Épisode 1 – Cultures et cultes des armes en Asie du Sud.

De la vénération au dégoût, en passant par la fascination, la culture dédiée aux armes est représentative des peuples et de leurs sociétés.Le sous-continent indien ne fait pas défaut à cette règle, loin de là. Forte démographie, importantes inégalités, états puissamment militarisés et tensions armées …

De la vénération au dégoût, en passant par la fascination, la culture dédiée aux armes est représentative des peuples et de leurs sociétés.Le sous-continent indien ne fait pas défaut à cette règle, loin de là. Forte démographie, importantes inégalités, états puissamment militarisés et tensions armées internes comme externes, tous les ingrédients sont réunis en Asie du Sud pour faire la part belle aux armes.

De l’implantation des armes dans la jeunesse au Pakistan aux représentations artistiques des armes au Bangladesh, en passant par la course à l’armement des nouveaux riches en Inde, le premier épisode de cette série nous emmène dans l’exploration des relations qui unissent les hommes aux armes en Asie du Sud.

Armes juvéniles au Pakistan.

A Karachi, capitale économique du Pakistan est également celle de la criminalité. Chaque nuit, c’est en moyenne 10 personnes qui tombent sous les balles dans cette mégapole de 18 millions d’habitants. On y compte 1 arme pour 4 habitants. La ville est surarmée. Les fusillades y sont quotidiennes, entre citoyens, entre syndicats, entre les différentes communautés, mais surtout entre partisans politiques. Cette expression urbaine des armes n’a pas fini d’ensanglanter Karachi puisque le processus d’armement connaît une nouvelle dynamique chez les jeunes du pays. Dans ce milieu urbain, les revolvers, plus discrets, ont néanmoins tendance à supplanter la Kalachnikov malgré la présence marquée de cette dernière. 

Saisie d'armes à Karachi

Saisie d’armes à Karachi

Il n’est pas rare à Karachi qu’un jeune reçoive une arme pour ses 18 ans. Si ce n’est pas le cas, ils les achètent eux-mêmes. Dans un restaurant de la ville, 3 étudiants en commerce de 20 ans illustrent ce phénomène. Sans la moindre inquiétude, ils montrent leurs armes sur la table qui attend leur dîner. Depuis leur majorité, ils ne quittent jamais leur revolver. « De la manière dont les femmes exhibent leurs bijoux et bien pour les hommes, c’est le pistolet » explique l’un des jeunes. « C’est l’indépendance » reprend son camarade. « Avec un pistolet vous ne dépendez de rien, vous êtes libre. Vous utilisez votre arme pour vous protéger. Si quelqu’un tente de vous voler, vous avez juste à tirer, enfin, quelque chose comme ça » poursuit-t-il assez résigné.

En juin 2012, l’université de Karachi a été la cible de tireurs embusqués appartenant à l’organisation étudiante de l’établissement voisin. Un leader syndical étudiant montre les impacts de balles dans un volet d’un bâtiment d’études. « Ils ont tiré à la mitraillette et tué un de mes amis, un étudiant. Il ont tirés depuis les immeubles qui entourent le campus » déclare-t-il. Arshad Khan n’a pas été touché cette fois-ci mais quelques mois plus tard, il est blessé à son tour à la sortie de l’université. Avec cette situation de chaos à Karachi, beaucoup désertent l’université sous la pression de leurs parents» explique-t-il.

Pour pacifier ce campus, les autorités ont déployé des forces paramilitaires qui contrôlent tous les points d’entrée de l’université. Une centaine de Rangers en tout. Un des responsables de la sécurité parlent néanmoins d’un mal plus profond. « Le problème est à un niveau national, au niveau des partis politiques. Comment entrainent-t-ils leurs jeunes ? Aux pneus brûlés, aux armes et au bâton » souligne Khalid Iraqi, directeur de la sécurité de l’université de Karachi.

Aucun tabou, ni barrière psychologique ne vient refréner cette culture armée à Karachi qui est alimenté par les guerres politiques de contrôle de la capitale économique et financière du Pakistan. Près de 3 millions d’armes seraient en circulation dans la ville, parmi elles, 2 millions proviendraient du marché noir. Souvent originaires d’Afghanistan, on y trouve de nombreuses Kalachnikov mais également des lances-rockets. Ce surarmement trouve également ses racines dans le peu de crédit des forces de sécurité alors que le sentiment d’insécurité couvre la cité. Les simples citoyens cherchent donc à posséder une arme pour se protéger et souvent, ils font tout pour qu’elle soit visible afin de dissuader toute tentative d’agression.

Entre urbanisation et nouveaux riches, ruée vers les armes en Inde.

Depuis quelques années, l’Inde a développé une obsession pour les armes à feu qui s’inscrit dans un processus urbain d’américanisation et de croissance économique mêlé à la tradition machiste et virile du pays. Le phénomène prend de l’ampleur et dans la région de New Delhi, la police s’inquiète de la prolifération des armes et de l’essor de fabriques artisanales toutes aussi nombreuses qu’illégales. Parallèlement, de plus en plus d’Indiens cherchent à s’armer de manière légale ce qui engendre l’émergence d’une organisation qui se base sur le modèle de la NRA américaine pour garantir le droits des Indiens à posséder une arme. 

Bénédiction hindoue d'une arme en Inde

Bénédiction hindoue d’une arme en Inde

Comme aux USA, le crime armé est un phénomène urbain dans le nord du pays où de nombreux commerçants possèdent une arme dans le but originel de se protéger. « Chaque membre de ma famille en possède une. Notre famille est probablement la plus armée de toute la ville de Gurgaon » s’exclame Rajje Yadav, ponte de l’immobilier et propriétaire d’un magasin qui vend de l’alcool. Ce chef de famille est représentatif des nouveaux riches qui fleurissent dans le nord du pays et qui incarnent une transition sociale radicale. Face à l’essor économique de la Région de la Capitale Nationale et du boom foncier qui y est lié, de nombreuses personnes issues des castes agraires comme les Jats et les Yadavs ont fait fortune en vendant leurs terres à des promoteurs immobiliers. Cette dynamique pose néanmoins des problèmes d’intégration dans la nouvelle société urbaine qui se met à les entourer. Des tensions sociales émergent alors dans un climat fait de sens de l’honneur et d’obsession pour les armes.

« Nous et nos proches qui sommes dans le milieu foncier et dans le commerce de l’alcool accumulons quotidiennement d’immenses richesses, souvent en liquidité. Nous devons donc nous protéger et nous devons porter des armes » explique Rajje Yadav. Si la défense semble la motivation principale de porter une arme, il admet également une mode, un phénomène de société. Les armes sont devenues un accessoire représentatif de son statut. Posséder une arme fait qu’une personne devient plus importante.

La rapide prolifération des armes, liée aux aspects de la modernité comme au poids de la tradition laisse présager que les tragédies risquent de se multiplier dans cette région. Pour le chef de la police de Meerut, dans la grande banlieue de New Delhi, ce phénomène est le fruit de l’industrialisation et de la colonisation rapide de ces zones où les gens prospèrent et où de vastes sommes d’argent sont en jeu. « La crainte du crime s’implante dans la Région de la Capitale Nationale » soupire le chef de la police.

Cette peur a pour conséquence une ruée vers les armes. Autrefois, seuls les criminels et les politiciens étaient armés mais maintenant, des médecins, des juristes ou des journalistes portent des armes quotidiennement. C’est le cas de Rakesh Singh, médecin originaire de l’état d’Andhara Pradesh, qui porte désormais résigné, mais en permanence, une arme depuis qu’il s’est installé à Gurgaon. « Il y a un véritable sentiment d’insécurité à Noida, Ghaziabad ou Gurgaon comme dans toute la région entourant New Delhi. Même lorsque l’on sort en famille un samedi, l’insécurité rode » explique-t-il. « C’est la survie du plus apte. Ne dit-t-on pas : si vous voulez vivre à Rome, vous devez faire comme les Romains ? J’ai un pistolet mais j’ai choisi quelque chose de sophistiqué et de facile à utiliser. Je suis vraiment en colère face à cette situation mais je n’hésiterai pas à riposter en cas d’attaque » se résigne-t-il.

L’expression artistique des armes au Bangladesh.

De l’autre côté de la frontière, au Bangladesh, la culture des armes s’exprime aussi bien dans les faits que dans l’art. Dhaka, la capitale est connue pour être la ville des rickshaws. Si ces moyens de transport font souvent l’objet d’une personnification de la part de son propriétaire en Asie, c’est bien au Bangladesh que cet art atteint des sommets. Parmi les nombreuses peintures populaires qui ornent ces transports, ce sont souvent des scènes illustrant des personnages armés, issus du cinéma bangladais ou indiens qui sont le plus représentés. 

Ces peintures ont toujours été interconnectées avec le temps. Après l’ère des stars de cinéma, de la guerre de libération, des animaux pour caricaturer les autorités, retour à l’ère du cinéma et particulièrement pour Bollywood. Les thèmes sont alors marqués par les trios. L’héroïne, le héros et le méchant. Qui dit méchant, dit arme, ou au moins un couteau. Pour tenter de mieux comprendre les racines de cette représentation, j’ai demandé à Ahad qui tient le site RickshawArt.org de m’éclaircir un peu plus la signification et le sens de ces peintures.

Q – Ma première question concerne les peintures populaires qui ornent les rickshaws. On y retrouve fréquemment la représentation d’armes. Ce fait traduit-t-il un intérêt pour les armes en elles-mêmes ou envers la popularité des vedettes de cinéma ?

R – Depuis des décennies, les promoteurs du cinéma bengali utilisent les rickshaws pour faire la promotion des films réalisés dans le pays. L’art de peindre les rickshaws est entièrement dédié à l’engouement pour les films et le cinéma. La représentation des armes à feu et des couteaux sur les rickshaws s’explique essentiellement par le nombre de films d’action qui sont tournés.

Q – Lorsqu’un rickhsawallah (conducteur) décide de se payer une peinture, quelle est la fréquence de représentation d’armes ?

R – Tout d’abord, les conducteurs de rickshaws ne sont pas ceux qui décident d’acquérir une peinture. Bien souvent ce système de transport marche à la location. Le conducteur loue le rickshaw à un propriétaire à la journée ou pour une durée déterminé. Ce sont donc les propriétaires qui choisissent la peinture qui doit orner leur rickshaw. En temps normal, 60 à 70 % des peintures représentent une ou plusieurs armes.

Q – Qu’est-ce qui motive un rickshawallah à acquérir une pièce avec une arme ?

R – Les propriétaires font ce choix car il est à la mode et qu’ils pensent que l’agressivité qui se dégage d’une scène où sont peintes des armes fera que le conducteur travaillera avec plus de zèle.

Q – Au-delà des peintures sur le thème du cinéma, sur quels autres types de scènes les armes sont-t-elles représentées ?

R – L’autre grand thème sur lequel les armes apparaissent est la Guerre de libération du Bangladesh de 1971 lorsque les Bengalis ont pris les armes contre le Pakistan. Souvent, les peintres gardent en tête les souvenirs et la mémoire de cet événement fondateur du Bangladesh.

Q – Quels types d’armes sont les plus représentées ?

R – Ce sont bien les revolvers qui sont le plus représentés. Les couteaux suivent ensuite.

Q – Les peintures sont-t-elles effectuées sur demande ou à partir de modèles ?

R – La plupart du temps, il s’agit d’une commande où le propriétaire du rickshaw a une idée bien arrêtée sur ce qu’il veut. 

Sources :

France 24 (France) en VO.

Global Post (USA) en VO.

Outlook India (Inde) en VO.

San Francisco Gate (USA) en VO.

Julien Lathus

 

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