Il y a 20 ans, un frais dimanche matin de décembre, la ville d’Ayodhya dans le nord de l’Inde (Uttar Pradesh) fut l’épicentre d’une tragédie qui affecta profondément les idéaux de la nation indienne. Histoire d’une rupture.
La cité d’Ayodhya est pour les Hindous le lieu de naissance du dieu Rama et à ce titre l’un des sites les plus sacrées de l’Inde. En 1528, alors que l’empire moghol commence à se fixer, une mosquée est construite sur les décombres probables d’un temple dédié à Rama. En hommage à l’empereur Babur, la mosquée est nommée Babri. Durant de nombreuses années, le site a été utilisé religieusement par les Hindous comme par les Musulmans. C’est sous la conquête britannique de la région en 1857 que les troubles ont débutés. Puis, à l’indépendance et à la partition du sous-continent, les deux communautés sont rentrées en vives opposition pour l’appropriation du site.
La question de cette mosquée allait servir de levier à la politisation du nationalisme hindoue. En 1980, plusieurs partis régionaux se coalisent et forment le BJP. Ce parti instrumentalisa le débat d’Ayodhya comme thème de campagne majeur pendant les élections parlementaires de 1989. Et l’année qui suivie, son chef, L.K. Advani se lança dans un tour du pays pour promouvoir sa vision du débat d’Ayodhya.
Le 6 décembre 1992, plus de 150 000 personnes sont massées à Ayodhya pour un rassemblement politico-religieux du BJP. La grande messe est organisée pour célébrer une fondation symbolique du temple sur ce sol sacré. Enjeux et émotions chauffèrent à blanc la foule et le meeting se transforma en une gigantesque émeute. Plus qu’un seul objectif : la destruction de la mosquée Babri. A midi, des jeunes sont sur l’un des dômes de la mosquée sur lequel ils plantent un drapeau hindou, puis ils frappent le dôme avec des bâtons. Avec leurs seules mains, la foule a réduit la mosquée en ruine et l’espace de quelques heures. Les 20 000 forces de police sont restées inactives.
Des émeutes communautaires ont alors éclaté dans toute l’Inde. Pendant plusieurs mois qui suivirent la destruction, Hindous et Musulmans se sont affrontés à Bombay, à Surat, à Ahmedabad ou encore à Delhi provoquant la mort de plus de 1500 personnes. L’Inde était prise dans un engrenage. Les mois suivants virent en réponse les attentats de Bombay de 1993 avec plus de 250 morts. Les décennies suivantes héritèrent d’émeutes régulières qui atteignirent leur apogée au Gujarat en 2002 quand un pogrom anti-musulmans provoqua la mort de 800 à 2000 personnes. Lors de ces évènements, Narendra Modi, membre du BJP dirigeait le Gujarat. Il en est encore à sa tête aujourd’hui malgré les critiques face à sa gestion controversée de ces émeutes.
Cette foule frénétique qui rasa la mosquée Babri ce jour de décembre 1992 n’avait probablement pas en tête que leur acte fanatique allait changer la politique indienne pour les années à venir. Le sentiment indien allait également en être bouleversé.
« Peu importe où nous étions, quelle était notre identité, que nous soyons politisés, passionnés ou pas, une nouvelle approche allait défier notre crédulité, nous transformant tout un chacun » se souvient le journaliste indien Ajaz Ashraf. « Ce fut le jour où ne nouvelle faute ait apparu dans la société indienne. Le mot « eux » qu’employant mes amis avait cette autre sens. Qui constituaient les « eux » et qui étions nous « nous même » ? La religion n’a pas toujours été un facteur déterminant de l’association à l’un des deux groupes, avant qu’elle ne nous y assigne sans initiation. Il y avait « eux » et « nous » selon ses à priori sur la question de Babri Masjid » poursuit-t-il.
Pour certains, ce 6 décembre fut le jour où un rêve est mort. Celui de voir les Hindous et les Musulmans indiens vivant en harmonie. « Le 6 décembre 1992 était un assaut contre l’idée de l’Inde comme une nation séculaire, un jour menaçant pour la stabilité du pays » déclare le journaliste Sanjay Kaw. Reste maintenant que cette rupture dans la société indienne semble enracinée et que l’épisode de la mosquée Babri hante l’Inde. « Les deux communautés ont cessé de se faire confiance après 1992. Personne ne le dit ouvertement mais quand les personnes vous esquivent, cela ne signifie qu’une chose » explique Waliullah, un tailleur qui vit près du site disputé. « Les politiciens ont créés un tel fossé entre les Hindous et les musulmans que nous nous sommes distancés les uns des autres ».
Sources :
Firstpost (Inde) en VO.
Times Live (Afrique du Sud) en VO.
The Times of India (Inde) en VO.
Julien Lathus