Agra, pour qu’Allah lui donne un fils héritier. Cette célébration ne concerne pas que les Indiens puisque des Bangaldais et surtout des Pakistanais se rendent eux aussi dans le sanctuaire.
Pourtant, cette année, pas de Pakistanais à Ajmer. Suite aux recommandations sécuritaires indiennes, les autorités pakistanaises n’ont pas pu permettre aux fidèles de se rendre en Inde pour le pèlerinage et ont annulés leurs visas. Raison invoquée du côté indien : « l’Inde ne pourra pas assurer la sécurité des Pakistanais lors de l’urs ». Chaque année, des centaines de Pakistanais se rendent à Ajmer pour honorer le saint Chisti. Ils étaient 450 l’année dernière, le même nombre qu’en 2011.
Il y a 10 jours, les gardiens du sanctuaire d’Ajmer avaient décidé qu’ils n’assisteraient pas les pèlerins pakistanais en visite pour l’urs. En réaction à la mort d’un prisonnier indien au Pakistan, ils avaient affirmé leurs positions en indiquant que « les prières sans notre assistance ne sont pas possibles ». Nous demandons au gouvernement indien de ne pas leur fournir de visas » ajoutaient-t-ils.
Les récents meurtres en prison de Sarabjit Singh au Pakistan et de Sanaullah Ranjay en Inde viennent de faire leur propre victime : la mesure diplomatique de contacts entre personnes, vitale pour réengager une relation indo-pakistanaise mise à mal depuis le début de l’année. L’Inde n’a pas souhaité prendre des mesures supplémentaires de sécurité pour assurer la protection des fidèles pakistanais, demandant au Pakistan d’annuler leur venue en Inde. « En raison du caractère sécuritaire volatile suite aux récents incidents bilatéraux, le gouvernement indien n’est pas en mesure d’assurer la sécurité et la protection des pèlerins pakistanais » annonce Gopal Baglay, haut commissaire indien. Dans un autre communiqué, il est demandé au Pakistan d’annuler le pèlerinage en raison du contexte tendu qui prévaut un peu plus entre les 2 pays depuis la fin avril.
Dans une prison pakistanaise, Sarabjit Singh, accusé de terrorisme et d’espionnage avait été attaqué par plusieurs détenus à la fin du mois dernier. Après une semaine de coma, sa mort avait engendré une poussé de nationalisme en Inde où son corps fut rapatrié. Le jour de sa cérémonie funéraire, avec les honneurs de la Nation indienne, un prisonnier pakistanais originaire du Cachemire, Sannullah Ranjay, inculpé à vie pour terrorisme, subit la vengeance de la part d’un codétenu en Inde. Hospitalisé, il meurt quelques jours plus tard.
Ces incidents ont ravivé les tensions entre les 2 pays, mais surtout dans la rue où une minorité, sous le coup des émotions a laissé éclater sa colère. Des Indiens sont descendu dans les rues et ont appelé à la vengeance en brûlant le drapeau pakistanais, et des Pakistanais criaient au jihad contre l’Inde en brûlant, eux-aussi, des drapeaux. Si ces incidents sont à prendre au sérieux, ils sont loin de représenter la majorité de l’opinion publique sur le sujet, bien que la méfiance demeure. On ne peut que regretter la décision indienne qui ne va pas dans le sens des objectifs diplomatiques que les pays se sont fixés, et dont ils ont fait étalage de manière intéressante en début de semaine lorsque le futur premier ministre du Pakistan, fraîchement élu à inviter son homologue indien à sa cérémonie d’investiture.
Le pan diplomatique qui consiste à entretenir des contacts entre les habitants des 2 pays (people to pepole ties) est aussi important que les réunions mêlant les responsables politiques. Le pèlerinage dans les sanctuaires soufis qui pullulent dans le nord du sous-continent fait parti intégrante de ce processus diplomatique, au même titre que les déplacements de supporteurs lors des grands matchs de cricket opposant l’Inde au Pakistan. Cette politique est un vecteur qui influence l’opinion publique avec subtilité et efficacité. Indiens et Pakistanais, frères ennemis mais concernés par la même culture, retrouvent dans ces contacts, des similitudes mutuelles aux effets rassurants. C’est un outil de taille pour introduire de la confiance dans leurs relations.
Dans le sous-continent indien, l’Islam s’est implanté par le biais des missionnaires soufis à partir du XIIIème siècle. Sous cette forme et au contact de la tradition hindoue, des communautés de Musulmans mystiques se sont implantés dans le sous-continent en prêchant l’amour de Dieu. Leur message historique de tolérance et de respect représente un formidable outil de communication pour la normalisation de la relation indo-pakistanaise. La diplomatie du soufisme a le mérite d’agir sur les aspects religieux. Une véritable force au regard du poids qui représente la religion dans la culture et les us quotidiens des Indiens comme des Pakistanais.
La décision indienne de faire annuler la venue des pèlerins pakistanais à Ajmer répond directement avec les préoccupations sécuritaires que leur passage sur le sol indien pourrait engendrer. L’Inde ne cherche probablement pas d’ennui mais elle perd là l’occasion de répondre avec intérêt à l’enthousiasme suscité au Pakistan par la victoire de Nawaz Sharif aux élections de ce week-end. Est-ce que la sécurisation de 500 personnes était vraiment un défi insurmontable pour l’Inde ? Probablement pas. Mais se pose alors la question de l’impact de cette visite dans l’opinion publique indienne alors que la diplomatie reste tendue et que le gouvernement indien et son chef, Manmohan Singh sont sous le feu nourri de critiques qui pourraient faire tomber le premier ministre et faire perdre les élections de 2014 au Parti du Congrès.
Julien Lathus.